LES MONTAGNES DU TOUR DE FRANCE

 Ce mercredi, la montagne ouvre ses portes au Tour. Les Pyrénées d’abord, auxquelles succéderont le Massif central, le Jura, les Alpes et les Vosges, les cinq massifs majeurs français. Peut-être parce qu’à mesure qu’ils grimpent ces sommets, les coureurs du Tour de France entament un peu de leur grandeur, Libé a ouvert les guillemets à cinq d’entre eux, dont quatre œuvrent en ce mois de juillet. Ils content leurs souvenirs et déclament, avec une passion réelle, leur amour pour leur montagne.

Les Pyrénées : «Une grandeur et une certaine quiétude»

Quentin Pacher, 31 ans, Groupama-FDJ

«Les Pyrénées, je ne dirais pas que j’en connais chaque recoin, mais je sais où je mets les roues, c’est certain. C’est là que sont mes premiers souvenirs de vélo en montagne. Je suis originaire de Dordogne, et c’est le massif le plus proche, on y allait en vacances l’été avec mes parents, souvent à Barèges, au milieu du col du Tourmalet, ou bien parfois entre le col de Peyresourde et de l’Aspin, à Arreau. J’emmenais mon vélo, on grimpait un col par jour avec mon père. Le premier que j’ai vraiment monté, j’avais 13 ou 14 ans, c’était le Tourmalet. Un moment toujours spécial, la journée que j’attendais pendant toutes les vacances.

«En course, c’est toujours une émotion particulière quand j’arrive dans ce massif. J’ai envie de briller. Mon premier Tour de France, en 2020, la première étape pyrénéenne arrivait au lac de Loudenvielle, avec sur le chemin les cols de Menté, du Port de Balès et de Peyresourde. Ce jour-là, je crois que j’étais le premier attaquant, et ça a déclenché la bonne échappée. J’ai dû terminer 7e, mon premier top 10 sur le Tour. Ça m’a marqué parce que si j’avais dû cocher une seule étape où j’avais envie d’être à l’avant, acteur, ça aurait été celle-là.

«Les Pyrénées recèlent à la fois une grandeur et une certaine quiétude. J’aime bien trouver des nouvelles routes sur lesquelles je n’ai jamais roulé. Parfois, ça consiste surtout à monter jusqu’à des culs-de-sac. A la sortie du confinement en 2020, j’avais besoin de m’évader, je m’étais lancé dans une traversée des Pyrénées en quatre jours en partant de Collioure, en bord de Méditerranée, jusqu’à Biarritz et l’océan Atlantique, en reprenant la route historique des cols, qui est aussi la route du premier passage du Tour dans les Pyrénées, en 1910. Mon père m’accompagnait. J’y ai découvert une telle richesse… Les cols du Pays basque sont très raides, assez courts, pas du tout les mêmes caractéristiques que ceux des Hautes-Pyrénées, qui montent en altitude et sont plus roulants. Dans la partie ariégeoise, les routes sont un peu granuleuses, moins linéaires, c’est encore plus sauvage. Faut pas se retrouver en rade mécaniquement…

«J’ai emménagé à Toulouse quand j’étais au sport études et donc, petit à petit, je me suis entraîné sur ces routes, et un ami a un gîte à Massat, au cœur des Pyrénées ariégeoises. Au-dessus du village, ça fait une fourche : à gauche on monte le Port de Lerse, à droite le col d’Agnès. Et là, il y a une espèce de petit bar, ouvert l’été. J’aime m’y arrêter pour boire un coup pendant les sorties. Je bois pas des bières, ça c’est sûr !»

Le Massif central : «Tu roules en remontant le temps»

Romain Bardet, 32 ans, DSM

«L’étape entre Vulcania et Issoire, le 11 juillet : l’un de mes petits coins de paradis. On va prendre le plateau du Cézallier en quittant le Sancy pour revenir vers Issoire. J’adore. On passe quasiment dans le Cantal, mais pour moi, ça attaque vraiment quand tu tournes à gauche dans Besse et que tu prends le plateau du Cézallier. Ça fait des images de steppes. Magnifique. Et là, tu vois tous les plateaux. Clermont, Issoire, la Limagne, puis tout le côté qui va sur le Cantal. C’est vide, il n’y a jamais une seule voiture, c’est exposé au vent. Sur l’étape, on va monter quelques cols au début dans le Sancy, puis passer le Mont-Dore, la croix Saint-Robert, ce n’est jamais très dur, c’est surtout très vallonné. Tu roules en remontant le temps. Que des hameaux très ruraux. Il y a des petits foyers de ski de fond, avec le manque de neige il ne reste surtout que des vieux panneaux, des vieilles installations.

«Je prends ces routes depuis tout petit, quand j’avais 14 ou 15 ans. Depuis mon club de Brioude, on se dirigeait vers Blesle, l’un des plus beaux villages de France, et on montait sur Anzat-le-Luguet. Et là, le Cézallier. Entre Brioude et Clermont-Ferrand, où j’habite, il y a 70 kilomètres, sur des routes qu’on peut dire chiantes. Moi, je préfère prendre une boucle de 150 ou 160 kilomètres en passant par le Cézallier.

«Au-dessus de Besse, direction Compains, il y a un lac, l’un des plus beaux d’Auvergne. J’aime y monter en van – j’en ai marre des hôtels – avec ma compagne et mon fils, y faire un barbecue. C’est préservé, des gens et du temps. Dans la région, depuis quelques années, je n’arrive plus à rouler dans le Sancy l’été, autour du Mont-Dore, La Bourboule, Aydat, le lac Chambon. Noir de monde. J’en reviens pas. Ça a bondi depuis le Covid. Tout est plein, tu fais la queue pour acheter une pizza le soir, avec l’impression d’être sur la Côte d’Azur.»

Le Jura : «Chacun son yaourt fermier»

Alexis Vuillermoz, 35 ans, TotalEnergies

«Je me souviens des arrêts dans les crémeries. Quand j’étais enfant, que je débutais à l’école de cyclisme, il y avait les papys accompagnateurs, des bénévoles âgés et très protecteurs. Pendant les pauses, ils nous faisaient reprendre des forces dans des fromageries sur la route. Chacun son yaourt fermier. Ça fait pas loin de trente ans et je m’en souviens toujours. C’est quelque chose que j’aimerais pouvoir partager plus tard avec mon fils. En cadet, après l’entraînement et les coups de chaud, on se baignait dans de grosses fontaines, ou dans des lacs. Le Jura a une terre calcaire, qui donne à l’eau une teinte turquoise. Le lac de Vouglans, une grande retenue près de Saint-Claude, la ville où j’ai grandi, garde toujours cette couleur émeraude magnifique, avec tout autour beaucoup d’érables et de sapins, d’où le surnom de petit Canada – le Jurassien est fier de ses terres.

«Personne de ma famille ne vient du monde du vélo, mais mon grand-père m’a donné l’amour de la montagne. Il avait des ruches, alors on partait s’occuper des abeilles, se balader dans la nature, faire le bois pour l’hiver ou l’entretien des parcelles. J’adorais le suivre. C’est vrai que j’ai une certaine relation avec les arbres et la nature… Au milieu de la plaine, je me sens oppressé. Depuis 2010 et la fin de mon master en banque et assurance à Perpignan, je vis dans les Pyrénées, pas loin d’Argelès. J’ai besoin de faire des kilomètres l’hiver et il y a beaucoup d’épisodes de froid dans le Jura. Même si ce ne sont pas les mêmes températures et hygrométrie, je retrouve dans les Pyrénées cette montagne pas dénaturée par le tourisme de masse, quelque chose d’authentique.

«Ça me manque parfois de m’entraîner sur mes routes de jeunesse. J’aime ces montées qui s’enchaînent, pas longues, une dizaine de kilomètres, ce n’est pas aussi monotone qu’un long col de 30 bornes. De vraies routes de montagne, rugueuses. Dans le Jura, j’ai encore ma mère, mes cousins, pas mal de monde. J’y remonte parfois pour les fêtes de famille, mais l’activité de coureur représente quasiment «150 jours parti», pr d’un jour sur deux loin de chez soi. Lors du Tour de France 2017, on est passé dans mon village de Chevry, une commune de Saint-Claude. A l’époque, c’était la Sky qui menait pour le train de Froome. J’avais tout fait pour prendre l’échappée. Je n’avais pas réussi malheureusement. Mais quand on est passé à Chevry, j’étais monté en tête du peloton, à quelques centaines de mètres de la maison familiale. Tout le village m’attendait.»

Les Alpes : «Je me sens libre»

Aurélien Paret-Peintre, 27 ans, AG2R

«Je suis né à Annemasse. Mon nom de famille, Paret-Peintre, est originaire de Saint-Colomban-des-Villards, dans le col du Glandon. Il y avait à l’époque énormément de parets dans ce village, une sorte de luge typique des Alpes et de la vallée de la Maurienne et, dans le temps, on ajoutait la profession derrière. Mon ancêtre devait donc être peintre. J’ai tout de suite été baigné dans les lieux mythiques comme le Galibier. Je pense d’ailleurs au Galibier quand on me demande mon col préféré. Déjà, c’est un des cols les plus hauts qu’on puisse escalader à vélo, à plus de 2 600 mètres. Quand on arrive avant les neuf derniers kilomètres, au niveau de ce qu’on appelle Plan Lachat, la partie raide juste après Valloire, on voit une étendue de rochers, des aiguilles en face de nous, la neige qui n’a pas encore complètement fondu sur le sommet des montagnes : l’image type des Alpes.

«Au-dessus d’une certaine altitude, il n’y a plus de végétation, il ne reste que des pierres abruptes, on voit les parois qui montent. Plus on est haut, moins l’horizon est bloqué. Au sommet, je perçois la fraîcheur, les résonances, le calme. Je me sens libre. Bien sûr, ce n’est pas toujours agréable de monter un col routier en plein mois de juillet, c’est un peu l’autoroute, mais en mai et juin, ça reste très sauvage. A l’entraînement, à cette période, on peut voir des marmottes traverser la route, même des bouquetins.

«Ici, les ascensions sont longues, régulières, avec du beau bitume dû aux stations de ski, et une pente moins raide que dans les Pyrénées, où l’on monte en serpentant dans les forêts. On parle de montées : moi, j’adore les descentes, le pilotage, les trajectoires, les courbes, la vitesse dans les grands espaces, sans stop. Les routes sont plus larges qu’ailleurs, on prend souvent un peu plus de vitesse, c’est un peu moins technique. Quand on habite la région, on a toujours des qualités de descendeur en nous. Je ne dirai pas que c’est inné, mais pas loin.»

Les Vosges : «Chanterelles, pieds-de-mouton et lépiotes»

Axel Zingle, 24 ans, Cofidis

«Mes parents habitent vers Mulhouse mais mon père est originaire de Soultzeren, un petit village au fond de la vallée de Munster, tout en longueur, avec des maisons qui s’étendent de 400 mètres d’altitude à 800 ou 1 000 mètres. C’est un village qui a été complètement détruit pendant la Première Guerre mondiale, reconstruit de bric et de broc, avec des fermes disséminées à flanc de montagne, dans une vallée très lumineuse, très verte. Il y a beaucoup de points de randonnée, de lacs aussi et même une station de sports d’hiver. Soultzeren, c’est ma Madeleine de Proust.

«C’est mon premier Tour de France et il va passer là, dans le village, à quelques mètres à peine de la maison de vacances familiale. Forcément, les souvenirs remontent. On y passe à l’avant-dernière étape, juste avant Paris, une motivation supplémentaire pour ne pas abandonner en cas de chute, de maladie, de méforme, ou que sais-je. Même si je n’habite plus en Alsace, je ressens toujours ce besoin de venir sur ces routes. Je roule régulièrement sur le parcours de l’étape, l’enchaînement Petit Ballon et Platzerwasel, puis la route des Crêtes jusqu’au Markstein. Le Platzerwasel est un col très dur, j’ai déjà attendu des copains pendant plus de vingt minutes au sommet. Je leur avais offert une part de tarte aux myrtilles dans une auberge au sommet du Grand Ballon pour me faire pardonner.

«Ma grande passion, transmise par mes grands-parents, c’est d’aller chercher des champignons. A Soultzeren, on trouve beaucoup de girolles, mes préférés, et aussi des chanterelles, des chanterelles d’automne, des pieds-de-mouton, de très bons petits champignons. On retrouve aussi des cèpes, des lépiotes dans les prés, et même des morilles au printemps. C’est assez difficile à trouver, des espèces de petits cerveaux qui poussent sous les troncs, il faut avoir l’œil et être très délicat pour les extraire. Les forêts vosgiennes sont belles parce qu’elles sont accessibles, pas broussailleuses. Tout est recouvert de mousse. Le sol est en grès et, parfois, dans la bruyère, en hauteur, on a l’impression d’être sur un terrain très aride, sec. On se croirait dans le sud de la France.

L’étape du Tour, ce n’est pas vraiment pour mon profil, il y a peu de chances que je la remporte. Mais tout au long du parcours, je sais que je serai porté par ces souvenirs.»

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