LA VISITE PAPALE

 

«Ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent l’hospitalité», lance le pape François à Marseille

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Pape Françoisdossier

Le souverain pontife a profité de la messe géante au Vélodrome concluant ce samedi 23 septembre son déplacement en France pour marteler son message de soutien aux migrants.
par Bernadette Sauvaget, De notre envoyée spéciale à Marseille
publié le 23 septembre 2023 à 19h20

Il a sans doute rarement profité d’une entrée aussi haute en couleur. Au moment ou sa papamobile pénétrait dans le stade Vélodrome ce samedi 23 septembre en milieu d’après-midi, François a été salué par un immense «tifo» réalisé en son honneur par les supporters marseillais. Sur les tribunes, s’élève un pontife souriant et rajeuni, la vedette du moment, sur fond de «Bonne Mère», la vedette de toujours. Les applaudissements font vibrer le stade, couvrent le cantique religieux. Arrivé sur le podium où sera célébrée la messe géante qui clôt le voyage pontifical d’un peu plus de vingt-quatre heures dans le Sud, le pape attend que le calme revienne. «Bonjour Marseille, bonjour la France», lance-t-il en français, déclenchant une nouvelle salve d’applaudissements.

Les quatre mots de François viennent clore la polémique que ses propos avaient déclenchée, il y a quelques mois. Annonçant son voyage dans l’Hexagone, le pape avait déclaré qu’il venait «à Marseille et non pas en France» ; ce qu’il avait répété à plusieurs reprises. Avant l’arrivée du jésuite, les trois à quatre mille scouts, présents dans le stade, mettent l’ambiance, criant, à intervalles réguliers «pape François, pape François». L’humoriste Gad Elmaleh fait un petit discours, aborde, encore une fois, un peu de son parcours spirituel sans lever le mystère sur sa conversion ou non au catholicisme.

Juché en hauteur, assis sur un fauteuil blanc, le pape, placé loin des fidèles et des évêques qui l’entourent, s’exprime en français au cours de la liturgie. Mais prononce son homélie en italien. «Frères, sœurs, je pense aux nombreux tressaillements qu’a connus la France, à son histoire riche de sainteté, de culture, d’artistes et de penseurs qui ont passionné tant de générations», lance-t-il. Moins francophile que ses deux prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI, le jésuite argentin a cependant été très marqué par quelques grands théologiens français comme Yves Congar ou Henri de Lubac.

Discours charpenté

Même si l’assistance est fournie, le stade Vélodrome n’est pas tout à fait plein. Les conditions drastiques de sécurité qui entourent la visite de François ont sans doute découragé les catholiques. Reste que l’ambiance dans le Vélodrome est familiale, peu marquée sociologiquement. Le président de la République, Emmanuel Macron, et son épouse Brigitte ont assisté à la messe dans la tribune officielle.

Dans la matinée, au palais du Pharo, en conclusion des Rencontres méditerranéennes réunissant 70 évêques catholiques du pourtour méditerranéen, François a longuement développé sa vision de la mare nostrum et de la question migratoire, des préoccupations majeures pour lui. «La Méditerranée exprime une pensée qui n’est pas uniforme mais polycentrique, une pensée vitale, ouverte et conciliante : une pensée communautaire», a-t-il souligné avant de dénoncer «des crispations identitaires, dans les circonstances actuelles où des nationalismes archaïques et belliqueux veulent faire disparaître le rêve de la communauté des nations». Le pape a plaidé pour que la Méditerranée redevienne un «laboratoire de la paix». «Car telle est sa vocation : être un lieu où des pays et des réalités différentes sur la base de l’humanité que nous partageons tous, et non d’idéologies qui nous opposent.»

Ce discours très charpenté est un condensé des paroles fortes qu’il a eues tout au long de son pontificat, presque un testament. Fragilisé par l’âge, le chef de l’Eglise catholique dit lui-même que ses déplacements à l’étranger vont se raréfier.

Eviter un «naufrage de civilisation»

Au premier rang du grand auditorium du palais du Pharo, il y avait les plus hautes autorités de l’Etat, le président de la République, Emmanuel Macron, mais aussi le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui campe sur des positions fermes quant à l’accueil des migrants. Une sorte de choc des cultures silencieux. Modéré dans ses interpellations, le pape n’a pas moins été ferme dans ses propos. Plaidant la cause des migrants, François a demandé qu’ils soient traités «comme des frères dont nous devons connaître l’histoire et non comme des problèmes gênants». Pour lui, il faut les «accueillir et non les cacher», «les intégrer et non s’en débarrasser».

«Ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent l’hospitalité. Le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps», a-t-il poursuivi. A Marseille, le jésuite argentin s’est élevé nettement contre ceux qu’ils veulent fermer les frontières, interpellant l’Europe pour qu’elle prenne ses responsabilités. Dans la pensée de François, c’est à ce niveau que les solutions doivent être élaborées. Pour le pape, il s’agit d’éviter un «naufrage de civilisation» et de provoquer un «sursaut des consciences». «Dire «assez»c’est au contraire fermer les yeux. Tenter maintenant de «se sauver» se transformera demain en tragédie.»

Le pontife a aussi évoqué la situation de la ville de Marseille elle-même, frappée par les violences du narcotrafic. Il avait commencé sa journée en se rendant dans l’un des quartiers pauvres du centre, pour rencontrer des habitants. «La mer de la coexistence humaine est polluée par la précarité qui blesse même la splendide Marseille, a-t-il déploré. Et là, il y a précarité, il y a criminalité, là où il y a pauvreté matérielle, éducative, professionnelle, culturelle, religieuse, le terrain des mafias et des trafics illicites est dégagé.» Au milieu des siens, au palais du Pharo, le pape a eu droit à deux longues «standing ovations». Le président de la République, lui aussi, s’est levé et applaudi chaleureusement le discours papal. A ses côtés, Gérald Darmanin semblait moins enthousiaste.

«Vous avez été baptisé Marseillais»

François a aussi tenu à saluer spécialement le diocèse et les catholiques de Nice qui avaient fait le déplacement au Vélodrome. Faisant allusion à l’attentat du 14 juillet 2016, il appelle à prier pour «tous ceux qui ont perdu la vie dans cette tragédie et dans tous les actes terroristes perpétrés en France et dans toutes les parties du monde». Ces mots, cette attention, ont soulevé encore une fois une gigantesque ovation.

Pour le vieux pape de 86 ans aux fortes convictions, c’est mission accomplie. Une fois encore, il a porté la parole des plus pauvres. «Vous avez été baptisé Marseillais», lui a signifié le cardinal Aveline, l’archevêque de Marseille, à la clôture de la messe dans le stade de foot. «Nous avons compris que, sans faire le tour de la France, vous vouliez attirer les regards de notre pays vers cette Méditerranée et éveiller nos consciences».

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