PROUST

 

Au lieu de se taper cette Coupe du monde indigne, mieux vaut lire ou relire Proust


[BLOG You Will Never Hate Alone] Proust, c'est de très loin le meilleur avant-centre de la littérature française.

Proust, c'est Mbappé à la puissance mille! |Tom Hilton via Flickr
Proust, c'est Mbappé à la puissance mille! 

Longtemps, j'ai regardé la Coupe du monde. Tous les quatre ans, aussitôt que juin palpitait de ses effluves dorées, dans cette attente dûment endurée entre le moment où le capitaine de l'équipe championne soulevait le trophée et celui où ce même trophée serait à nouveau remis en jeu, intervalle pendant lequel ma passion pour le ballon rond s'était d'autant plus étoffée que par la rareté des retransmissions télévisées, j'avais été privé de sa présence, comme ces oiseaux migrateurs qui à des dates bien déterminées de la saison effectuent leur pèlerinage par-dessus les océans, je retrouvais le salon qui un mois durant me verrait assister à toutes les rencontres, d'abord joyeux puis de plus en plus triste quand la compétition s'avançant, je réalisais qu'il me faudrait attendre encore quatre longues années avant de pouvoir regoûter à son faste.

Mais comme cette année, la Coupe du monde fut organisée dans un de ces pays où les droits de la personne étaient ramenés à des considérations religieuses bien loin de l'esprit de fête et de concorde qui d'ordinaire présidait à l'événement, tel l'amant qui découvre l'infidélité de sa maîtresse avec un homme dont les valeurs sont aux antipodes des siennes et décide de s'en détourner, doublement déçu de s'être trompé à la fois sur la fragilité de ses sentiments et sa facilité à les enjamber pour renouveler son plaisir auprès d'un homme si peu recommandable, et afin de meubler ces longues heures où la terre entière se passionnerait pour des rencontres qui resteraient pour moi comme des échos assourdis d'une passion passagèrement éteinte, du moins l'espérais-je, à l'image de ces vacances où depuis des années on retrouve les mêmes amis lesquels pris par l'organisation de leur divorce, manquent cette fois à l'appel, je décidai de me replonger dans la lecture des œuvres de Marcel Proust.

Or sans que j'en fus forcément conscient, on fêtait là le centenaire de sa disparition, de ces moments étranges où soudain, des catacombes d'où d'ordinaire la renommée d'un écrivain repose, mélange d'indifférence et du passage du temps, elle nous revient à la lumière comme ces trésors repêchés en mer lesquels extirpés des cales d'un navire ayant vu sa navigation s'interrompre du fait d'un temps particulièrement hostile ou d'un sabordage causé par l'irruption de pirates, vieux coffres-forts recouverts d'algues verdâtres, antiques ustensiles de cuisine, morceaux d'étoffes rapiécées entamées par l'infini roulis de la mer et de ses profondeurs marines, nous apparaissent comme les témoins intacts d'une époque à la fois révolue mais étonnamment moderne, ainsi, l'écrivain revenu dans la brillance de sa postérité par le simple fait d'être mort un siècle plus tôt, surgit à nos yeux comme une invocation à le relire; ce que je fis donc, enchanté de redécouvrir l'univers de cet auteur chez qui j'avais toujours trouvé une sorte de consolation, un havre de paix où dans l'entrelacs de ses phrases démesurément longues, j'éprouvais comme une sorte de vertige à m'enfouir, un repli sur moi-même comparable à une sorte d'ivresse quand elle plonge l'amateur d'alcools plus ou moins forts dans un état second où à l'effacement prolongé de sa mémoire répond comme une absence au monde, un retour dans les profondeurs de son être.

Et tandis que les premiers matchs débutaient dans ce brouhaha de l'information qui ne peut s'empêcher de traiter des sujets dont l'essence même porte à discussion, à l'heure où Messi, Ronaldo, Neymar, enchantaient des stades réfrigérés construits sur l'autel de malheureux travailleurs morts à leur tâche, je me délectais de me retrouver en présence de Madame Verdurin, de la princesse de Guermantes, du baron de Charlus, de Swann, d'Odette, de tous ces personnages qui composent la trame d'À la recherche du temps perdu, cet effort unique entrepris par Proust pour associer le développement successif de son moi intime à la grande et petite histoire de France –l'évocation en profondeur tout à la fois désuète et malicieuse, infiniment comique, d'une aristocratie qui sans qu'elle eut aucune manière de le savoir vivait là, à la veille de la Première Guerre mondiale, dans les déchirements successifs de l'Affaire Dreyfus, ses dernières heures. 

La phrase de Proust agissait sur mon cerveau comme un médicament hypnotique qui changerait l'ordonnancement même de mes pensées, briserait son cours normal pour mieux instaurer son autorité, identique en cela à la main d'un sculpteur qui à force de travail, de l'argile étalée sur la paillasse de son atelier, parvient à en tirer des formes lesquelles correspondent à l'image exacte telle que conçue patiemment par son esprit. Mais alors que…

Mais, Marcel, ta gueule, on n'y comprend rien!

En version courte: pour la première fois de ma vie, je m'en tamponne de la Coupe du monde. J'en profite pour relire Proust, crevé il y a cent ans tout juste. C'est vachement bien. Mieux qu'un match de foot en fait. Même si la phrase joue souvent des prolongations. Mais vu que Proust, c'est quand même le meilleur avant-centre de la littérature française avec une technique balle au pied absolument ahurissante, on ne s'emmerde pas une seule seconde.

Quoi, but? Mais qui a marqué?!!!!

Mbappé ou Swann?!

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