Les Britanniques, mais aussi le reste du monde, célèbrent pendant quatre jours les soixante-dix ans de règne de la monarque de 96 ans. Un moment de liesse commune bienvenu dans un pays malmené ces dernières années.

par Sonia Delesalle-Stolper
publié le 2 juin 2022 à 20h08

La foule immense, les drapeaux flottant au vent, les bannières, les fanions, le Pimm’s, les gin and tonic, les scotch eggs, les sandwichs au concombre et ceux aux œufs durs hachés pour les pique-niques des «street parties», la foule encore, dans les rues, aux fenêtres, étalée dans tous les parcs, les perruques et les tenues aux couleurs de l’«Union Jack», les gâteaux crémeux, les chevaux chamarrés, les uniformes rutilants, les toques en peau d’ours, les rires, les larmes, les cris d’hystérie, les chapeaux de toutes les couleurs, so kitsch mais si drôles, la pompe mais aussi la joie, pure et brute, dans les rues du royaume. Depuis ce jeudi et pour quatre jours, les Britanniques, et nous avec, célèbrent leur souveraine, petite silhouette colorée en haut d’un balcon, celle d’une très frêle vieille dame de 96 ans qui agite lentement une main gantée de blanc. Pour la énième fois depuis soixante-dix ans.

Ce jubilé est une célébration, celle d’une longue vie au service du royaume. C’est aussi un instant qui s’inscrit après plusieurs années éprouvantes au Royaume-Uni, entre le Brexit, les divisions qu’il a entraînées au sein de la société, la pandémie et ses confinements répétés. Les bonnes nouvelles venues d’outre-Manche se sont faites rares ces derniers temps. Les remous politiques autour d’un Premier ministre, Boris Johnson, de plus en plus discrédité, n’en finissent plus et reprendront sans doute de l’ampleur la semaine prochaine, avec la possibilité d’un vote de défiance à son encontre au Parlement. Six ans presque exactement après le référendum, les bénéfices promis du Brexit se font lourdement attendre. L’inflation augmente, les inégalités se creusent, les banques alimentaires se multiplient, la guerre en Ukraine pèse sur tous les esprits.

Une fascination qui ne s’éteint pas

Mais pendant ces quelques heures suspendues, les regards braqués sur le Royaume-Uni sont soudain à nouveau positifs et, pour les Britanniques, c’est sans aucun doute précieux. Dans les rues, les sourires entendus s’affichent, sans masques, sans restrictions, on lève un verre, ou deux ou trois, à la santé du seul sujet qui, à ce jour, rassemble sans aucun doute tout le pays, y compris les républicains. La reine Elizabeth II suscite le respect et rassemble. C’est un fait, depuis soixante-dix ans.

Pourquoi cette fascination pour the Queen ? Au Royaume-Uni, mais aussi ailleurs. Il suffit pour cela de regarder le nombre de programmes télévisés qui ont suivi jeudi matin, en direct et pendant des heures, un défilé militaire et une apparition au balcon, en France, en Allemagne, aux Etats-Unis et dans le monde entier. Pourquoi cet engouement, cette fascination qui ne s’éteignent pas ? Pas pour la famille royale britannique mais vraiment pour la reine Elizabeth II, montée sur le trône le 6 février 1952 à la mort de son père, le roi George VI, et couronnée le 2 juin 1953, après une année de deuil.

Peut-être parce que, dans un monde dont les mouvements deviennent de plus en plus vertigineux, la souveraine, qui règne sur une île et demie, est ce qu’on appelle dans le langage maritime un amer. Un «point de repère fixe et identifiable sans ambiguïté». Un peu comme la tour Eiffel. Sauf qu’Elizabeth II est un monument qui respire, qui vit une vie certes très différente de celle du commun des mortels, mais une vie tout de même avec ses joies et ses grandes peines. Les Britanniques ont grandi avec elle, le paysage outre-Manche est presque inconcevable sans sa présence.

Pourtant, l’inévitable se produira un jour. Sans doute pas si lointain. La reine ne sera plus. C’est aussi pourquoi ce jubilé, moment de joie et de célébration, ressemble aussi au début d’un long et doux adieu.