La diplomatie du sport | La Coupe du monde de football s’est ouverte dimanche dernier au Qatar. Elle a fait l’objet d’appels au boycott de la part de personnalités politiques et sportives. Lors de l’attribution de l’organisation en 2010, Tamim ben Hamad Al Thani, alors prince héritier du Qatar, avait affirmé que cet événement allait « présenter une nouvelle image du Moyen-Orient ». Nombre d’États ont développé depuis le XXe siècle une diplomatie sportive, utilisant le sport pour exercer une influence politique, pour apaiser des tensions ou encore pour promouvoir leur image. | | En 1894, sous l’impulsion du baron Pierre de Coubertin, des représentants d’organisations sportives d’une dizaine de pays réunis en congrès à Paris décident de rétablir les Jeux olympiques, sur un modèle adapté de ce qu’ils étaient dans l’Antiquité. Les premiers JO modernes se tiennent en 1896. Selon Pierre de Coubertin, ces jeux devaient permettre de favoriser le respect et la paix entre les nations. Déjà dans la Grèce antique, les JO étaient assortis d’une trêve pour permettre de s’y rendre en toute sécurité. Cependant, les JO et les grands événements sportifs internationaux reproduisent très vite les rivalités entre les nations et deviennent un moyen d’exercer une influence politique. Après la Première Guerre mondiale, les pays vaincus sont exclus des JO de 1920, qui se tiennent en Belgique, pays vainqueur. En 1934, la tenue de la deuxième Coupe du monde de football en Italie offre au régime fasciste de Benito Mussolini une tribune de propagande pour son régime. « C’est toute l’évolution des relations internationales qui se lit en filigrane dans l’histoire des compétitions sportives », analyse l’historien Alfred Wahl dans une revue de géopolitique de 2004. | | | 1980 |
| Boycott massif des JO | Le président américain Jimmy Carter décide de boycotter les JO organisés en 1980 à Moscou, en URSS. Il s’agit pour lui de protester contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979 et de faire pression pour qu’elle retire ses troupes. Aucun athlète américain n’est autorisé à concourir. Une soixantaine de pays boycottent également les JO. L’URSS et une dizaine de pays alliés répliqueront en refusant de participer en 1984 aux JO de Los Angeles, aux États-Unis. « Les JO sont la continuation de la guerre froide par d’autres moyens », analyse le géopolitologue Pascal Boniface dans une revue scientifique en 2017. D’autres mouvements politiques, dont celui de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, ont conduit à des boycotts sportifs. Pour autant, le boycott sportif a « rarement prouvé son efficacité » à pousser un État à revoir sa politique, analysait Carole Gomez, chercheuse à l’Iris, un centre de réflexion, dans une publication de janvier 2022. L’URSS se retirera d’Afghanistan en 1989 et le régime de l’apartheid sera aboli en 1991. |
| | 2005 |
| La diplomatie du cricket | Le président pakistanais Pervez Musharraf se rend en Inde en 2005 pour assister à un match de cricket qui oppose les équipes nationales pakistanaise et indienne. Cette visite est l’occasion de plusieurs discussions bilatérales avec le Premier ministre indien Manmohan Singh afin de poursuivre les pourparlers de paix. Les deux pays ont un différend frontalier depuis 1947 concernant la région du Cachemire, pour laquelle ils se sont déjà fait la guerre. Les deux dirigeants ont « déterminé que le processus de paix était désormais irréversible » et décidé de poursuivre les discussions « en vue d’un règlement définitif » de la question du Cachemire, rapporte la déclaration commune publiée à l’issue de la visite. La « diplomatie du cricket » permet aux deux pays de se rapprocher grâce à ce sport très populaire en Inde et au Pakistan. « Historiquement, à chaque fois que l’Inde et le Pakistan ont traversé une période de tensions des relations bilatérales, le cricket est venu à la rescousse », expliquait l’historien indien du sport Boria Majumdar dans une interview au Monde en 2009. |
| | 2013 |
| Le « soft power » par le sport | En octobre 2013, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius nomme pour la première fois un ambassadeur pour le sport. Son rôle est de renforcer la présence française dans les instances sportives internationales, de promouvoir les entreprises françaises dans les marchés liés au sport et de renforcer l’attractivité de la France en tant que pays organisateur de grands événements sportifs. La France a enregistré plusieurs échecs pour l’organisation de tels événements les années précédentes. « Il faut que nous mettions en place ce que nous avons appelé une diplomatie sportive », fait valoir Laurent Fabius en janvier 2014, vantant l’« incidence économique » et le vecteur d’influence du sport. « La place croissante du sport au sein de nos sociétés, en termes de popularité, de diffusion, de pratique, mais également d’économie, est allée de pair avec une prise en compte de la part du politique », analysait Carole Gomez dans un article en 2021. |
| | 2022 |
| Une vitrine de réussite | En février 2022, les Jeux olympiques d’hiver se tiennent à Pékin, la capitale de la Chine. La ville devient la première au monde à avoir accueilli les éditions estivale et hivernale des JO, après avoir organisé ceux d’été en 2008. Alors qu’en 2008, la Chine « possédait le statut de nouvelle puissance économique », cette année elle est « dans une logique de domination », analysait le professeur d’histoire du sport Patrick Clastres dans une interview à TV5 Monde en janvier. Ces dernières années, les pays émergents des BRICS (Brésil, Russie, Chine, etc.) et le Qatar se sont vu attribuer l’organisation d’événements sportifs internationaux : « Les évolutions des rapports de forces entre les pays, l’émergence de nouvelles puissances se retrouvent à travers le sport », analysait Pim Verschuuren, chercheur à l’Iris, dans une publication de 2015. Ces pays « mettent de l’argent pour recevoir ces événements, véritables vitrines de leur développement économique et de leur affirmation politique sur la scène internationale », ajoutait-il. |
| LE SAVIEZ-VOUS ? | Il y a plus d’équipes à la Fifa que d’États à l’ONU | La Fifa, la fédération internationale de football, reconnaît 211 associations membres, tandis que l’ONU compte 193 États membres. La Fifa admet par exemple quatre équipes pour le Royaume-Uni (Angleterre, Écosse, etc.), mais aussi des territoires non souverains selon l’ONU comme la Palestine, la Nouvelle-Calédonie et le Kosovo. Ces territoires « utilisent le football pour mettre en avant leur identité », expliquait Jean-Baptiste Guégan, professeur en géopolitique du sport, à Franceinfo en 2020. « Ça permet d’unifier les populations, de leur faire sentir ce sentiment d’appartenance commun » et « de projeter ces revendications à l’extérieur », ajoutait-il. |
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