RUGBY

 




“Du grand spectacle”, “une déclaration d’amour à la France”, vante Anne-Claire Coudray. La cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby est l’occasion pour TF1 de célébrer les “valeurs” défendues par le regretté Jean-Pierre Pernaut et mises en scène par Jean Dujardin. Une France comme on ne l’a jamais vue – sauf dans les yeux des zemmouristes.

Montage d’après captures d’écran

Par Samuel Gontier

Publié le 11 septembre 2023 à 10h18

«Nous vous ferons vivre la cérémonie d’ouverture, promet Anne-Claire Coudray. On a vu les répétitions et je peux vous dire qu’elle ne ressemble à aucune autre. » Chouette, un spectacle novateur, iconoclaste, ça va changer des habituelles cérémonies compassées. « Ça va être du grand spectacle. » Decouflé peut aller se rhabiller, sa cérémonie des Jeux d’Albertville va être ringardisée. « A 20 heures, insiste la présentatrice de TF1 peu après, il y a cette cérémonie d’ouverture qui ne ressemble à aucune autre. » Décidément, elle promet d’être révolutionnaire. Pas trop avant-gardiste non plus, j’espère. Sinon, ça risque de déstabiliser le monde entier.

En attendant, « priorité au direct et à nos héros, décrète Isabelle Ithurburu. Les joueurs de l’équipe de France viennent de quitter à l’instant leur hôtel, on va les suivre, on espère que ça roulera bien ». Terrible suspense. L’envoyé spécial derrière le bus des Bleus raconte que, la veille, pour aller s’entraîner au Stade de France depuis Rueil-Malmaison, il leur a fallu une heure pour parcourir 17 kilomètres. Depuis le studio installé dans les tribunes du stade, Anne-Claire Coudray demande au reporter de livrer son analyse de la montée des joueurs dans le bus : « Dans quel état d’esprit vous les avez sentis ? — Des joueurs au visage serein. » On voit bien que ce n’est pas eux qui conduisent. La présentatrice rappelle : « Les Bleus ont rendez-vous avec les All Blacks. » Sauf si leur bus reste coincé dans les embouteillages. « C’est un match d’ouverture qui a déjà des allures de finale. » On n’aura jamais connu une Coupe du monde aussi brève. Isabelle Ithurburu précise : « On a hâte de partager cette soirée historique. » À peine commencée, la soirée est déjà entrée dans les annales — de TF1.

Marie-Sophie Lacarrau, présentatrice du 13 heures, assure le direct depuis la « fan zone » de Toulouse. « Pour un grand match comme nous allons en vivre un ce soir, nous sommes tous les mêmes, on se souvient tous de l’endroit où on était et ce que l’on faisait. » Forcément. Par exemple, tout le monde se souvient de l’endroit où il était et de ce qu’il faisait pour l’ouverture de la Coupe du monde 2007 sur TF1. Au Stade de France, Anne-Claire Coudray lance une interview sans concession de la ministre des Sports. « Le XV de France n’a jamais gagné la Coupe du monde. Est-ce que c’est pas l’année, ici à la maison ? Ce serait tellement beau. — Ce serait grandiose, on en rêve tous, réplique Amélie Oudéa-Castera. On a un XV de France qui s’est très bien préparé, avec beaucoup de professionnalisme. » Et de blessés. « Est-ce que cette compétition, c’est aussi un moyen de se rassurer sur notre capacité à accueillir de tels événements ? — Ça a été énormément de travail acharné sous l’autorité de Gérald Darmanin. » Pour que les supporters de l’Angleterre ou de l’Irlande se retrouvent dans le chaos à l’entrée des stades de Marseille et de Bordeaux.

L’envoyé spécial sur la pelouse, Christian Califano, livre un point météo : « C’est incroyable la température ! » L’effet de la ferveur populaire. Rien à voir avec le changement climatique : à la coupure pub, j’ai vu le spot de Total, sponsor officiel, il était rempli d’éoliennes et de panneaux solaires. « On peut déjà vous offrir un petit cadeau, annonce Anne-Claire Coudray. Des images exclusives de l’intérieur du bus du XV de France. » Fabuleux. Des joueurs penchés sur leur téléphone, d’autres qui regardent par les vitres, Antoine Dupont écroulé sur son siège. « Pas encore de sourire, pas de triomphalisme évidemment. » Incroyable. Les Bleus ignorent qu’ils ont déjà gagné la Coupe du monde.

Anne-Claire Coudray poursuit : « Vous voyez cette équipe de France qui s’avance vers son destin… » Oui, vers l’A86. « … On espère aussi vers un grand moment d’histoire. » Il suffirait de raccorder la rocade au Panthéon. La présentatrice rappelle l’envoyé spécial : « Vous suivez toujours le bus des Bleus. Ça roule bien, il risque d’arriver dans quelques minutes au Stade de France. » Zut, il va être en avance. « Absolument, confirme le motoreporter, c’est la bonne nouvelle, c’est que ça roule hyper bien. » Avec des motards de la police pour dégager les voitures sur les bas-côtés, c’est vrai que ça roule hyper bien.

Anne-Claire Coudray appelle la régie. « Je ne sais pas si on peut revoir ces images incroyables, ces images exclusives tournées au cœur de cette équipe. » Ces magnifiques images tournées à l’intérieur du giron de l’intimité du saint des saints — le bus. « Des images qu’on n’a pas l’habitude de voir et qui sont vraiment un beau cadeau. » C’est décidé, le 8 septembre sera désormais le jour de mon anniversaire.

Presque 20 heures, la présentatrice vante encore « cette cérémonie d’ouverture qui ne ressemble à aucune autre. On va vous raconter une histoire, c’est une déclaration d’amour à la France… » Le pays des Lumières et de Gérald Darmanin. « … Une déclaration d’amour à l’esprit du rugby. » Et à ces fameuses « valeurs » — mais lesquelles ? Celles incarnées par Bastien Chalureau (condamné en première instance pour une agression raciste), ou par Sébastien Chabal, invité d’honneur dans sur le plateau de TF1 pour produire des commentaires virilistes ? « … Avec Jean Dujardin, un peu entre Jacques Tati et Amélie Poulain. » Et Geneviève de Fontenay, j’ose l’espérer. « C’est un moment qui va être très étonnant. » Subversif, à n’en pas douter. « On va avoir une cérémonie exceptionnelle, confirme l’ancien international Frédéric Michalak. Qui met en avant la France. » La France de Gabriel Attal ? « Ça va être exceptionnel. » Il n’y aura pas une abaya.

« Est-ce que vous entendez ces clameurs derrière nous ?, demande Anne-Claire Coudray. C’est un village qui s’appelle Ovalie qui se met en place sur cette pelouse. » Un village de podiums improbables en guise de maisons. Isabelle Ithurburu anticipe : « La France va briller dans le monde. » Je crains que son éclat ne fasse de l’ombre à la galaxie entière. « Vingt minutes magnifiques, beaucoup de romantisme. » Comme entre Jean-Michel Blanquer et Anna Cabana. « Autant vous prévenir, avertit Anne-Claire Coudray, ils ont fait fort en termes de clichés… » Un hommage à Robert Capa ? « … Clichés au sens noble du terme.  » Chouette, une ode à l’Ancien Régime. « Vous allez voir à peu près tout ce que représente la France à l’étranger…  » Des tirs de LBD sur des manifestants pacifiques ? « … L’élégance, la bonne chère, le savoir-vivre, la gastronomie…  » Oups, pardon : notre industrie agro-alimentaire. « … Des nez du parfumeur Guerlain… » Je ne savais pas que la cérémonie était diffusée en odorama. Bernard Arnault est passé par là, et TF1 ne manque pas de promouvoir la filiale de LVMH. « … Tout ce que la France fait de mieux. » Des Rafale made in Dassault ?

« Jean Dujardin se prépare dans le tunnel des joueurs. » Déguisé en SuperDupont, l’acteur tripote « une miche de pain en forme de ballon ovale » qu’il place dans un triporteur. Je suis ébloui par la subtilité de la métaphore. « Vous allez voir, pas de doute, on est bien en France. » Oui, c’est déjà ce que disait Depardieu dans Les Valseuses : « Y a pas d’erreur possible, on est bien en France. » La voix du speaker retentit : « Les Ovalines et les Ovalins ont leur caractère. Ils aiment le vin, le ballon ovale et la bonne chère. » Ils organisent des apéros saucisson-pinard, comme les militants d’extrême droite. Anne-Claire Coudray salue l’entrée de SuperDupont dans le stade : « Ecoutez, écoutez l’ovation pour Jean Dujardin… Vous allez avoir tout ce que la France fait de meilleur, le chocolat, la pâtisserie, le pain, la gastronomie, des sommeliers, des vignerons… » La picole et la bouffe, qu’est-ce qui pourrait mieux nous représenter ?

Jean Dujardin distribue ses pains en plastique dans le village en plastoc qui ne ressemble à rien — je suis déçu, Philippe de Villiers nous a habitués à beaucoup mieux au Puy du Fou. « C’est un peu le marché, s’émeut Anne-Claire Coudray, le marché qui nous est si cher… » Il était si cher au regretté Jean-Pierre Pernaut. « … Les marchés qui se tiennent tous les jours dans les trente-cinq mille communes de France. » Trente-cinq mille marchés par jour, on est champions du monde. « C’est un village gaulois qui se met en place sous vos yeux avec évidemment de la charcuterie. » Il manque juste quelques croix celtiques.

Anne-Claire Coudray prévient : « Si vous êtes surpris de vous retrouver dans les années 50…  » Pas du tout, c’est ce que j’attendais d’une cérémonie qui ne ressemble à aucune autre. « … C’est sans doute parce qu’elles représentent les images d’Épinal qu’on a. » Ça se discute. Les années 40 n’étaient pas mal non plus. « Les années 50, c’est l’image d’Épinal. » Il n’y manque que le maréchal. « En tout cas, c’est celle que le monde entier connaît de nous, cette carte postale. » Il ne faudrait pas décevoir le monde entier, il pourrait croire qu’on discrimine les élèves racisées et qu’on tire à bout portant en cas de refus d’obtempérer. « Et puis il y a une raison secrète…  » C’était le bon temps des colonies ? « … Il se trouve que la France a battu pour la première fois les All Blacks en 1954.  » L’année de Diên Biên Phu, ça me fait chaud au cœur.

Isabelle Ithurburu intervient : « L’autre tradition de la France, c’est le bal musette. » Et la dénonciation des juifs mais c’était un peu compliqué à mettre en scène. « Vous allez découvrir la chanteuse Zaz, on la compare souvent à Édith Piaf. » Maurice Chevalier n’était pas disponible. La cérémonie qui ne ressemble à aucune autre se termine, Anne-Claire Coudray savoure : « On le sent tellement heureux, Jean Dujardin, ça a dû être une telle pression, c’est pas son métier de mettre en scène une cérémonie d’ouverture. » Heureusement, il a suivi les cours d’histoire d’Éric Zemmour. « Il l’a fait avec toute la générosité, avec l’aide de tous ces Français, avec ces représentants du savoir-vivre à la française, de l’élégance française. » Avec son coq et son képi.

La présentatrice de TF1 confesse : « Je dois vous avouer que je n’ai plus d’oreilles. » En effet, tous les correspondants étrangers ont relevé qu’en plus d’être ridicule et confuse, cette cérémonie d’ouverture leur avait brisé les tympans — ils n’ont pas le musette dans la peau.

« Le patron du rugby mondial, Bill Beaumont, se prépare à faire son discours, annonce Anne-Claire Coudray. Et vous avez reconnu Emmanuel Macron. » Ah oui, au pied du podium ! Pas évident de le reconnaître, il ne porte ni béret sur la tête ni baguette sous le bras. Bill Beaumont commence : « Amis de France et du monde, bienvenue…  » Sifflets, huées… J’ignorais que le président de la Fédération internationale de Rugby était si détesté. « Emmanuel Macron va maintenant prendre la parole. » Les sifflements et les huées redoublent, le président esquisse des moues dégoûtées. Sans doute n’apprécie-t-il pas que le patron de World Rugby soit ainsi vilipendé.

Notre président déclare ouverte la Coupe du monde et là, surprise, les commentatrices ne se pâment pas sur les « clameurs » du stade. « Je vais revenir sur une information capitale », avertit Isabelle Ithurburu. Emmanuel Macron s’est fait huer ? Non… « Sam Cane est forfait, le capitaine des All Blacks est blessé. C’est vraiment une information importante pour ce match. » Sam Cane a dû voir Jean Dujardin, il a préféré s’exiler en Absurdie. « Restez avec nous, ordonne Anne-Claire Coudray, on va se quitter pour une courte pause et après on se retrouvera avec cette grande tour Eiffel qui sera déménagée. » Emmanuel Macron aussi, j’espère.

Christian Califano commente l’arrivée des Bleus sur la pelouse : « On les a vus en sortant prendre une énorme bouffée d’oxygène. » Une méga bouffée d’ozone, vu le pic de pollution enregistré depuis quelques jours. « Je voulais vous montrer quelque chose, intervient Anne-Claire Coudray. C’est ce maillot que vont porter les Bleus ce soir. Eh bien, je peux vous dire que c’est un maillot 100 % made in France… » C’est Jean Dujardin qui l’a tricoté avec ses petits doigts musclés. « […] Du tissu qui a été fabriqué sur notre sol à la teinture bleue qui évidemment aussi est française. » Même si le maillot est blanc. « Les salariés qui l’ont fabriqué sont très fiers. » Pourvu que la fierté compte dans le calcul de leur retraite. La présentatrice trompette : « Vous allez pouvoir suivre cette rencontre mythique. » Pas la peine, je suis déjà bouffé aux mythes.

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