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Débarquement en Normandie. Et Cherbourg devint le premier port du monde
Port hautement stratégique, Cherbourg est dans la ligne de mire des Américains débarquant à Utah Beach. Après la libération de la ville, son activité s'intensifiera très rapidement
Depuis le fort du Roule, sur les hauteurs de Cherbourg, c’est une scène de désolation que contemple le général Collins, commandant du septième corps d’armée américain. En ce 26 juin 1944, tandis que la ville vit ses derniers combats, le port n’est plus qu’un amas de ruines fumantes, déployant ses meurtrissures de l’arsenal jusqu’au port des Flamands.
Un triste spectacle pour les soldats américains qui viennent d’arriver à Cherbourg, vingt et un jours après le Débarquement. Les stratèges alliés avaient prévu qu’ils mettraient seulement 8 jours pour remonter le Cotentin et atteindre Cherbourg.
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Saccagé
Car en préparant les plans du Débarquement, les Alliés savaient qu’ils avaient besoin rapidement d’un vrai port pour y débarquer leur matériel lourd. Et ce port, c’était celui de Cherbourg, accessible 24 heures/24, offrant un immense abri aux liberty-ships grâce à sa grande rade. C’est pour cette raison que Collins a demandé à ses soldats de mettre les bouchées doubles pour atteindre Cherbourg le plus rapidement possible.
C’est pour la même raison que les Allemands leur ont résisté. Puis saccagé méthodiquement les installations portuaires cherbourgeoises quand ils ont vu qu’ils ne tiendraient pas face à la poussée américaine.
Saccagé, le mot n’est pas trop fort. Le 20 juin, tout le port est miné. Le 23, c’est au tour de la gare maritime et du dépôt SNCF d’être dynamités. Puis, le lendemain, celui du pont tournant. Sans oublier l’incendie de l’arsenal, fermé depuis le 12 juin. Quais, digues, grues et autres batardeaux sont désormais inutilisables. Un « exploit » dont Hitler lui-même s’était félicité en décorant de la Croix de fer l’amiral Hennecke, responsable de ces destructions.
Pour le colonel du génie américain Viney, qui sera chargé du plan de reconstruction du port, la démolition du port de Cherbourg est même « une œuvre de maître, sans aucun doute la plus complète, la plus profonde et la plus préparée de l’histoire ».
On trinque au champagne… et au vin des Allemands !
Au matin du 27 juin, la ville se réveille groggy mais euphorique. Émile Le Canu, adjoint au maire et pharmacien, sort en hâte pour avoir confirmation de la nouvelle :
À la mairie, nous voyons arriver les officiers américains. Tout le monde est joyeux. Les Américains ont vite fait de rassembler autour d'eux des Français : l'un joue du banjo, un autre de la guitare, ils chantent des chansons américaines et pendant ce temps, il y a des Américains qui prennent des films. À midi, à la maison, nous buvons le champagne et nous trinquons à la France.
Les Américains eux aussi soufflent un peu et trinquent à leur première grande victoire en Normandie, comme le raconte le général Omar Bradley dans ses mémoires (Histoire d’un soldat) : « Les forces de Von Schlieben, prévoyantes, avaient stocké des réserves dans leurs abris souterrains pour une campagne prolongée. Et tandis qu’ils se conformaient scrupuleusement aux ordres de démolition des installations du port, leurs cœurs de soldat se rebellèrent devant le sacrilège qu’aurait constitué la destruction ou la perte de bon vin et de bon cognac. Résultat : nous héritâmes non seulement d’un port transatlantique, mais d’une énorme cave bien remplie. »
Le temps de la reconstruction
Mais la fête est de courte durée. Car il faut s’attaquer à reconstruire ce que les Allemands viennent de détruire. C’est d’abord un long et dangereux travail de déminage qui attend les dragueurs. Ils commencent dès le 25 juin à dégager les chenaux d’accès au port, alors même que Cherbourg n’est pas encore libéré. Ils relèveront entre quinze et vingt mines flottantes par semaine dans la rade. Mais dans les espaces plus exigus, comme les épaves, il faut recourir aux scaphandriers. Ils sont 80, Anglais et Américains, à plonger dans les eaux troubles pour neutraliser les mines larguées par les Allemands.
À terre, les hommes se retroussent également les manches et commencent, dès le 6 juillet, à déblayer les épaves de la plage Napoléon et de la digue de Querqueville. Pour rebâtir les quais au plus vite, on va utiliser essentiellement du bois et bientôt, de larges pontons viennent border les bassins et la darse des Mielles.
À la fin du mois d’octobre, ce ne sont pas moins de 117 postes d’accostage qui sont en place, la plupart sur des appontements en bois. Sans compter les rampes en béton prévues pour les véhicules amphibies et les postes pour le matériel ferroviaire. Un vrai tour de force, comme en témoigne Jack Letourneur, âgé de 12 ans en 1944 :
Sur le port, ça n'arrêtait pas, entre les équipes chargées de déblayer les gravats des destructions opérées par les Allemands, et les équipes chargées de la reconstruction. Nous, les gosses, on regardait tout ça avec des grands yeux, notamment leur matériel énorme et drôlement efficace. Jamais on n'avait vu ça !
Les navires américains débarquent
Dès le 17 juillet, un premier navire allié accoste dans le port cotentinois. Deux jours plus tard, Émile Le Canu écrit : « Une activité très grande des Américains : les liberty-ships en grand nombre dans la rade. Les bateaux amphibies font la navette entre ces bateaux et le rivage. Les Américains ont installé les pistes cimentées sur la plage et également sur la place Napoléon. C’est un va-et-vient continuel. La circulation des camions dans les rues est ininterrompue. »
La plus grande partie du matériel arrive sur la plage Napoléon grâce à des rampes en béton, qui permettaient aux véhicules amphibies de regagner la terre ferme. Françoise Bellée, qui avait alors 13 ans, se rappelle particulièrement « des jeeps qui arrivaient enfermées dans des caisses en bois. »
Aussitôt à terre, les caisses étaient ouvertes, une équipe remettait les roues, harnachait tous les accessoires… Dès que la jeep était prête, un chauffeur, qui attendait à côté, s'installait au volant et démarrait : le tout prenait quelques minutes seulement !
Jean-Émile Le Liépault fut, quant à lui, embauché comme docker à 18 ans. Il n’a jamais oublié ces jeeps, ni le « cargo anglais qui avait amené des cartons de thé et des fèves de cacao. Les marchandises étaient stockées sur le quai et rapidement chargées sur des camions ou dans les wagons qui circulaient sur toute la longueur du quai jusqu’à la gare. »
Des sacs « tombés du bateau »
D’autres marchandises « tombent du camion » ou plutôt tombent des bateaux, comme s’en rappelle à nouveau Jack Letourneur : « Dans le chenal d’accès au port, les Allemands avaient coulé un cargo, Le Normand, dont l’épave émergeait au-dessus de l’eau. On avait repéré que beaucoup de caisses, sacs et autres cartons tombés des bateaux ancrés au Homet venaient s’accrocher au Normand en dérivant. »
On était plusieurs gamins à descendre sur l'épave et à récupérer tout ce qui arrivait ainsi : de la farine, des conserves, des oranges. Une fois, on était tombé sur de la poudre d'œuf déshydraté : en rentrant avec le sac, on s'était fait des omelettes gigantesques !
Le port devient une base logistique où vont débarquer des tonnes de matériel. Avec plus de 640 000 tonnes en trente jours, Cherbourg devient le premier port du monde en novembre 1944, devant New York !
Il va également permettre le rapatriement des blessés et des troupes après la fin des combats en Europe. Plus de 300 000 hommes vont ainsi transiter par le port de Cherbourg en quelques mois.
Guillemette HERVÉ
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