POLÉMIQUES SUR LE TOUR DE FRANCE

 Changement d'ambiance

Le Tour de France renoue avec le cyclisme sur doutes



Oublié le duel haletant avec le slovène Tadej Pogacar : le Danois Jonas Vingegaard a définitivement assommé la course mercredi 19 juillet vers Courchevel, faisant ressurgir les soupçons de dopage.
par Quentin Girard, envoyé spécial sur le Tour de France et Romain Boulho, envoyé spécial sur le Tour de France
publié le 19 juillet 2023 à 20h02

La roue tourne vite sur le Tour. Lundi, journée de repos, le soleil était radieux au-dessus des Alpes, les deux grands favoris, Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar, s’affrontaient à coups de secondes. Le soir, les suiveurs se prêtaient à les imaginer s’affronter jusque sur les Champs-Elysées. Devant ce duel homérique, historique, ceux qui osaient évoquer le dopage dans leurs articles se faisaient agonir sur les réseaux sociaux, Libé en tête. Puis, le rêve s’est envolé, l’épreuve est sortie de son monde rose merveilleux, imitant Barbie. Même les plus zélotes sont allés se soûler au vin de messe pour tenter d’oublier ce qu’ils venaient de voir.

Mardi, lors du contre-la-montre, Vingegaard a laissé sans voix l’assemblée, gagnant 1 minute 38 sur Pogacar en seulement 22 kilomètres d’effort individuel. Mercredi, dans le terrible col de la Loze, ses 28 kilomètres interminables, ses rampes abruptes à 20 % dans un décor caillouteux et décharné, le Danois de 26 ans a remis ça. Il ne gagne pas l’étape, quatrième derrière l’Autrichien Felix Gall et deux rescapés de l’échappée, mais il reprend 5 minutes et 45 secondes au leader d’UAE Team Emirates. A ce niveau-là, ce n’est plus un écart, c’est le gouffre Mirolda. A la décharge du «poisson volant», le nouveau surnom de cet ex-poissonnier, ce n’est pas seulement de sa faute. Son adversaire slovène a craqué plus vite que les autres. Peut-être est-ce dû au contrecoup mental de la défaite de la veille. Ou à sa chute précoce, en début d’étape dans le col des Saisies. «Je ne sais pas ce qui s’est passé. Je suis arrivé en bas de la Loze complètement vidé, a expliqué Pogacar à l’arrivée. J’ai beaucoup mangé mais ce n’est pas arrivé jusque dans les jambes.» Assis sur un tonneau, entouré d’une nuée silencieuse, il a baissé la tête, perdant son sourire éternel.

Est-ce un «un concours de médecine» ?

L’ambiance sur le Tour est désormais crépusculaire. En salle de presse, les applaudissements ont laissé place aux rires gênés. Sur la route, la joie s’est envolée, malgré des paysages à couper le souffle, comme la descente du Cormet de Roselend vers le lac du même nom et sa petite chapelle épousant de ses deux cloches les eaux translucides. En bord de route, les spectateurs sont souvent sceptiques. Dans le grand cirque du Tour, Jojo le Clown est un fidèle parmi les fidèles. Il demande : «Ils ne prennent pas du haschich quand même ?» Ou ce papy à l’ombre d’un chalet. Moustache en U inversée, tee-shirt figurant des oies. Il pense que c’est «un concours de médecine» qui se joue en ce moment et émet une proposition radicale : qu’un «laboratoire pharmaceutique sponsorise une équipe».

Dans la Loze, Fred, le père, avec ses deux fils, qui évoluent tous deux à un bon niveau en Vendée, vont plus loin : «Ça nous discrédite, c’est ça le problème. Ensuite, quand on fait du vélo, on dit de nous qu’on se dope.» Un des deux gamins lève la voix : «Vingegaard, on l’appelle le rat de laboratoireOn dirait que c’est un robot. Il n’a jamais un coup de moins bien. On fait du vélo, on connaît quand même.» Le père fait tourner la machine à souvenirs : «Ça fait repenser à Floyd Landis, à Christopher Froome, aux années Lance Armstrong.»

Entre les records d’ascension des années 90 qui sautent un à un et les écarts en contre-la-montre dignes de Jacques Anquetil, le doute n’avance plus à pas feutrés. Pas seulement dans la tête des suiveurs mauvais coucheurs. Avant le départ de la 17e étape, l’inspection antidopage a rendu une visite surprise aux coureurs de la Jumbo-Visma et d’UAE, les soumettant à des tests sanguins. «J’applaudis cela. Nous franchissons ainsi une nouvelle étape dans la lutte contre le dopage», a commenté Richard Plugge, le patron de la formation néerlandaise, auprès du site Wielerflits, soulignant que son protégé avait été soumis à pas moins de quatre analyses de sang en moins de quarante-huit heures.

«Maillot jaune testé tous les jours»

Devant son car à l’altiport de Courchevel, interrogé sur ces suspicions, le patron de Tadej Pogacar, Mauro Gianetti, a rejeté la tête en arrière. L’homme est un savant : il est l’ancien manager de Riccardo Ricco, à la Saunier-Duval, dégagé du Tour 2008 après un contrôle positif à l’EPO. Dans un demi-sourire, Gianetti répond : «Elles n’ont pas de fondations, d’aucune sorte.» Chez les autres équipes, c’est, officiellement, un non-sujet. Guillaume Martin de la Cofidis a pédalé à côté : «Je ne suis pas encore consultant, commentateur… On essaie déjà de se concentrer sur notre course, c’est bien assez dur pour ne pas se concentrer sur celle des autres.» En conférence de presse, Jonas Vingegaard a juré sur la tête de son enfant : «Je peux dire, la main sur le cœur, que je ne prends rien que je ne pourrais donner à ma fille. Et je ne lui donne pas de “drugs“.»

Le patron du Tour, Christian Prudhomme, s’est lui aussi défendu sur France Info : «Les contrôles sont faits par une agence indépendante, l’ITA, qui teste dans une cinquantaine de disciplines différentes, et c’est ce que nous souhaitions autrefois, lorsque nous étions englués dans des affaires. Le maillot jaune est testé tous les jours, les vélos aussi.»

Puisque tout va bien, il ne reste plus qu’à retrouver sa foi de charbonnier, comme Lise, Danoise, croisée devant son camping-car avec ses deux enfants et son mari. Elle dit : «Ils sont propres, on doit le croire, sinon ça ne sert à rien de regarder le Tour.» Elle insiste : «On doit y croire.» Ou Nicolas, venu exprès de Lozère, déguisé en moine, prêt à rendre sourd le peloton avec son mégaphone d’une main et le sanctifier avec sa croix de l’autre. Il jure : «Je vais bénir les coureurs, du premier jusqu’au dernier. Tous méritent le paradis, autant qu’ils sont.» Ainsi soit-il.

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