À bord de trois motocyclettes de race Yamaha, de cylindrée 700 cc et de modèle Ténéré (taillé pour le désert) nous quittons Aqaba en cette matinée de mars. Définition du printemps arabe : fraîcheur de l'air, froissement des palmiers, mer Rouge joyeusement bleue. Nous sortons de la ville par la porte du Nord gardée par un rêve : celui de Lawrence d'Arabie
Ici, le 6 septembre 1917, le colonel Thomas Edward Lawrence et son ami Fayçal, fils de Hussein roi du Hedjaz, déboulèrent de l'horizon à la tête d'une armée de chameliers bédouins. Ils arrivaient au terme d'une marche forcée menée depuis l'ouest de la péninsule arabe et s'emparèrent du fort d'Aqaba, gardé par une troupe turque. Le commandement des armées britanniques en Égypte fut stupéfait : personne n'avait prévu l'attaque. Ce verrou stratégique tombait aux mains alliées. La victoire de l'audace et de l'énergie, emportée par une troupe de Bédouins montés sur des chameaux et commandés par un Anglais, participait au reflux de l'Empire ottoman en Orient.
Au bord de la mer, au sud de la ville jordanienne d'Aqaba, se dressent les ruines d'un ancien fort. Sur le parvis, le drapeau de « la révolte arabe » flotte au sommet d'une des plus hautes hampes du monde : « 135 mètres », précise la brochure. Elle fut érigée pour que le drapeau soit visible d'Israël. Ainsi de l'Histoire des hommes : on lave son linge en famille, puis on l'étend dans le ciel pour prendre Dieu à témoin.
En 1916, Lawrence, officier de l'armée britannique avait reçu l'ordre d'unir les tribus de la péninsule arabe placées sous l'autorité de Hussein. L'état-major britannique ambitionnait que les Arabes de La Mecque perçassent des fronts dans les lignes ottomanes. Les Turcs tenaient le chemin de fer du Hedjaz et toutes les positions stratégiques à l'est de la mer Morte. La mission de Lawrence devint un rêve qui dépassa les vœux du commandement et ses propres espérances : se liant d'amitié à Fayçal, transformant sa mission en aventure spirituelle, il donna une âme, une structure et un récit à cette vague de désordre, de violence et de foi que l'Histoire retiendra sous le nom de « révolte arabe » et que Lawrence lui-même qualifie plus proprement de « mouvement arabe ».
Qu'est-ce que la révolte arabe ? Elle fut l'utilisation par les Alliés d'une force en échange d'une promesse. La force était le réservoir arabe. Elle fut une arme. La promesse consistait en la constitution d'un empire territorial de langue arabe, une fois la paix signée. Elle fut déçue. L'Histoire est le nom donné à l'intervalle entre une promesse et sa trahison. Une fois la guerre emportée par les Alliés, le Proche-Orient fut morcelé en « mandats » par les chancelleries européennes. Au bivouac dans les nuits du désert, Lawrence avait pourtant dépeint à Fayçal un océan de sable piqué de tentes et de palais, fédération des peuples arabes. Le rêve avait miroité. Il se fracassa contre la barrière de corail la plus solide de tous les temps : la raison d'État (ce nom poli de l'intérêt). Le sable avait tout bu...