Jack Lang: «La Fête de la musique a été le plus grand trac de ma vie, ça aurait pu être un grand bide»
L'événement annuel célèbre le 21 juin, ses quarante ans d'existence. Jack Lang, ancien ministre de la Culture, revient sur la création de cette fête et son succès hors des frontières.
«On avait dit aux gens allez-y, sortez, appropriez-vous la musique dans les rues, mais on craignait qu'ils restent planqués chez eux. Mais ça a marché», se souvient pour l'AFP celui qui avait été nommé ministre de la Culture par François Mitterrand en 1981. «La Fête de la musique a été le plus grand trac de ma vie, ça aurait pu être un grand bide». L'évènement créé par Jack Lang célèbre ses 40 ans, institution en France exportée dans plus d'une centaine de pays.
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«La fête est ce lieu d'échanges, de passions, de mise en lien des artistes et des gens, c'est constitutif de mon tempérament», confesse celui qui dénote dans le paysage politique de l'époque avec ses vestes couleur pastels.
De la musique pour le solstice d'été
«Un de mes premiers pas comme ministre de la Culture a été d'aller à un concert de Stevie Wonder, pour moi c'était normal, mais ça a été ressenti comme une extravagance». «En ce temps-là, la politique culturelle pour la musique était surtout tournée vers le classique et, plus marginalement vers la musique contemporaine, la recherche musicale avec (les compositeurs) Boulez et Xenakis. Le reste, rock, jazz... était aux abonnés absents».
Le concept est simple: la musique doit sortir des conservatoires et salles de concerts et être jouée par tous le 21 juin 1982, jour du solstice d'été. Le projet est rapidement lancé, Lang se multiplie dans les médias et une première affiche est imprimée en blanc sur fond bleu: «Fête (Faites) de la musique 21 juin 20h30-21h». Une demi-heure seulement... Format largement explosé depuis.
«La première année, en 1982, ce ne fut pas un grand succès, mais les gens ont joué le jeu et dès 1983 c'était vraiment parti», décrypte Lang, aujourd'hui à la tête de l'Institut du monde arabe (IMA) à Paris. Il paie de sa personne, se met au piano dans la rue en bas de son ministère en 1982 et en 1983 pour le journal télévisé, alors qu'il se décrit toujours comme «très mauvais pianiste».
Le rendez-vous s'exporte
Des critiques affleurent quand Lang est interviewé: est-ce bien le moment alors que l'inflation menace (1982) ? Faire la fête est-il un moyen d'oublier la politique de rigueur (1983) ? «Il y aura pendant un certain temps des pisse-vinaigre, pour des raisons sincères et pour des raisons politiques, mais le mouvement populaire a finalement balayé tout ça», résume Lang aujourd'hui.
L'évènement naissant a aussi de beaux ambassadeurs, comme Jacques Higelin qui joue sur un camion traversant Paris. Marie-France Brière, femme de radio et de télévision, avec qui Lang a fait «les 400 coups», fait aussi installer des branchements électriques autour du Trocadéro à Paris pour que des groupes de rock puissent jouer.
Au fil des ans, le rendez-vous s'exporte, désormais dans plus d'une centaine de pays. «On m'a demandé récemment de faire une vidéo pour les Australiens, je n'en reviens pas», souffle Lang. Il énumère des voyages qu'il a fait à cette occasion «Berlin, Rome, le Pérou» et se rappelle, amusé, de ce vol retour de Russie «avec Alain Delon, au début de Gorbatchev» (1990) où une grande partie de la délégation, lui comprit, était «ivre».
De quoi est-il le plus fier ? «J'arrive parachuté à Boulogne-sur-Mer comme candidat député, un marin-pêcheur me dit “merci, grâce à vous je suis devenu pianiste”: le chef d'orchestre Jean-Claude Casadesus avait joué du piano en extérieur et le mec avait été subjugué».