Madeleine Riffaud: résistante un jour, rés






En août 1944, lors du soulèvement de Paris, Madeleine Riffaud commande un détachement de la compagnie Saint-Just. Presse

Madeleine Riffaud: résistante un jour, résistante toujours

Cet été, Le Figaro Magazine publie en exclusivité le tome II de Madeleine, résistante, récit en bande dessinée du destin héroïque d'une jeune femme dans le Paris de l'Occupation.

Une femme de tempérament

Résistante, écrivain, poétesse, grand reporter, Madeleine Riffaud eut un destin romanesque au mitan du XXe siècle. Grâce à sa personnalité, hors du commun. Aux gens qui lui rendent visite, cette presque centenaire (qui fumait encore le cigarillo il y a quelques années) réserve ses meilleurs whiskys japonais (elle en raffole). Dans sa chambre, où elle nous accueille avec le scénariste Jean-David Morvan, elle peste contre son nouveau jouet « Allo Google » qui ne fonctionne plus pour allumer sa lampe de chevet… La voix est forte, vibrante, reconnaissable entre mille. Madeleine Riffaud n'est pas du genre à se laisser faire par une application à la mode. Résistante un jour, résistante toujours !

À 98 ans, Madeleine Riffaud revendique une mémoire intacte. Presse

C'est donc ici que vit l'héroïne réelle de Madeleine, résistante. Paru en 2021, le premier tome de cet album de bande dessinée majestueux a pris tout le monde par surprise. Son succès public et critique a dépassé toutes les espérances : plus de 80.000 exemplaires vendus.

Mais pourquoi diable Madeleine Riffaud a-t-elle un jour souhaité raconter sa vie en BD ? « Parce que Jean-David Morvan me l'a proposé, lance-t-elle en souriant. En fait, je ne connaissais pas les BD actuelles. J'avais le souvenir de celles que j'avais eues étant enfant. Alors, je lui ai bêtement dit au téléphone : “Non ! Je ne veux pas me retrouver en Tintin et Milou ! Vous vous trompez d'adresse. Au revoir et bonne chance !” »

Jean-David Morvan confirme : « En réalité, tout avait commencé en 2017, alors que je venais de publier l'album Irena, chez Glénat. L'album racontait l'histoire vraie d'une héroïne oubliée, la résistante polonaise Irena Sendlerowa, décédée en 2008. J'étais frustré de n'avoir pu la rencontrer à temps. Quelque temps plus tard, j'ai visionné le documentaire Résistantes, signé Philippe Hurel. J'ai tout de suite voulu faire la connaissance de Madeleine Riffaud, qui s'exprimait dans ce film avec deux autres résistantes. J'ai fini par l'appeler un jour, en fin d'après-midi. Croyez-moi, je me suis fait recevoir ! »

Le lendemain, un « vieux copain » de Madeleine lui rend visite : le réalisateur espagnol Jorge Amat. « Je lui raconte l'affaire, se souvient-elle, et là, il me dit :“Ah, mais au contraire, c'est très intéressant.” Zut, me dis-je, je l'ai foutu dehors, moi ! Je n'ai pas pris son numéro de téléphone. Heureusement, Jean-David ne s'était pas découragé et m'a rappelé. »

Grâce à Jean-David Morvan et au dessinateur Dominique Bertail, Madeleine Riffaud est devenue une héroïne de bande dessinée. Dupuis

Cette fois, l'accueil sera bien meilleur. Le scénariste de Sillage apprivoise la vieille dame récalcitrante comme le Petit Prince le fait avec la rose. Quand ils se voient chez elle, Madeleine Riffaud lui propose de s'asseoir dans un fauteuil. « Elle m'a précisé que c'était celui où Raymond Aubrac avait l'habitude de s'asseoir, souffle-t-il. Finalement, c'est devenu le mien… » Ils entament une série de conversations. Morvan enregistre des centaines d'heures de discussions. Madeleine ajoute :« D'abord, on est devenus copains. Et puis, on est devenus amis. C'est un type formidable. On travaille ensemble, voilà. On dirait qu'on a le même âge. Cette complicité entre nous, ce sont les mystères de la vie… »

Jean-David Morvan, véritable cheville ouvrière du projet, a rapidement l'intuition qu'il doit travailler avec un dessinateur réaliste. Il contacte Dominique Bertail, un ami avec qui il a déjà collaboré en 2014 sur l'album Magnum Photos. Omaha Beach, 6 juin 1944, chez Dupuis. « Nous avons discuté de ce projet à la terrasse d'un café, rappelle le dessinateur de Mondo Reverso et de Ghost Money. J'étais alors un peu dubitatif. Mais Jean-David a su me convaincre. Il m'a présenté Madeleine. Je suis allé chez elle une nuit. Elle m'a raconté sa vie pendant deux ou trois heures. C'est une narratrice hors pair. J'étais sous le charme. Je suis ressorti dans la rue galvanisé. Pour moi, c'était comme une évidence. Je devais le faire. »

«On fait la vérité, on raconte l'histoire»

Les séances de travail se mettent en place. Sur les bases du récit détaillé de Madeleine, Morvan et Bertail imaginent la meilleure forme possible pour raconter cette période de sa vie. « L'avantage, note-t-elle, c'est que j'ai une très bonne mémoire. Je me rappelle tout ce que j'ai vécu. » Sur le plan romanesque, Jean-David Morvan décide d'opter pour un récit en épisodes. « Je voulais éviter l'écueil des “BD Wikipédia” avec des personnages collés sur des décors d'après photo, analyse Morvan. Nous souhaitions aussi que ce soit une bande dessinée de genre, avec de l'action, à la Tintin, et dans la tradition franco-belge. J'ai supprimé toutes les scènes d'exposition pour n'enchaîner que les séquences d'action. J'ai également pris la décision d'employer le tutoiement dans le texte en voix off. Cela favorise l'immersion. Cela donne le sentiment que Madeleine parle au lecteur. Comme dans le tome I, ce deuxième volet progresse par séquences. Les histoires racontées fonctionnent comme des courts-métrages. »

Nombreux ont été ceux qui ont raconté la vie quotidienne à Londres. Mais celle des résistants dans la capitale, presque jamais.

Madeleine Riffaud

Madeleine Riffaud relit régulièrement le scénario. « Parfois, lorsque je ne suis pas d'accord, je leur dis, intervient-elle. Ces deux-là sont venus à moi pour faire une histoire. L'Histoire, ils ne la connaissent pas. Ils n'étaient pas nés. Alors moi, je leur dis :“Ce n'est pas comme ça, c'est comme ça.” Et voilà. Ce n'est pas méchant. C'est seulement la vérité. Nous, on fait la vérité. On raconte l'Histoire. » Quand on demande à Madeleine Riffaud si ce deuxième tome n'est pas plus sombre que le premier, elle répond du tac au tac : « Non, c'est la vie quotidienne dans Paris occupé. Nombreux ont été ceux qui ont raconté la vie quotidienne à Londres. Mais celle des résistants dans la capitale, presque jamais. »

En dessinateur rigoureux, Dominique Bertail avoue qu'il a eu du pain sur la planche. « Madeleine ne raconte pas sa vie par désir de se mettre en avant, reconnaît-il. Elle veut transmettre tout ce qu'elle a vécu pour toucher la jeunesse. Elle est en dialogue avec nous. Il nous est arrivé de la pousser dans ses retranchements. Moi, je l'ai beaucoup questionnée. Cela l'agaçait au début… »Toutes ces petites choses du réel auxquelles un historien ne peut pas penser, Madeleine l'a en elle. « Un exemple : les pistolets, une denrée rare utilisée avec discernement par la Résistance, poursuit l'artiste. Dans sa section, ils en possédaient deux. En ne cessant de lui demander des précisions, Madeleine s'est finalement souvenue qu'ils portaient des noms de code : Hector et Oscar. Hector tue, car il s'agit d'un gros calibre. Alors qu'Oscar touche, car le calibre est plus léger. Il sert en cas de dissuasion. Pour un dessinateur, c'est du pain béni. »

L'autre héros de la BD : Paris sous l'occupation

L'autre tâche importante de Dominique Bertail aura été de donner un visage graphique à Madeleine Riffaud. « Je ne voulais pas me servir de photos, même s'il en existe un certain nombre, détaille-t-il. Je me suis principalement servi du dessin de Picasso. Avec ses grands yeux noirs, sa Madeleine ressemble presque à une héroïne de manga. C'est à ce dessin-là que je me réfère tout le temps, car il est vivant et incarné. J'ai fait le visage de Madeleine très codifié, comme ceux de Tintin et Mickey. Je voulais qu'elle devienne un véritable personnage de bande dessinée. »

Le dessinateur Dominique Bertail et le scénariste Jean-David Morvan. Dupuis

Bien sûr, l'autre grand personnage de l'album, sur le plan graphique, c'est Paris. « Ça tombe bien, j'adore dessiner des villes, sourit l'intéressé. C'est à ce moment-là que j'ai eu l'idée de faire la série en camaïeu de bleu, à l'aquarelle. Le bleu est la seule couleur qui va du très clair au très noir. J'utilise un bleu indigo très particulier, le bleu de la nostalgie. Je ne voulais absolument pas employer la couleur pour cette période, car je me suis souvenu de la pellicule légèrement bleutée des films de Carné. Et puis, il n'y avait que les soldats allemands qui prenaient des photos en couleurs de Paris sous l'Occupation ! »

Hélas, Madeleine n'aura pas pu voir évoluer les dessins de Bertail, car elle est devenue presque aveugle depuis quelques années. « Je ne vais pas me plaindre, quand même, tranche-t-elle. J'ai déjà eu de la chance de m'en sortir miraculeusement. C'est ce que je dis souvent au père Mathieu, qui vient me voir régulièrement. Mais bon, c'est comme ça. Moi, j'ai encore envie de vivre. »

Avec de Gaulle entonnant le magnificat !

Soudain, un souvenir heureux lui traverse l'esprit et elle le raconte comme si elle avait de nouveau ses 20 printemps. « Un jour, un membre de l'état-major du général de Gaulle est venu me donner une citation à l'ordre de l'armée. C'est rare, vous savez, pour une petite jeune fille de 20 ans. » Et quand on lui demande si elle a rencontré le Général, elle répond : « Non, mais je me souviens l'avoir croisé dans la rue. C'était au moment de la libération de Paris. Il se dirigeait vers Notre-Dame. Moi, je passais par là avec un copain. Tout d'un coup, je vois de Gaulle. Je le suis. On se glisse à l'entrée. Pour mieux le voir, je me suis mise à quatre pattes. Lui, il s'est avancé tranquillement jusqu'à l'autel. Et là, il a entonné le Magnificat ! Il avait une voix superbe… Je vous jure que ça m'est arrivé. Il y a des histoires comme ça, on ne peut pas les inventer. »

Elle est ainsi, Madeleine Riffaud. Alors qu'elle affichera l'an prochain un siècle au compteur (le 24 août 2024 ), elle demeure une aventurière et une poétesse du moment présent, qui fait de sa vie une embardée permanente. Avec ce mélange rare de courage et de détermination, mâtiné d'une pointe de rébellion féminine et d'une profonde humilité (elle évoque à peine les semaines de tortures qu'elle a subies de la part de la Gestapo à l'été 1944), elle aura traversé le XXe siècle et bien entamé le suivant. Une existence extraordinaire, dont on retrouve les moments les plus glorieux dans cette somptueuse bande dessinée prépubliée cet été par Le Figaro Magazine.

Madeleine, Résistante, tome II, de Jean-David Morvan, Dominique Bertailet Madeleine Riffaud, Dupuis, « Aire libre », à paraître le 29 septembre. Dupuis
Sujets
  • Résistance
  •  
  • BD, Résistante, tome II, de Jean-David Morvan, Dominique Bertailet Madeleine Riffaud, Dupuis, « Aire libre », à paraître le 29 septembre. Dupui