mardi 13 septembre 2022

GODARD ET SES 5 PHRASES

 Jean-Luc Godard :  avait cinq phrases ! 

… Cela l’aide,  pour voir s'il les sait toujours...

La première, c’est une phrase de Bernanos, dans Les Enfants humiliés, ou ailleurs. J’en ai fait un petit film, du reste, sur Sarajevo [Je vous salue Sarajevo, en 1993, voir la vidéo ci-dessous – ndlr] :

   « La peur, voyez-vous, est quand même la fille de Dieu, rachetée la nuit du Vendredi saint, elle n’est pas belle à voir, tantôt éraillée, tantôt médiatique, et pourtant ne vous y trompez pas, elle est au chevet de chaque agonie, elle intercède pour l’homme. » 

C’est une phrase qui peut tout à fait se rapporter à la France d’aujourd’hui qui a peur. Même CNews peut en parler.

La deuxième phrase est de Bergson. Elle m’avait été envoyée par un ancien régisseur, je l’avais déjà citée, il me l’a recitée, puis je l’ai fait dire à Alain Badiou dans Film Socialisme. C’est : « L’esprit emprunte à la matière les perceptions dont il fait sa nourriture et les lui rend sous forme de mouvement auquel il imprime sa liberté. »

Je n’ai jamais bien compris le mot de « perception », les perceptions de la matière. 
 
La troisième phrase, c’est une phrase de Claude Lefort, qui était un philosophe du temps d’un petit groupement qui s’appelait Socialisme ou barbarie, à l’époque de Sartre et Simone de Beauvoir : 

« Les démocraties modernes, en faisant de la pensée un domaine politique séparé, prédisposent au totalitarisme. » Et voici l’image d’une jeune fille qui plus tard a écrit des livres sur le totalitarisme.

Il montre le portrait en noir et blanc d’Hannah Arendt.

À l’époque où elle était amoureuse de Heidegger. Cette image est dans un film d’Anne-Marie [Miéville] que vous ne connaissez pas, qui s’appelle Nous sommes tous encore ici [1996 – ndlr].

Après, il y a une quatrième phrase. Vais-je me souvenir du nom de l’auteur ? Pour le retrouver, je tape sur mon iPhone le nom d’un livre qui s’appelle Masse et Puissance [publié en 1960 - ndlr].

Jean-Paul Battagia (son assistant) : Je vais le faire… Elias Canetti.

J’ai mis cette phrase dans Le Livre d’image - elle est dite par ma femme à ce moment-là. On pourrait la dire à Greta Thunberg : 

« Nous ne sommes jamais assez tristes pour que le monde soit meilleur. »
 
Et j’en rajoute une cinquième, qui est une phrase de Raymond Queneau, dont j’ai beaucoup aimé à l’époque les romans. Cet aphorisme est le suivant :

 « Tous les gens pensent que deux et deux font quatre, mais ils oublient la vitesse du vent. »
 
Il rallume son cigare.

Les cinq phrases, pour les cinq doigts, dont je me souviens depuis des années, et que j’essaie de me répéter, comme un vade-mecum. Je le fais mécaniquement, et des fois, j’essaie d’y penser un peu, de rester avec elles. Surtout quand je m’endors, en général. Voilà. Vous avez réussi à me faire parler, hein. Puisque c’est ce que vous vouliez.

Il se lève du fauteuil pour nous saluer. Nous partons.



Interview Mediapart  par

Ludovic Lamant et Jade Lindgaard


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Deux heures d’entretien en dix épisodes pour écouter la voix même du cinéma, Jean-Luc Godard. Rencontre en exclusivité pour Mediapart juste avant la projection à Cannes de Film Socialisme.


Jean-Luc Godard en liberté


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