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ETAPE 18

 


Reportage

Tour de France 2023 : la Loze, qui a eu cette idée folle d’inventer ce col ?


Après une démonstration de force du maillot jaune Jonas Vingegaard mardi lors du contre-la-montre, les coureurs du Tour escaladent ce mercredi le col de la Loze, ascension vertigineuse aux pentes assassines qui offrira peut-être une dernière chance à son rival Tadej Pogacar.
par Romain Boulho, envoyé spécial sur la route du Tour

Ce n’est pas un rond-point. C’est un traquenard. La Loze formait un lacis doux jusque-là. Pentu, mais pas ravagé comme après. Le col monte en serpentin vers Méribel, comme une couleuvre inoffensive. Et puis, la station dépassée, la Loze amorce ce tournant, au carrefour des pistes de ski. A 7 kilomètres du sommet, elle ouvre les portes vers son enfer. Sa route rétrécit, gondole. Des rampes abruptes, suivies de replats, avant des ressacs de pente. La déclivité bondit souvent par-dessus la barrière des 20 %. «Une des ascensions les plus dures du monde» pour le deuxième du classement général, Tadej Pogacar.

La Loze (28,1 km à 6 %), point culminant et apogée sportif de ce Tour de France ? L’an passé, dans une étape qui ressemblait à celle de ce mercredi 19 juillet entre Saint-Gervais-les-Bains et Courchevel, le Slovène avait explosé sur les hauteurs du Granon. Achevé par la cloison des 2 000 mètres d’altitude, là où l’oxygène se tarit ? Après le contre-la-montre de mardi, atomisé par le maillot jaune Jonas Vingegaard, les espoirs de Pogacar s’amenuisent encore. Il pointe à 1 minute 48 du leader de la course.

«Il faut être fou»

Lundi, deux jours avant le passage du peloton, les ahans des cyclistes amateurs brisent le silence de la montagne. Jean-Daniel et Liliane, couple à la retraite, ont les fesses posées sur des transats. Le premier lit un magazine de vélo, la deuxième noircit des grilles de mots croisées. Leur camping-car est collé à un talus. Depuis une semaine, ces Suisses de Nendaz accompagnent le Tour de France dans ses varappes : le Grand Colombier, la Ramaz, la Croix Fry… Jean-Daniel a des yeux éteints. Il est parti au point du jour, a expérimenté la Loze.

Dans les dernières rampes, il décrit une douleur qui s’insinue dans le corps, ne le quitte plus. A 50 mètres de la libération, «debout» sur sa machine, il a pensé poser pied à terre. Se laisser insoler, sous l’opulent squelette de la Dent de Burgin, qui domine la Loze et ses 2 304 mètres. «Il faut être fou pour grimper ça. Celui qui a inventé cette montée, ça doit pas être un qui fait du vélo.» Puis, l’altérité du cycliste. Il ajoute : «C’est vraiment bonnard. Faut aimer se faire mal, autrement on ne profite pas.» Il a dompté le Stelvio, la montagne sacrée du Tour d’Italie, il y a deux semaines. «Du pipi de chat à côté de la Loze.» D’ordinaire, Liliane suit ses ascensions, le chouchoute à 10 heures d’un en-cas pour éviter la fringale : une raclounette. Pas cette fois. La Loze, sur ses derniers kilomètres, n’accepte pas les véhicules et puis Liliane n’a «même pas pu marcher» avec «la petite», qui n’est pas une enfant mais une chienne geignarde. La pente l’a stoppée net.

«De l’extrême difficulté»

Jean-Daniel n’y croyait pas. Sa vieille carte Michelin n’indiquait même pas le col. En vérité, les dernières portions de la montée ont été goudronnées en 2019. Le maire des Allues, Thierry Monin, explique que le chemin existait depuis plusieurs années mais n’était emprunté que pour l’entretien estival des remontées mécaniques. «On a seulement déposé un tapis d’enrobé.» Et créé un mythe. Aubaine pour le Tour. La Loze, «ascension unique, d’un type nouveau, avec des ruptures de pente hallucinantes, n’a pas d’équivalent», remarquait le patron de la course, Christian Prudhomme, en 2021. Philippe Colliou, directeur du Tour de l’Avenir, première épreuve à avoir escaladé le col en 2019, indique : «La Loze, c’est de l’extrême difficulté. C’est aussi une nouvelle façon de voir les choses : la course n’emprunte plus une route destinée aux voitures, mais une voie créée pour les vélos.» Le Tour l’a inscrit une première fois à son programme en 2020. Beaucoup finirent exsangues.

Mais l’enfer ne refermera pas ses portes au sommet. Il y a, peut-être, plus effrayant que l’ascension : la descente périlleuse, vers l’altiport de Courchevel, dernière rampe de la journée. Les organisateurs, encore hantés par le souvenir de la mort de Gino Mäder lors du Tour de Suisse fin juin, ont placé d’énormes matelas de protection, utilisés lors des championnats du monde de ski à Courchevel et Méribel en février. Pour y arriver, les damnés du peloton devront d’abord vaincre la première face. Sous les télésièges, entre les barres métalliques des canons à neige, la Loze se tord de rire. La meilleure blague de toute la vallée : ce col qui frit à la poêle les cyclistes est une piste verte ou bleue l’hiver, destinée aux skieurs débutants.

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