CINÉMA

20th Century Fox

“Loin du paradis”, “E.T.”, “Twin Peaks”…, les cercles de l’enfer pavillonnaire américain en neuf films

Sous ses dehors tranquilles et proprets, la banlieue résidentielle américaine vire souvent au cauchemar. Et a inspiré bon nombre de productions hollywoodiennes. Dont le poignant “Loin du paradis”, de Todd Haynes, diffusé ce 4 novembre sur Arte.

« Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon », écrit Tolstoï dans Anna Karénine. Le cinéma hollywoodien en prend bonne note et produit à peu près autant de récits originaux qu’il y a de foyers en déroute, à partir des années 40 et à mesure que les zones péri-urbaines se développent aux États-Unis. Le but est alors d’accéder à un cadre de vie meilleur, débarrassé de toute altérité. Un tel mirage ne peut que s’estomper dans la douleur. Et si les banlieues résidentielles sont aujourd’hui plus diversifiées sur le plan racial et économique, elles sont toujours minées par la surveillance obsessionnelle, la violence cachée derrière les clôtures blanches et l’ennui au-delà de la pelouse bien entretenue. Autant de revers qui ont inspiré le cinéma. Revue des films emblématiques.

Le plus vintage

Gregory Peck et Jennifer Jones dans « L’Homme au complet gris ».

Gregory Peck et Jennifer Jones dans « L’Homme au complet gris ».

20th Century Fox

L’Homme


Le plus vintage

Gregory Peck et Jennifer Jones dans « L’Homme au complet gris ».

Gregory Peck et Jennifer Jones dans « L’Homme au complet gris ».

20th Century Fox

L’Homme au complet gris, de Nunnally Johnson (1956), est l’adaptation pleine d’acuité d’un best-seller, qui rappelle combien l’utopie suburbaine est d’abord un genre littéraire. Le gris est la couleur du costume et de la vie d’un bureaucrate (Gregory Peck), qui pensait qu’en gagnant beaucoup d’argent et en contemplant sa femme-trophée (Jennifer Jones), lorsqu’il rentre le soir dans son enclave chic du Connecticut, il oublierait les traumatismes de la guerre. Peine perdue. Comme beaucoup d’autres cinéastes, Mike Nichols se souviendra avec Le Lauréat de ce film pionnier, et de cette banlieue vue comme le tombeau du bonheur, non sa promesse.

Le plus chromatique

Rock Hudson et Jane Wyman dans « Tout ce que le ciel permet ».

Rock Hudson et Jane Wyman dans « Tout ce que le ciel permet ».

Universal

Tout ce que le ciel permet, de Douglas Sirk (1955), dont Loin du paradis est la relecture, sublime avec une utilisation exacerbée de la couleur et un sens profond des émotions humaines un amour entre une veuve (Jane Wyman) et son jardinier (Rock Hudson), rendu impossible par les tares de leur petite communauté (bigoterie et mépris de classe). Entre fascination esthétique et critique sociale des États-Unis, Sirk régénère les archétypes du mélo. Nicholas Ray lui emboîte le pas avec Derrière le miroir, où il s’agit de bourrer de tranquillisants tous ceux qui pourraient déranger la quiétude pavillonnaire. Richard Quine suit avec Liaisons secrètes, où la répression des sentiments du couple illégitime Kim Novak-Kirk Douglas atteint son paroxysme, au nom de la norme, mais jamais très loin d’une piscine privée, d’un country club et d’une palmeraie.

Le plus méchant

Sheryl Lee dans « Twin Peaks » de David Lynch.

Sheryl Lee dans « Twin Peaks » de David Lynch.

New Line

Twin Peaks : Fire Walk with Me, de David Lynch (1992), également sous-titré Les sept derniers jours de Laura Palmer, a montré que le tableau de la famille américaine ressemblait moins à Norman Rockwell qu’à Francis Bacon. Conspué à sa sortie, ce film cauchemardesque est depuis sorti de son purgatoire, peut-être parce que tout le monde sait maintenant que c’est la belle vie qui est un fantasme et Bob, le bourreau de Laura Palmer, la réalité.

Le plus aimé

« E.T » de Steven Spielberg sorti en 1982.

« E.T » de Steven Spielberg sorti en 1982.

Amblin

E.T., l’extra-terrestre, de Steven Spielberg (1982), et son alien sympa, qui bouleverse une famille endeuillée et son gamin solitaire, quelque part dans les marges citadines californiennes, étonne encore aujourd’hui par sa bienveillance. Aucun autre cinéaste n’a pourtant déconstruit la banlieue résidentielle américaine comme Spielberg, surtout dans ses
productions (GremlinsSuper 8). Tim Burton lui succédera avec Edward aux mains d’argent et sa créature, vue comme un déclassé surgi dans une banlieue qui se retournera contre lui.

Le plus conceptuel

« Get Out » de Jordan Peele, sorti en 2017 .

« Get Out » de Jordan Peele, sorti en 2017 .

Universal /Blumhouse Productions/QC Entertainment

Dans Get Out (2017), une jeune blanche décide de présenter à ses parents son petit ami noir. Il les rejoint dans leur enclave chic. Il n’aurait pas dû. Jordan Peele métaphorise les peurs de la communauté afro-américaine. Si l’amélioration du niveau de vie des Afro-Américains a engendré un black flight (l’exode des noirs en banlieue, qui a pris le relais du white flight), elle n’a pas pour autant aboli la suprématie blanche.

Le plus dépressif

« Virgin Suicides » de Sofia Coppola.

« Virgin Suicides » de Sofia Coppola.

American Zoetrope/Muse/Eternity

Dans Virgin Suicides (1999), Sofia Coppola évoque le martyre de cinq sœurs qui étouffent littéralement dans les faubourgs de Detroit. Si le film se situe dans les années 70, il correspond à une période faste pour le genre du suburb movie, avec Ice Storm, d’Ang Lee, Donnie Darko, de Richard Kelly, Happiness, de Todd Solondz, et American Beauty, de Sam Mendes.

Le plus drôle

« Retour vers le futur » de Robert Zemeckis.

« Retour vers le futur » de Robert Zemeckis.

Universal Pictures/Amblin Entertainment/U-Drive Productions

Dans Retour vers le futur, de Robert Zemeckis (1985), encore produit par Spielberg, la terre natale de Marty McFly est Hill Valley, en Californie, et surtout Hilldale, sa zone résidentielle. Lorsqu’il voyage dans le temps, le lieu n’est encore qu’un projet enviable. Trente ans après, c’est là où croupissent les ratés. Citons pour le plaisir Springfield, la ville imaginaire des Simpson, où la distinction ville / banlieue / péri-urbain, si exacerbée en France, s’efface complètement, et la banlieue nord de Chicago, où se situent la plupart des films produits ou réalisés par John Hughes (Breakfast Club)

Le plus tranchant

« Halloween » de John Carpenter.

« Halloween » de John Carpenter.

Falcon International Pictures/Compass International Pictures

Halloween de John Carpenter (1978) met en scène les suburbs comme un espace labyrinthique où chacun, ayant emménagé là pour se croire à l’abri, est à la merci du danger. Le tueur Michael Myers entre dans chaque maison, passe de jardin en jardin et s’incruste dans des scènes typiques du rêve américain : à proximité d’une école, derrière des haies bien taillées. Il n’y a aucun refuge. L’horreur suburbaine et sa critique sociale traversent aussi la filmographie de Wes Craven. Sans oublier Gone Girl, de David Fincher, qui a fait à l’image du couple installé dans son pavillon ce que le requin des Dents de la mer a fait à la
baignade.

Le plus télévisuel

Craig T. Nelson, Heather O’Rourke et JoBeth Williams dans « Poltergeist ».

Craig T. Nelson, Heather O’Rourke et JoBeth Williams dans « Poltergeist ».

MGM

Dans Poltergeist, de Tobe Hooper (1982), toujours produit par Spielberg, un quartier pavillonnaire californien est bâti aveuglément sur un ancien cimetière, libérant des forces surnaturelles qui sévissent sous forme de bruits blancs, produits par le tube cathodique d’un téléviseur. Ou quand la critique des gated communities, ces quartiers résidentiels fermés, se joint aux dangers du petit écran. Celui-ci, longtemps bienveillant à l’égard de ce mode de vie insulaire, via des séries comme Peyton Place, n’en finit plus de le déconstruire, de Desperate Housewives à Weeds.

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