LES ALGUES VERTES

 Jolivet aurait certes pu tabler sur un docufiction ou un film-enquête vérité. Il a préféré injecter du romanesque et créer de beaux personnages. Son long-métrage en forme de polar, tendu, nerveux, sans la moindre graisse, n’en reste pas moins une adaptation scrupuleuse du roman graphique d’Inès Léraud, dessiné par Pierre Van Hove, et paru en 2019, Algues vertes. L’histoire interdite.

Vendue à plus de 150.000 exemplaires, cette BD avait mis au jour le scandale de la pollution du littoral breton par les algues vertes. Et cela, malgré une série de pressions de toute nature venant pêle-mêle du lobbying agroalimentaire, d’une forme de déni régional, d’intimidations et menaces diverses et variées, sans oublier le silence gêné des édiles, voire la disparition fortuite de certains dossiers sensibles.

Dans l’album, l’enquêtrice n’apparaît pas. L’histoire se livre telle quelle dans toute sa tragique vérité. Pierre Jolivet ne s’en est pas laissé conter. Il a voulu filmer une héroïne, parce que l’époque en a besoin. Pour cela, il a choisi avec pertinence Céline Sallette. L’actrice de L’Amour flou incarne avec justesse cette jeune journaliste d’investigation, spécialisée dans les questions environnementales qui aura réussi, pour cette enquête au long cours, à jeter un pavé dans la mare armoricaine. Là même où l’omerta celte n’a rien à envier à celle de la Corse.

En se focalisant sur cette Erin Brockovich à la française, Jolivet réussit son coup. Le spectateur s’immerge dans l’enquête sans barguigner. Avec sa douce détermination, l’héroïne tend son micro à tous ceux qui veulent lui parler, et aussi à tous les autres qui tentent de l’éviter. Dans un bar des Côtes-d’Armor, un agriculteur viendra lui dire: «Ne vous amusez pas à foutre par terre notre belle région!»


Un homme politique, interprété par Jonathan Lambert, lui fait observer qu’elle est «la femme à abattre, parce que tout le monde a peur dans cette affaire». Julie Ferrier, qui interprète la veuve d’un des deux hommes victimes du H2S, le gaz mortel s’échappant de ces fameuses algues toxiques (ayant également tué un cheval et 36 sangliers), explique à l’enquêtrice qu’«il faut comprendre qu’ici chaque famille a quelqu’un qui travaille dans l’agro».

Rien n’arrêtera cette lanceuse d’alerte. Jolivet montre le courage et la révolte d’une personne qui tient à tout prix à faire surgir les faits dans leur exactitude. Le film décortique tous les mécanismes en action pour nier l’évidence. On pense au film américain Dark Waters (2019) de Todd Haynes, ou encore à La Fille de Brest (2016) d’Emmanuelle Bercot, sur le scandale du Mediator.

Tourné en Bretagne, le long-métrage est souvent filmé caméra à l’épaule (respectant ainsi le droit d’usage), car le réalisateur n’a pas obtenu d’autorisation de tournage sur les lieux exacts des investigations, qu’il s’agisse d’une déchetterie ou de la plage de Saint-Michel-en-Grève. Le résultat n’en est que plus palpitant, avec cette forme d’urgence frémissante qui colle bien au film.


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