C’est dans son château de Balmoral, en Écosse, que la reine Elizabeth II s’est éteinte « paisiblement » ce 8 septembre, à 96 ans. Ce détail de localisation obligeait un médecin à établir un certificat de décès. En Angleterre, cette obligation légale s'applique aux sujets du souverain, mais pas au souverain lui-même. Le document a été rendu public par les archives nationales d'Écosse, ce 29 septembre. Il mentionne sa « vieillesse » comme cause de décès. Voilà donc comment s’est achevé le règne le plus long de la monarchie britannique.
Old age is not a cause of death.
— Christophe Trivalle (@CTrivalle) September 30, 2022
It's just an elegant formula to preserve medical secrecy. https://t.co/HWw9akpmum
« La cause principale de la mort est enregistrée », a expliqué Douglas James Allan Glass, médecin de Braemar, village voisin de Balmoral, « apothicaire de la reine » depuis 34 ans. Bémol : vieillir n’est pas une maladie. Et donc pas non plus une cause de décès au sens biologique. Une formulation détournée qui permet surtout de préserver le secret médical qui entoure la fin des soixante-dix années de trône d’Élizabeth II. En France, la « vieillesse » n’est d’ailleurs jamais mentionnée comme cause de décès, comme nous l’explique Christophe Trivalle, gériatre à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif (AP-HP). Entretien.
Marianne : Pourquoi est-il imprécis de dire que la reine est « morte de vieillesse » ?
Christophe Trivalle : Deux jours avant de disparaître, la reine Elizabeth a rencontré la Première ministre britannique : c’est sa dernière apparition publique. Don, 48 heures avant de s’éteindre, elle était sur pied. Difficile de parler de « mort de vieillesse » dans ce cas ! Cette notion floue se rapporte souvent aux personnes dont l’état de santé général se dégrade progressivement avec l’âge. On l'utilise surtout dans le langage courant lorsqu’on ne sait pas réellement ce qui a provoqué la mort. Il est vrai que certaines maladies qui sont plus fréquentes avec l’augmentation de l’espérance de vie, puisqu’elles sont particulièrement liées à l’âge – c’est le cas d’Alzheimer et de Parkinson par exemple – et sont parfois appelées « maladies du vieillissement ».
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Mais on ne peut pas pour autant dire qu’une personne meurt de vieillesse. Un décès a forcément une cause, qui peut être liée à d’autres pathologies : une maladie cardiovasculaire, un cancer, une infection… La reine n’est pas morte de vieillesse, cela n’a pas de sens. Quand on parle de mort de vieillesse, on englobe tous les décès pour lesquels nous n’avons pas de diagnostic médical précis. Et cela arrive souvent. Quand une personne décède, surtout une personne âgée, on ne fait pas forcément d’autopsie, alors qu’on en pratiquait davantage il y a quelques décennies. Désormais, on ne le fait que quand il y a une suspicion, une raison médico-légale, par exemple en cas de suicide.
Dans ces cas où l’on ne sait pas exactement ce qui a mené au décès, que mentionne-t-on sur le certificat ?
Cette formulation de « vieillesse » est potentiellement valable au Royaume-Uni. Mais en France, à ma connaissance, on ne l'utilise pas. Quand l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale] ou encore l’Insee [Institut national de la statistique et des études économiques] publient les pourcentages des causes de décès en fonction des tranches d’âges, la « vieillesse » n’apparaît pas, cela n’aurait que peu de sens. Quand on ne sait pas, souvent, on indique un « arrêt cardiorespiratoire ». Ce qui n’est pas tellement plus précis, puisque si on décède, on est forcément en arrêt cardiorespiratoire. Mais généralement, si la personne a une maladie associée, comme du diabète ou de l'hypertension, on le mentionne. J’essaie, de mon côté, d’être le plus précis possible pour que les certificats permettent de faire des statistiques fiables sur les causes de décès au niveau de la population.
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Prenons l’exemple d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, décédée parce qu’elle s’étouffe avec un aliment. Sur le certificat de décès, j’écrirais « fausse route », c’est-à-dire que l’aliment est parti vers les poumons plutôt que vers le système digestif, puis « trouble de la déglutition ». Or, ce dernier est lié à sa pathologie, donc figure aussi « Alzheimer » sur le document. C’est la même chose pour une personne qui décède d’une infection qui est apparue car elle était immunodéprimée à cause d’un traitement anticancéreux. Tout est lié : le cancer, ou plutôt son traitement, permet à l'infection de se répandre. Celle-ci provoque un choc septique, suivi d’un arrêt cardiaque. On ne peut pas mentionner uniquement cette deuxième cause, c’est imprécis ! Enfin, si la mort est rapide, inattendue et inexpliquée, on peut mettre « mort subite ». On en parle souvent chez les nourrissons mais cela peut arriver à tout âge, même chez les personnes âgées. La personne se porte bien, mais elle meurt subitement.
Pour la reine, aurait-on alors pu parler de « mort subite » ?
Non. Le matin de son décès, on a su que son état de santé inquiétait son entourage. Elle est morte à 15 heures. Ce qui veut dire qu’il s’est dégradé avant qu’elle ne meure – certes rapidement, mais ce n’est pas propre à une mort subite. On ne peut donc pas savoir ce qui s’est exactement passé : ce peut être un infarctus massif, un AVC [accident vasculaire cérébral]… Tout cela est du domaine de l’hypothèse, mais il y a forcément un diagnostic plus précis que la vieillesse qui a mené à la disparition d'Elizabeth II. Cette formule permet probablement de préserver le secret médical, en protégeant la cause réelle. Nous n’avons accès qu’à une feuille de ce certificat : peut-être y en a-t-il d’autres.