vendredi 18 novembre 2022

CONTROVERSE

 




TRIBUNE


Pourquoi avoir encaissé les milliards du Qatar pour qu’il obtienne sa Coupe du monde de la honte ? Dès le départ on aurait dit stop et c’était réglé . Alors maintenant, boycottons, mais les ouvriers morts et maltraités ne reviendront pas et la planète continuera à flamber un peu plus. La Fifa et tous ses complices devraient être condamnés...



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“Coupe du monde de la honte”, le cri d’alerte d’Amnesty International

Le Mondial de football s’ouvrira le 20 novembre au Qatar, sur fond de polémique. Dans son documentaire Les Exploités du Qatar, Amnesty International donne la parole à des travailleurs immigrés traités de manière inhumaine sur les chantiers qataris.



Pourquoi il va être difficile de ne pas regarder le Mondial au Qatar


Coupe du Monde de football 2022 au Qatar, un mondial polémiquedossier

Alors que les appels au boycott se multiplient, comment expliquer l’attractivité de l’événement ? Le philosophe Thibaud Leplat, consultant pour RMC, y voit un lieu utopique qui réveille une croyance enfantine plus puissante que nos atermoiements existentiels.
par Thibaud Leplat, Philosophe et consultant pour RMC
publié le 24 septembre 2022 à 9h00

On ne renonce pas si facilement à son enfance. Invité sur un plateau de télévision français le 14 septembre, Fabien Roussel, secrétaire général du Parti communiste, fait le job : «Si j’étais footballeur professionnel, je ferais le choix de ne pas aller à la Coupe du monde au Qatar.» Avec sa toison grise, ses yeux d’aigles et ses mains posées sur le contreplaqué, il a fière allure, le prophète. Quand il évoque ensuite la déclaration d’Eric Cantona, ancien international, qui, quelques jours plus tôt, invitait à boycotter la compétition, on a même envie de se lever et de se mettre à marcher derrière lui : «J’ai entendu l’appel de Cantona qui les invite à ne pas y aller et j’y suis plutôt sensible.» Car le constat est évidemment peu réjouissant : «Il y a des milliers de morts sous les chantiers de la Coupe du monde au Qatar, il y a une gabegie de dépenses pour avoir des stades climatisés alors que nous parlons d’environnement, et le Qatar est un pays qui criminalise toujours l’homosexualité.» Jusqu’ici tout va mal. C'est vrai .


Sauf que Roussel ne s’arrête pas là. Une faille spatio-temporelle s’entrouvre tout à coup : «Fabien Roussel, vous n’êtes pas footballeur, donc vous n’allez pas y aller. En revanche, vous êtes téléspectateur et vous allez la regarder à la télé…» Demi-sourire, bruit de veste qui se retourne, le leader dit «pouce». C’est pas du jeu : «Eh bien écoutez, je suis un fan de l’équipe de France, je regarde pas beaucoup les matchs de foot [sic] mais j’ai toujours suivi les Coupes du monde, j’ai toujours soutenu mon pays, alors ça va me tarauder.» Quelques secondes après avoir appelé les footballeurs au boycott, le supporteur Roussel se félicite donc maintenant des progrès obtenus grâce à la médiatisation de l’événement. «Cette Coupe du monde est aussi l’occasion de faire progresser les droits fondamentaux, y compris au Qatar.» On résume : d’un côté, la tentation de l’aveuglement, de l’autre, l’incroyable attractivité d’une Coupe du monde de football. Et au milieu coule la taraude. Comment se fait-il qu’on n’arrive pas à boycotter le Mondial ?

Dans «la tente d’Indiens dressée au milieu du grenier»

C’est ici que les croûtes commencent à gratter. Le Mondial organisé dans des conditions extrêmes, en plein désert, en plein hiver, dans un pays de 300 000 habitants où la lapidation est encore au catalogue des sanctions pénales et l’homosexualité une raison de passer sept années en prison, forcément, «ça fait réfléchir», pour parler comme les footeux. Réfléchir, oui. Mais réfléchir à quoi ? Car le paradoxe de la position de Fabien Roussel est, en réalité, parfaitement symptomatique d’une controverse intime et vertigineuse. Reformulons-la : en dépit des frasques des footballeurs, de leurs salaires, des scandales à répétition, des luttes d’influence et maintenant des conditions d’organisation d’une Coupe du monde, comment se fait-il que tout cela ne nous ait pas encore dégoûtés du football ? 

D’où vient que la moitié de la population mondiale a, par exemple, suivi la dernière Coupe du monde en Russie quelques années seulement après l’invasion de la Crimée ? 

D’où vient qu’il semble plus facile de baisser le chauffage de deux degrés chez soi, de rouler à l’électrique, de se mettre au vélo plutôt que d’éteindre la télévision et de laisser tomber une bonne fois pour toutes la bande à Mbappé ? Que diront les archéologues du futur quand, dans 1 000 ans, ils se pencheront sur nos coupables atermoiements ?

Plutôt que de résoudre le dilemme (ne regarder que les matchs de son équipe de cœur, ou alors seulement le soir, ou seulement la finale, ou alors en streaming) comme un enfant promet que la prochaine fois sera la dernière, approfondissons. Michel Foucault n’a jamais parlé de football mais il nous raconte pourtant très bien l’histoire de ces lieux que les hommes ont construits dans nos esprits et dans nos villes pour s’y réfugier le temps d’un deuil, d’un film ou d’un jeudi après-midi. Ces abris disent qu’il fait bon, parfois, prendre congé de la monotonie. Le Mondial n’est pas un espace comme un autre. C’est un mois pendant lequel l’humanité se regarde dans les yeux et joue avec elle-même. Un «contre-espace», dirait Foucault. «Ces contre‐espaces, ces utopies localisées, les enfants les connaissent parfaitement. Bien sûr, c’est le fond du jardin, bien sûr, c’est le grenier, ou mieux encore la tente d’Indiens dressée au milieu du grenier, ou encore, c’est – le jeudi après‐midi – le grand lit des parents.»

Le Mondial, c’est le mois d’août en novembre

S’il est si difficile de détourner les yeux de lui, c’est que le Mondial de football n’est pas seulement un grand événement sportif consommateur d’énergies en tout genre. Il n’est pas non plus une simple compétition rassemblant une poignée de millionnaires en short. Non, le Mondial, dans sa liturgie, sa régularité, son intensité, sa limitation, dessine un lieu utopique à l’intérieur des souvenirs de celui qui le regarde. Car dès l’instant où le match débute, il réveille une foi primaire, une croyance enfantine en la magie d’un jeu plus puissant que nos questions existentielles. Le Mondial, c’est le mois d’août à la plage (au mois de novembre, en l’espèce) et l’enfance qui se réveille tous les quatre ans...

Voilà peut-être pourquoi Amnesty International n’a jamais demandé que l’on boycotte cette compétition. Voilà peut-être aussi pourquoi l’Assemblée générale des Nations unies, en avril dernier, a célébré la tenue de ce tournoi «pour la première fois organisé dans un pays du Moyen-Orient» comme un outil de promotion de «paix et de développement, de respect des droits humains». Voilà peut-être pourquoi aussi Fabien Roussel a le réel qui le taraude. Car il convient, en effet, de regarder en face les conditions d’attribution et d’organisation de ce tournoi au même titre que notre propre fascination pour un événement plus profond qu’il en a l’air. Il nous offre même une belle morale pour terminer notre histoire : un dilemme ne se résout pas en fermant les yeux. Nous ne sommes plus des enfants.

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