jeudi 29 décembre 2022

LAFFAIRE DES VEDETTES DE CHERBOURG

 

Les vedettes israéliennes bloquées dans le port de Cherbourg (Manche) à la suite de l’embargo sur les armes à destination de 
Les vedettes israéliennes bloquées dans le port de Cherbourg (Manche) à la suite de l’embargo sur les armes à destination de l’État hébreu décidé par la France.

La fuite à Noël des navires israéliens : en 1969, Cherbourg vedette de l’actualité internationale


Ouest-France du 31 décembre 1969. Même si les vedettes ne sont pas encore arrivées à Haïfa en Israël, on scrute les conséquences politiques de cette fuite.




En 1969, à Cherbourg (Manche), cinq vedettes construites pour la marine israélienne sont clouées au port, frappées par l’embargo français sur les ventes d’armes à Israël. La nuit de Noël, elles prennent discrètement la fuite pour rejoindre Haïfa, le port israélien. Une histoire incroyable et unique qui place Cherbourg sous le feu de l’actualité internationale.


Cherbourg, dans la Manche ? Ses parapluies, bien sûr, immortalisés par le film éternel de Jacques Demy, Les parapluies de Cherbourg, sorti en 1964, Palme d’or au Festival de Cannes, et l’un des grands rôles de Catherine Deneuve. Cinq ans plus tard, un autre film se joue dans la Manche, dans la nuit de Noël 1969. Sauf que cette fois, il ne s’agit pas de fiction. C’est un film tout ce qu’il y a de plus vrai qui va commencer en pleine nuit dans le port de Cherbourg, où la réalité dépassera largement la fiction.

Depuis des semaines, cinq vedettes rapides, construites par le chantier local des CMN (Constructions mécaniques de Normandie), commencent à trouver le temps long, et leurs équipages israéliens aussi. Elles sont destinées à l’État hébreu. Seulement, frappées par l’embargo sur les armes décidé par la France à l’égard d’Israël, elles sont condamnées à rester sur place.

Une société-écran au Panama

À sa manière, dans la nuit de Noël, Israël va débloquer la situation. Discrètement, sur le coup de 2 h du matin, les équipages israéliens prennent le large et mettent le cap vers la haute mer pour rejoindre chez eux, quelques jours plus tard, le port d’Haïfa. L’affaire des vedettes de Cherbourg vient de commencer, avec un scénario renversant. La fuite des bateaux a un écho mondial tant l’histoire est politiquement sensible sur fond de conflit entre Israël et les pays arabes, et la France au milieu qui s’efforce de conserver de bonnes relations avec tout le monde au Moyen-Orient. Dans cette partie du monde, les équilibres géopolitiques sont délicats et instables. Les vedettes qui ont pris la poudre d’escampette peuvent tout compliquer.



Sans tarder, les vedettes font la une d’Ouest-France, et de quantité de médias à travers la planète. En dépit de l’embargo, cinq vedettes israéliennes construites à Cherbourg ont pris le large au cours de la nuit de Noël​, écrit le journal à sa première page au lendemain de ce coup d’audace.

C’est peu dire que la marine israélienne avait bien préparé son coup pour contourner l’embargo français. D’ailleurs, par une pirouette juridique, qui trouve son origine dans une société-écran montée au Panama, avec une boîte postale en Norvège, les cinq vedettes ne sont plus destinées à faire la guerre mais se consacreront désormais à l’exploitation pétrolière. Habile tour de passe-passe puisque la guerre, elles la feront bel et bien sous les couleurs d’Israël. Elles n’ont jamais fait de prospection pétrolière et elles ont été en service pendant près de vingt-cinq ans dans la marine israélienne après avoir bénéficié aussi de travaux de modernisation. Plus tard, deux d’entre elles seront revendues à la marine du Chili​, explique Justin Lecarpentier, Cherbourgeois d’origine, 37 ans, historien, réalisateur de documentaires, et tellement passionné par cette histoire qu’il lui a consacré deux livres, Rapt à Cherbourg (Ancre de Marine) et L’affaire des vedettes de Cherbourg, de l’embargo à l’embarras (OREP). Une telle histoire, on a envie d’en savoir plus​, glisse-t-il.

Les Renseignements généraux étaient au courant

Pour le grand public, l’effet de surprise de la fuite des vedettes a joué à plein. Mais dans les coulisses ? Ce n’est pas sûr du tout. Cinq jours avant le départ, les renseignements généraux avaient envoyé une note à ce sujet​, poursuit Justin Lecarpentier. Des essais des moteurs des vedettes eurent lieu peu de temps avant la fuite. Et puis, il suffisait d’ouvrir les yeux pour voir les marins israéliens faire des courses gargantuesques dans les magasins de Cherbourg. Manifestement, ce n’était pas pour préparer les repas de fin d’année, mais pour nourrir les équipages des vedettes qui s’apprêtaient à larguer les amarres.
Tout se passe comme si le départ des vedettes, dans ces conditions, arrange finalement un peu tout le monde. Il leur fallait bien une porte de sortie, à moins de prendre racine à Cherbourg.



La France met fin à une situation crispante avec Israël et profite d’un habillage juridique qui lui permet de se dédouaner vis-à-vis des pays arabes. Pour autant, il faut bien assurer une sorte de service après-vente aux États du Moyen-Orient et les convaincre que la France n’a pas cédé à Israël. C’est le travail des diplomates. En attendant, les ambassadeurs de France dans les pays arabes ont été chargés d’exposer aux gouvernements la position de Paris selon laquelle l’affaire de Cherbourg n’implique aucun changement dans la politique française vis-à-vis des États arabes​, révèle ainsi Ouest-France dans son édition du 31 décembre 1969.

L’arrivée des vedettes dans le port d’Haïfa, acclamées par les Israéliens. | DR

Et du côté israélien, la France ménage aussi ses arrières même si, en apparence, elle s’est fait doubler. En se refusant de rappeler son ambassadeur à Jérusalem, où même à élever la moindre protestation diplomatique, le gouvernement de Georges Pompidou s’est gardé de prendre des mesures qui auraient encore envenimé les relations franco-israéliennes​, analyse aussi le journal, quelques jours plus tard, le vendredi 2 janvier 1970. « Personne ne semble vouloir dramatiser l’affaire », écrira encore Ouest-France.

Une publicité mondiale pour le chantier naval des CMN

Pendant ce temps-là, les cinq vedettes filent bon train vers Israël et son port d’Haïfa où elles seront accueillies avec leurs équipages par la grande foule et un concert de sirènes.

En tout cas, l’audience internationale de cette affaire apporte une publicité imprévue au chantier naval de Cherbourg. Cela nous a permis de gagner des marchés. Ces vedettes, de Cherbourg à Haïfa, ont réalisé un exploit nautique, surtout à cette période de l’année avec la traversée du golfe de Gascogne​, souligne Thierry Regnault, l’actuel responsable de la recherche et de l’innovation aux CMN. Ces bateaux très rapides, avec une grosse propulsion, très armés et très maniables ​ont ainsi séduit de nouveaux clients. Et dans la mémoire de l’entreprise ? C’est l’épisode marquant​, estime Thierry Regnault.


Les vedettes de Cherbourg arrivent bien au port israélien d'Haïfa. Ouest-France du 2 janvier 1970.

L’histoire des vedettes de Cherbourg ne ressemble à rien d’autre. Dans le journal du 31 décembre, l’éditorialiste d’Ouest-France tient donc à la citer dans son dernier édito de l’année. Justement, comment la définir ? Il se lâche un peu et parle d’un gag héroïco-burlesque éclatant avec un bruit de bouchon de champagne libéré dans le ciel de Cherbourg ».




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