SORTIE DU COMA CÉRÉBRAL. ...





 En lançant ses chars sur la frontière avec l’Ukraine le 24 février, Vladimir Poutine a réussi à sortir l’Otan de sa torpeur. L’Alliance atlantique, fondée en 1949, retrouvait à nouveau sa raison d’être face à une Russie impérialiste envoyant des dizaines de milliers d’hommes envahir un pays. Deux Etats n’ayant jamais rejoint l’Otan faisaient même volte-face : inquiets des développements à leur porte, la Finlande et la Suède ont déposé leur demande d’adhésion à l’organisation militaire. «L’invasion de l’Ukraine a constitué un électrochoc, a renforcé le sentiment qu’il fallait agir et a revitalisé l’Alliance sans aucun doute», pointe Olivier Schmitt, professeur de relations internationales à l’université du Sud-Danemark.

L’Otan est-elle repartie comme en 40, les dissensions récentes entre ses 30 membres remisées pour se concentrer sur l’aide à l’Ukraine et aux Etats frontaliers de la Russie ? Pas vraiment. «De plus en plus de frictions et de tensions se font jour au sein de l’Alliance sur le rôle futur de l’Otan dans ce contexte très particulier».


Il y a consensus entre les membres de l’Alliance, car ils restent proches de sa vocation première : la défense collective, formalisée par l’article 5, face à la Russie. Dans le détail néanmoins, plusieurs camps s’opposent. Les Etats baltes pressent leurs alliés d’envoyer plus d’hommes, plus d’armes et des armes plus lourdes pour dissuader Moscou, qui a mené encore récemment des incursions dans l’espace aérien estonien et menacé Vilnius en raison de ses difficultés d’accès à son exclave de Kaliningrad, de l’autre côté du territoire lituanien.

«La France, l’Allemagne et l’Italie ne partagent pas forcément leur sentiment d’urgence», relève Alexandra de Hoop Scheffer. «Les Etats de l’est de l’Europe veulent accroître les capacités dissuasives. D’autres, comme la France, veulent éviter de nourrir une escalade vis-à-vis de la Russie, et limiter les coûts de leur participation», note Olivier Schmitt. Si Berlin a accepté de renforcer le groupement tactique basé en Lituanie, placé sous sa responsabilité, l’essentiel de ces troupes restera en Allemagne, prêt à être déployé si nécessaire.

«Prophétie autoréalisatrice»

Le retour aux fondamentaux de l’Alliance entraîne «un réinvestissement très fort des Etats-Unis sur le continent européen», souligne Alexandra de Hoop Scheffer : «L’industrie de la défense américaine est la première bénéficiaire de cette guerre.» L’Allemagne, qui a mis 100 milliards d’euros sur la table pour moderniser son armée, envisage par exemple de se doter de F-35, chasseurs de cinquième génération fabriqués par les Etats-Unis. Un coup dur pour l’autonomie stratégique et la défense européenne prônée par Emmanuel Macron.

Mais vu de Washington, le retour sur le Vieux Continent n’a pas que des avantages. Les Etats-Unis s’échinent à embarquer l’Alliance contre la Chine, perçue comme la principale menace à moyen terme en raison de sa puissance économique, financière et militaire. L’analyse n’est pas partagée par toutes les capitales. La semaine dernière, le sherpa du chancelier allemand Jens Plötner a averti contre la tentation de mettre la Chine et la Russie dans le même sac, «une prophétie autoréalisatrice» et une erreur à ses yeux : «Notre objectif doit être d’essayer de réduire la rivalité systémique autant que possible avec la Chine.» Paris est tout aussi pondéré, et rappelle par ailleurs une évidence géographique : l’Otan réunit les Etats de l’Atlantique nord.

«Intérêts stratégiques des Etats-Unis»

Quatre Etats de la région indo-pacifique ont néanmoins été invités au sommet de Madrid : l’Australie, la Corée du Sud, le Japon et la Nouvelle-Zélande. «La Chine est mentionnée dans les conclusions des sommets précédents», rappelle Olivier Schmitt. La nouveauté consisterait à l’intégrer dans le concept stratégique, ce qui donnerait plus de force aux propos. «Il pourrait y avoir un accord avec une mention de l’Indo-Pacifique, à la demande des Etats-Unis, et de l’Europe de la défense, comme le souhaite Paris, imagine le chercheur. Pour l’administration Biden, il est très important de montrer l’unité au sein de l’Alliance vis-à-vis de la Russie, mais surtout de la Chine, insiste Alexandra de Hoop Scheffer. Après une première opération hors de la zone euro-atlantique [l’Afghanistan, ndlr], il est normal pour les Etats-Unis de poursuivre la mutation de l’Alliance hors de la zone. L’Otan est sans cesse guidée par les intérêts stratégiques des Etats-Unis.»

Pour afficher cette unité, les membres ont dû convaincre la Turquie de lever son veto à l’adhésion de la Suède et de la Finlande, un moyen de pression utilisé sans vergogne par Erdogan. Si les tensions entre Ankara et d’autres membres, à commencer par la France, sont loin du paroxysme atteint ces dernières années, la Turquie demeure un électron libre. L’une des raisons qui avait poussé Macron à diagnostiquer une mort cérébrale à l’Alliance. La phase de réveil est souvent tout aussi ­critique que le coma.





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