"Mes chers collègues,
Par cet acte collectif majeur,
Par votre vote,
Par ce choix libre de l'assemblée de Martinique,
Nous venons de distinguer notre époque et de marquer notre Histoire !
Ce jeudi 2 février 2023 nous vivons un moment historique de prise de conscience, de dépassement et d'unité du peuple martiniquais.
En vérité, ce drapeau, cet hymne, ces symboles, sont des actes politiques majeurs que nous léguons désormais à la postérité.
Que signifie ce que nous venons de faire ?
Nous avons rappelé des siècles d'attentats, d'injustices, de souffrances, et de crimes dont une grande partie de notre population porte encore les traces.
Nous avons honoré des siècles de luttes et de résistances menées par nos ancêtres pour que la liberté, la dignité et le respect des droits humains ne soient pas des calebasses vides.
Nous nous sommes inclinés au-dessus du sang qui a coulé.
Nous avons salué les héroïsmes et le courage de nombreuses générations d'hommes et de femmes qui ont fait ce que nous sommes, et qui aujourd'hui nous remplissent d'un sentiment très fort que rien ne pourra nous enlever : nous sommes un peuple avec une histoire, une culture et une identité.
"La continuité historique de notre peuple et de sa conscience"
Mais avec ces deux gestes symboliques nous avons ensemble et sans exclusion de quiconque, quelle que soit sa couleur de peau ou son origine, signifié au monde :
La fin d'une époque !
La fin du sentiment d'infériorité.
La fin de la passivité.
La fin de l'asservissement mental, moral, inculqué au plus profond de notre conscience.
La fin d'un sentiment d'impuissance qui ne mène qu'à la violence et au ressentiment stérile.
Ces symboles sont aussi la force d'imaginer un autre monde, sans asservissement, sans domination, sans exploitation : un monde de solidarité, d'échange et de respects mutuels, dans une république unie qui respecte les différences.
Ces symboles rappellent aussi sans ambiguïté, la continuité historique de notre peuple et de sa conscience ; affirme notre droit, et même notre devoir, d'en assurer le devenir sans nationalisme archaïque, sans esprit communautariste, sans violence, sans racisme, sans haine envers quiconque, sans exclusion de ceux qui ont fait le choix de partager le destin de Notre pays.
Ces symboles expriment encore notre ouverture fraternelle au monde dans le respect de la nature et du vivant.
Aux côtés des drapeaux de la République française (bleu, blanc, rouge) ; de l'Europe (des 12 étoiles de la paix) ; de l'OECO (qui nous rappelle le vert et le jaune de notre maison commune, la Caraïbe) ; de l'AEC (dont le bleu nous rappelle nos racines ancestrales amérindiennes) flottera désormais une dignité reconquise, une fraternité universelle portée dans la sérénité, et qui s'engage à respecter toutes les différences.
"Notre drapeau et notre hymne chanteront dans tous les alizés, une détermination"
Je formule le vœu que ces symboles que nous nous sommes donnés, garantissent à tous la force de bannir toutes les hiérarchies de race, de culture, ou de civilisation ; qu'ils nous assurent que la seule richesse qui vaille c'est celle d'une humanité qui se respecte et qui respecte le vivant.
Notre drapeau et notre hymne chanteront dans tous les alizés, une détermination. Celle d'un peuple, d'un peuple exerçant pleinement sa dignité de penser, d'initier, de créer, d'inventer, de bâtir sans aucune limite à ses capacités.
Ils chanteront, sans exactions et sans violences, notre volonté d'aborder le futur sans complexe, avec fierté, avec audace, avec l'esprit de création.
Ils chanteront à la face du monde, de l'Europe, de la France, notre appartenance aussi à cette géographie cordiale que sont la Caraïbe et les Amériques, et notre volonté de nous y construire sans renoncer aux soli- darités que nous ont offertes nos histoires partagées, nos espérances conquises, nos combats fondateurs.
Notre drapeau flottera au-dessus de notre cheminement vers l'émancipation, la responsabilisation et le progrès, à partir des ressources instituantes que sont notre culture, nos patrimoines et notre identité.
Il flottera au-dessus d'une solidarité pleine, saine et féconde, entre l'Europe, la France et la Martinique ; il rappellera, à qui voudra l'oublier, que l'égalité n'est pas l'ennemi du droit à la différence ; que si l'égalité s'inscrit dans les droits universels de l'humaine condition, la différence est le signe d'une richesse construc- tive et la base de la créativité utile à l'épanouissement d'une société et à ses rapports aux autres.
C'est dans ce sens que ce symbole est pour nous un refus de la passivité, du pathétisme inculqué, du dolorisme, de l'autoflagellation, voire de l'auto-aliénation que nous nous infligeons au quotidien.
Il est l'étendard de valeurs de dignité, de principes et de luttes où se fera notre destin.
Une fois qu'il sera hissé au-dessus de nous, nul ne saurait plus désormais accepter que les singularités soient gommées,
que la diversité soit bafouée,
que les capacités d'initiatives soient contrôlées
que notre force de création soit limitée,
que notre puissance écologique, géostratégique et maritime soient ignorées et que nos valeurs instituantes du respect et de la dignité soient abîmées.
Il ne s'agit en aucune manière d'un acte d'indépendance, d'autonomie, ou d'un abandon stérile à du séparatisme. Il s'agit au contraire d'associer, de relier, de rassembler, de mettre ensemble des ferveurs nouvelles pour permettre à notre jeunesse de mieux regarder demain.
Il s'agit de conquérir une plus large fraternité.
Il s'agit d'ouvrir une nouvelle page pour notre pays.
Voilà le paysage que nous avons décidé aujourd'hui.
Il n'y a rien de facile là-dedans.
L'obscurantisme nous guette, la régression nous fixe.
Il nous faudra avancer pas à pas, et tenir gagné chaque pas. Il y aura sans doute des sacrifices à endurer.
Je suis prêt à les assumer tous, car ma conviction la plus profonde est celle-ci : ce que nous avons commencé à faire aujourd'hui est notre mission la plus exacte, et c'est notre devoir le plus impératif.
Je livre mon sacrifice à la postérité. Je vous remercie. Chers collègues, sœurs et frères martiniquais, je suis fier. Très fier de notre Martinique !"