Chut !
Cette Coupe du monde
qu’on ne saurait voir
Emmanuel Macron passe son mois de novembre loin de la France, sur le terrain de la diplomatie. Et en décembre, sur quel terrain ? L'Elysée a indiqué mardi que le président se rendrait au Qatar si les Bleus atteignent les demi-finales de la Coupe du monde. Au-delà des polémiques, et elles n'ont pas fini de gonfler autour de l'organisation de cette compétition, la position du président est claire : notre pays est l'un de ceux qui en cette période ô combien troublée peuvent, et doivent, parler à tout le monde. Pas de boycott ici.
Emmanuel Macron fait partie de ces présidents qui aiment vraiment le foot. Entre les Bleus et nos chefs de l'Etat, pardon, entre nos Bleus et les chefs de l'Etat, c'est une drôle d'histoire, que raconte avec délice Mohamed Bouhafsi dans un documentaire (Les Bleus et l'Elysée, dimanche 20 novembre à 20h55 sur France 5) riche en témoignages, y compris des intéressés : Nicolas Sarkozy est le seul des trois présidents de la Ve République encore en vie à ne pas avoir voulu participer.
Parfois le ballon tourne rond et c'est tout bonheur pour le locataire du palais. En 2018, Emmanuel Macron a la joie et la chance d'être porté par le triomphe de Deschamps, Mbappé et consorts. Jusqu'à exulter après le premier but de la France lors de la finale contre la Croatie, sous les yeux d'un certain Vladimir Poutine. Ce qui donne lieu à une fameuse photo. "C'est plus le supporter que le président, j'avoue", concède Emmanuel Macron. "Il y a un côté, qu'il ne le prenne pas mal, enfantin, pointe François Hollande jamais en retard d'un tacle, y compris par derrière, sur son successeur. Si c'était moi qui avais fait ça, qu'est-ce qu'on n'aurait pas dit ?" L'échange indirect entre les deux hommes se poursuit dans le documentaire au point de devenir carrément drôle quand François Hollande évoque la finale perdue de l'Euro 2016 qui permettra d'éviter de répéter les mêmes erreurs deux ans plus tard : "Un président travaille toujours pour son successeur !" Cette fois, devant les caméras, Emmanuel Macron se marre franchement : "C'est vrai, c'est juste."
Politique et football, je t'aime moi non plus. 1998 reste un cas d'école, à étudier aussi bien à Sciences Po que dans les cours de théâtre. Jacques Chirac maîtrise autant les règles du foot que l'art de la dissolution, c'est dire. Il ne connaît même pas le nom des joueurs de l'équipe qui va devenir championne du monde et à l'arrivée, note malicieusement Michel Platini, "j'ai l'impression que c'est lui qui a gagné la Coupe du monde". Chirac a eu la bonne phrase au bon moment - "Je m'entraîne à remettre la Coupe du monde" lance-t-il devant les micros après une visite à Clairefontaine, le camp d'entraînement, avant le début de la compétition - et déroule ensuite l'audace de ceux qui n'ont peur de rien. Le voilà qui arrive au stade pour la finale France-Brésil avec un maillot des Bleus entre les mains. Manuel Valls, qui conseille alors le Premier ministre Lionel Jospin, n'en croit pas ses yeux. Ce n'est pas fini : Claude Chirac lui suggère de l'enfiler sous sa veste, "fais comme Michel" (Platini). Si le président se contente de le mettre sur les épaules, l'acteur Chirac tirera pleinement profit de cette première historique pour le sport tricolore, lui qui était alors plus près de la roche Tarpéienne que de la réélection à l'Elysée.
Sarkozy et Fillon, deux visions du foot
Mais le foot peut être un sacré piège. En 2001, la France accueille l'Algérie pour un match que l'on croyait amical et qui fut désastreux : la pelouse est envahie sous les yeux des ministres de la gauche plurielle. En 2010, c'est un psychodrame national. Les joueurs se mettent en grève en pleine Coupe du monde en Afrique du Sud et préfèrent le bus à la pelouse d'entraînement, ce qui est moins commode pour jouer. Nicolas Sarkozy somme Roselyne Bachelot, alors ministre des Sports, d'enfiler la tenue du coach, qui ne lui sied pas spontanément : "Tu vas les engueuler et les enjoindre de gagner le prochain match." François Fillon se croit au rugby et botte en touche : "Enfin, tout ça ce n'est quand même que des gens qui tapent dans un ballon."
Quel est donc le rôle du politique, quelle est sa juste place ? Vous avez 90 minutes pour répondre, sans compter les prolongations. En 2016, l'affaire Benzema devient un problème au sein même de l'exécutif : le président François Hollande reproche à son Premier ministre Manuel Valls de s'être pris pour le sélectionneur en se prononçant contre le retour dans l'équipe nationale de celui qui se trouve mêlé à une sombre histoire de chantage à la sextape.
Les Bleus joueront mardi 22 novembre leur premier match au Qatar, face à l'Australie. Jamais une équipe n'a réussi à conserver son titre lors de la Coupe du monde suivante, elle a même été souvent éliminée sans gloire. Emmanuel Macron sait ce qui l'attend, au cas où : "Quand l'équipe de France perd, c'est des sujets qui deviennent vite politiques."