Paris police 1905

 

Alors, ça donne quoi “Paris police 1905”, la série de Canal+ qui crispait Bolloré ?


Les six épisodes de « Paris Police 1905 » seront diffusés sur Canal+ à partir du lundi 12 décembre.

Les six épisodes de « Paris Police 1905 » seront diffusés sur Canal+ à partir du lundi 12 décembre.

Photo Rémy Grandroques/Tetra Media Fiction/Canal+

La série, qui devait être centrée sur la laïcité, n’avait pas reçu la bénédiction du patron de Canal+. Si le cœur de l’action a été remanié pour cette nouvelle saison, diffusée à partir du 12 décembre, la crise de foi est bien carabinée. Attention, spoilers.

Douce nuit, sainte nuit. Cette suite de Paris Police 1900 s’ouvre le 24 décembre 1904. En cette veille de Noël, les rues de Paris, capitale du vice, doivent être nettoyées de leurs asphalteuses. Pas de catins au pied du sapin. Harcelé sur la question par le Conseil municipal, le préfet Lépine (Marc Barbé), figure tutélaire de la première saison, est fortement incité à ordonner une rafle. Le vent mauvais du hasard mettra, ce jour-là, sur le chemin de Rosalie, encartée comme prostituée, une brigade de la police des mœurs. Les sbires prennent pour prétexte la proximité d’une église (dont les filles des rues n’avaient pas le droit de s’approcher à moins de 20 mètres) pour embarquer la jeune femme malgré ses protestations désespérées : son nourrisson est resté chez elle, abandonné à son sort. Le temps de ce premier épisode, tout entier campé la nuit de la Nativité et exécuté avec une maestria tragique, un divin enfant naîtra dans une crèche, un autre, bien humain, mourra dans son berceau, sous un petit crucifix en bois…

Pas en arrière temporel

La date-clef du titre l’indique sans détour : il aurait dû être question, en cette saison 2, de laïcité. « Je vais m’occuper de 1905-1906, la séparation de l’Église et de l’État, et à mon avis on va bien rigoler !  », lançait, guilleret, en février 2021, au micro de l’émission Popopop, le créateur Fabien Nury, également auteur de brillantes bandes dessinées (Il était une fois en FranceLa Mort de Staline…). De franche rigolade, il n’y eut pas. Un article du Canard enchaîné révélait, en janvier, que la thématique n’avait pas l’heur de plaire à Vincent Bolloré, patron du groupe Canal+ connu pour sa veine catholique ultraconservatrice et son interventionnisme sur le sujet religieux (la rédaction de Paris Matchdont le groupe Bolloré est désormais l’actionnaire de référence, a dénoncé, cet été, la Une sur le très réactionnaire cardinal Sarah). Selon Le Canard, l’équipe de Paris Police avait dû reprendre sa copie. De fait, point question dans cette saison 2, de séparation. Mais de collusion et de corruption. L’aiguille de la grande horloge a été légèrement remontée : nous sommes près d’un an avant la loi du 9 décembre 1905 et il y a quelque chose de pourri au royaume du Concordat. L’heure n’est pas au dénouement mais à l’empoisonnement, alors que le politique et le clergé forment ce genre de couple vénéneux dont on espère la séparation pour le bien des enfants… de la République.

Le réalisateur Julien Despaux, à gauche, et l’actrice Pauline Briand lors dutournage de « Paris police 1905 ».

Le réalisateur Julien Despaux, à gauche, et l’actrice Pauline Briand lors dutournage de « Paris police 1905 ».

Photo Rémy Grandroques/Tetra Media Fiction/Canal+

Quand on questionne le producteur Emmanuel Daucé (déjà à l’origine d’Un village français), celui-ci tient à rappeler, en préambule, qu’il a, tout au long du processus, « uniquement travaillé et discuté avec les interlocuteurs habituels de la fiction chez Canal+ ». Ce pas en arrière temporel serait la conséquence de « ces débats, qui existaient d’ailleurs dès la première saison, sur le positionnement de la série : l’angle historico-politique, dont l’unité fiction craignait le côté livresque, versus leur appétit pour l’enquête. Mettre la focale sur la police des mœurs, toute-puissante sous le Concordat, permettait de lier les deux : la dimension polar et la violence sous couvert d’ordre moral. » Fabien Nury, lui, évoque « doutes et questionnements pendant l’écriture » mais, in fine, « pas de frustration sur le choix de la période, qui permet de traiter le politique par l’intime et de sonder les relations de siamoix entre Église et État ».

Contexte décalé, mais charge critique plein cadre. On apprendra ainsi, au fil des épisodes, que l’enfant de Rosalie était malade de la syphilis, virus transmis à la mère par… un jeune prêtre. Le petit fantôme hante ces six épisodes, à la fois victime de l’inhumanité de la police et de l’hypocrisie dissimulatrice du clergé – le jeune prêtre a rencontré Rosalie dans une paroisse après avoir été exfiltré d’un séminaire où plusieurs aspirants s’étaient transmis la maladie vénérienne… La contamination de l’institution par l’institution : Fabien Nury saisit au collet un système vérolé de l’intérieur par les accointances du clergé et de la police. Un autoritarisme total dont il ressuscite avec force la circularité piégeuse, une société soumise à l’intrusion, au cœur de laquelle domine un catholicisme omniprésent.

Ordre vicié

Impunité débridée de la brigade des mœurs, corruption à tous les étages, exploitation organisée du corps des femmes par une phallocratie instituée et chantage endémique nourri par l’illégalité de l’homosexualité et une homophobie déchaînée. Avec l’ironie perçante qui est la sienne, le scénariste fait entendre une myriade d’échos et d’effets, du plus trivial au plus sinistre. On apprendra que « Petit Jésus » était l’un des surnoms réservé aux jeunes prostitués, on verra l’avocate Jeanne Chauvin (Eugénie Derouand) payer dans sa chair le fait de « s’approcher trop près des curés », on reconstituera le parcours d’opprobre d’un jeune homosexuel poussé au suicide…

Pour Nury, la sociologie est un sport de combat. Dans l’œil du cyclone de cette réflexion électrisée sur l’individu au cœur de l’appareil, le préfet Lépine prend conscience avec amertume du dévoiement de sa fonction. L’ordre qu’il s’est fait une mission de préserver est vicié, l’institution qu’il défend, persécutrice… Crise de foi carabinée qui trouve sa résolution crépusculaire dans un duel de western au confessionnal, entre préfet et curé. Et pourtant, malgré la violence et l’absurdité, au cœur de la noirceur, le salut vient de ces êtres qui résistent aux engrenages, préfèrent le tremblement du questionnement à l’idéologie qui assujettit. Il y a cette religieuse qui tente, depuis le dépôt de police où est enfermée Rosalie, de sauver l’enfant de celle-ci. Ou ce prêtre qui glisse, avec le catholicisme tourmenté-éclairé d’un héros de Bresson : « Il y a plus de foi dans un seul doute honnête que dans tous les dogmes. » La messe est dite.


À voir
r Paris Police 1905, à voir à partir du lundi 12 décembre sur Canal+.


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