Le moment d’histoire. À Tréguier, une inauguration de la statue d’Ernest Renan, sous haute tension
Le 13 septembre 1903, Émile Combes, président du Conseil, vient en personne inaugurer la statue d’Ernest Renan dans sa ville natale de Tréguier (Côtes-d’Armor). À deux ans de la loi de séparation entre l’Église et l’État, les esprits s’échauffent. 600 soldats sécurisent l’événement.
1903. Voilà onze ans qu’Ernest Renan est mort. L’homme de lettres, philosophe, professeur au collège de France revient sous les feux de l’actualité à l’occasion de l’inauguration d’une statue à son effigie dans sa ville natale de Tréguier (Côtes-d’Armor).
Considéré comme un libre penseur par les républicains laïcs, comme un blasphémateur européen
selon les mots du pape Pie IX, Ernest Renan s’est attiré les foudres des catholiques avec son livre Vie de Jésus, dans lequel il considère que la biographie de Jésus devait être écrite comme celle de n’importe quel autre homme.
Le projet de statue est venu d’Armand Dayot, ami de Renan et président fondateur des Bleus de Bretagne, association résolument anticléricale. Le 30 août 1902, le conseil municipal de Tréguier délibère au cours d’une séance extraordinaire. Par onze voix contre cinq, il décide qu’il est de son devoir de rendre un public hommage à la grande mémoire d’Ernest Renan qui restera un des écrivains et un des penseurs les plus illustres du monde
. Ainsi, non seulement sera érigé le monument en bronze, mais une rue portera son nom.
À Tréguier, ancienne cité épiscopale, le curé âgé de 86 ans prend sa plume pour écrire tout le mal qu’il pense de tels projets. Dieu est patient sans doute, mais parfois il se venge de ceux qui l’insultent.
L’homme d’Église assure que de son vivant aucune procession ne passera dans la rue Renan et que jamais le Saint-Sacrement ne sera porté sur une place où trônera celui qui l’insulte
. Le lieu choisi pour accueillir la statue en bronze se situe à quelque 25 mètres de la cathédrale !
Le jour de l’inauguration, Émile Combes, président du Conseil (Premier ministre de nos jours) vient en personne saluer la mémoire du Trégorrois. Comme libres-penseurs et à l’exemple de Renan, nous refusons de nous courber sous un enseignement quelconque, de nous soumettre à un symbole, d’abriter derrière une croyance les doutes de notre intelligence
proclame-t-il dès l’entame de son discours. Craignant des débordements autour de l’événement, l’État a fait dépêcher sur place 600 soldats.
La bataille rangée redoutée entre anticléricaux et catholiques n’aura finalement pas lieu. Mais c’est en érigeant aussi un monument que les croyants ripostent moins d’un an plus tard. Le calvaire de réparation est inauguré lors du pardon de Saint-Yves, le 19 mai 1904.
Ce calvaire monumental en pierre de kersanton est l’œuvre du sculpteur Yves Hernot. On peut lire, en latin, en breton et en français, en réponse à Ernest Renan, la parole du centurion romain (saint Longin) au pied de la croix, rapportée par les Évangiles : Cet homme était vraiment le fils de Dieu.
Pour autant, l’Histoire est en marche. La loi de séparation entre l’Église et l’État est promulguée le 9 décembre 1905.
