le puy de Dôme

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REPORTAGE. « C’est notre phare » : avant le Tour de France, le puy de Dôme vu par ceux qui y vivent

À quoi ressemble la vie dans les cols et les vallées du Tour de France, ces villages traversés par le peloton telle une tornade ? Que s’y passe-t-il en dehors de cette journée de juillet pas comme les autres ? Prolongation est allé rencontrer les habitants, toquer à leurs portes, pour qu’ils racontent leur vie si singulière en altitude. Aujourd’hui : le puy de Dôme, absent du Tour depuis 1988, raconté par ses habitants, le prêtre du village d’à-côté et le facteur.

La barrière de péage du puy de Dôme interdit aux cyclistes et aux voitures n’ayant pas un laissez-passer d’accéder à la rampe de 4 kilomètres à 12 %.
OUEST-FRANCE

Le coureur rachitique s’échine sur son vélo, tente de prendre le dessus sur une pente à 12 %, mais rien n’y fait. Il s’arrête. L’aventurier parti à la conquête du puy de Dôme (PDD) ne s’attend pas à recevoir un second crochet au visage, après celui donné par la déclivité impitoyable. Jean-Marc Morvan s’arrête à sa hauteur : « Bonjour, je suis le maire de la commune, vous savez que vous n’avez pas le droit d’emprunter la route en vélo ? »

Surprise de l’accusé, le souffle saccadé par l’effort produit : « J’ai pas vu les panneaux ! Je suis venu de Marseille pour monter. » Même l’âge du fraudeur (70 ans), brandi par celui-ci comme un joker, ne convainc pas le maire du village d’Orcines, commune de 3 500 âmes qui entoure une partie du géant d’Auvergne.

À deux mois du passage du Tour de France, Jean-Marc Morvan s’inquiétait de voir ce genre de situation se multiplier. Des questions de sécurité limitent l’accès à la route de service à quelques ayants droit (secours, employés, etc). Les cyclistes ne peuvent emprunter ce bout de bitume que lors des quelques courses cyclosportives organisées. Certains osent resquiller, en se levant aux aurores pour grimper et redescendre dans les premières lueurs du jour, sans se faire intercepter.

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Depuis 2012, un train à crémaillère, le Panoramique des Dômes, occupe la moitié de cette rampe régulière de 4 km à 12 %. La route s’enroule sur les flancs du PDD, comme un serpent autour de sa proie. Un habitué nous décrit l’expérience : « En partant de Clermont, il faut déjà faire plusieurs kilomètres à 6 % de moyenne avant d’arriver à la partie vraiment dure. C’est déprimant de voir arriver la montée finale, donc tu baisses la tête. »

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« Le puy de Dôme est un ami réconfortant »

Le puy de Dôme, volcan endormi à une dizaine de kilomètres de Clermont-Ferrand, domine les environs du haut de ses 1 465 mètres d’altitude. Le PDD se dégage de l’horizon, détonne et marque les esprits. Le panorama en haut est à couper le souffle, entre la métropole d’un côté et le reste de la chaîne des puys de l’autre. « Chez nous, les posters, on ne les accroche pas aux murs, on les regarde par la fenêtre », glisse avec malice Jean-Marc Morvan, le maire.

Pour les habitants, c’est un « phare ». Lors de notre passage, une dizaine de nos interlocuteurs ont utilisé ce terme pour décrire ce voisin si massif. Vincent*, un habitant d’Orcines, a toujours gardé un regard vers ce « point de référence. On sait qu’on n’est plus dans la région quand on ne voit plus le puy de Dôme, et au retour, c’est la première chose qu’on voit sur l’autoroute. Par sa masse, sa forme et sa puissance, il tranquillise, il apaise. C’est un ami réconfortant, solide, qui ne bouge pas. »

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Toujours à Orcines, nous croisons Céline, juste avant qu’elle ne prenne le bus pour partir travailler à Clermont-Ferrand. Malgré l’habitude de voir ce site naturel à côté de chez elle, la professeure d’université ne se lasse pas de ce relief si particulier : « Quand je vais à la boulangerie, je fais toujours un petit détour pour prendre une route avec une vue dégagée sur le puy de Dôme. Je n’ai pas besoin de passer par là, mais c’est pour le plaisir de le voir, pour l’admirer. C’est un ravissement. »

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Autre témoignage, celui de Maryse Chapeland-Latallerie, qui est passionnée par ce bout de montagne : « On se l’approprie. C’est “mon” puy de Dôme. D’autres Auvergnats ont sûrement le leur aussi, mais c’est le mien. » Depuis sa maison, elle l’observe régulièrement. Le puy de Dôme sert de baromètre, de station météorologique naturelle.  « C’est un peu comme le marin qui regarde la mer, compare-t-elle. Le PDD est différent tous les jours. On regarde le sens des parapentes pour connaître le vent, voir s’il y a du brouillard. C’est presque un être vivant. »

Maryse Chapeland-Latallerie habite au pied du puy de Dôme. Elle porte un amour inconditionnel pour cette montagne si singulière. | OUEST-FRANCE

600 000 personnes par an au sommet

La fascination pour le puy de Dôme fonctionne également sur les touristes, très nombreux à se rendre sur le site. Environ 430 000 personnes empruntent chaque année la gare du train à crémaillère pour monter à 1 465 mètres. Il faut ajouter les randonneurs (entre 150 et 200 000 personnes selon les estimations) qui grimpent en passant par les divers chemins présents sur les flancs du puy.

Marc Mazataud, cheveux courts poivre et sel coiffés en pic, fréquente cet endroit depuis qu’il est tout petit. Cet amoureux de la nature est aujourd’hui accompagnateur en montagne, et le jour de notre passage, vient de guider un groupe de Belges jusqu’au sommet.

Spécialisé dans le volcanisme, il raconte avec passion ce terrain de jeu caractéristique. « Le puy de Dôme est un lieu de vie, le point culminant de la chaîne des puys. Surtout, il a une histoire, avec le temple de Mercure (un temple gallo-romain présent au sommet, construit au IIᵉ siècle) et la légende du Tour de France. Il y a une grosse variété de paysages, c’est riche. Sa formation géologique est particulière, le côté ouest n’a rien à voir avec l’autre partie », raconte celui qui pratique aussi le parapente en tant que moniteur. Ce grand gaillard a réalisé 333 vols en 2022 autour du puy de Dôme, alors il le connaît par cœur : « Il y a une harmonie des formes, des courbes avec une douceur mais aussi une virulence, ce sont des vrais volcans. »

Le sommet du puy de Dôme offre un panorama grandiose. | OUEST-FRANCE

Retour quelques centaines de mètres en contrebas. Sur la place du village d’Orcines, à côté de la mairie et de l’église, Yann Berger, un des facteurs du coin à la barbe grisonnante, est en train de réaliser sa tournée. La commune, qui s’étend sur un large territoire de 45 km², a la particularité d’être composée de 17 villages et lieux-dits, éparpillés autour du volcan.

Comme ses collègues, le facteur ne monte plus au sommet du puy de Dôme pour livrer le courrier, notamment pour la station hertzienne militaire. Celle-ci située tout en haut est gérée par l’armée de l’air et le ministère de l’Intérieur. « Dans le temps, c’était le cas ! Les jours de neige, les facteurs montaient en ski. Mais maintenant, les boîtes sont au niveau de la gare du train à crémaillère, on ne monte plus. »

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Pour l’homme de 44 ans, ce dôme de lave de 11 000 ans est « un repère, un monument qu’on voit de loin, une ancre ». Ravi de voir revenir le Tour de France dans la région, Yann vante la vie de son village : « Il y a un sentiment de bien-vivre, d’entraide. On est à la campagne. C’est une vie tranquille, à cinq kilomètres d’une grande ville. »

Orcines est désormais un « village dortoir », selon Vincent*, qui ne le dit pas avec un ton péjoratif : « Les lieux n’ont plus rien à voir avec une époque où il y avait beaucoup d’agriculteurs qui cultivaient sur les hauteurs. Aujourd’hui, la plupart des habitants travaillent dans la plaine, à Clermont. »

« Aucune règle de l’Unesco n’interdisait le passage du Tour »

Au petit matin, vers 8 h 30, Clair-Émile Sarr fait les cent pas devant la petite église de Laschamps, commune voisine d’Orcines. Le prêtre attend les fidèles, avant de commencer son office une demi-heure plus tard. Il patiente en regardant son téléphone portable alors que la commune semble encore endormie.

L’homme de 61 ans est arrivé dans la région en septembre. Pour les trois prochaines années, il participe à une coopération missionnaire entre le diocèse de Clermont-Ferrand et celui de Kaolack, au Sénégal, son pays d’origine. Un vendredi par mois, il est dans la petite commune juste à côté du puy de Dôme, pour continuer de faire vivre ces chapelles. « On est trois prêtres sur les paroisses d’Aubière et de Beaumont (situés au sud de Clermont), avec un Français et un Indien, glisse-t-il, en regardant le volcan endormi derrière ses lunettes. Je n’ai pas encore eu le temps de monter en haut du puy de Dôme, mais c’est au programme. On m’en a déjà souvent parlé : les gens en sont fiers. Ça fait partie des sites à ne pas manquer en Auvergne. »

Pour lui, le Tour de France est une découverte. Il sera sûrement sur le bord de la route pour suivre cet événement. Le 9 juillet 2023 marque le retour d’un mythe dans le plus grand événement sportif annuel. Et la fin d’une trop longue absence pour les habitants des environs du cratère. La Grande boucle n’était pas repassée par ces pentes depuis 35 ans. Les raisons ? D’abord, la construction du train à crémaillère sur une partie de la route, pour limiter le trafic routier engendré par le tourisme. Mais le puy de Dôme a obtenu également des labels (Grand site de France en 2008, puis l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 2018). Jean-Yves Gouttebel, président du département entre 2004 et 2021, a mis en avant à de nombreuses reprises que ces certifications ne permettaient plus un passage du Tour.

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Un argumentaire qui n’a pas convaincu certains passionnés. Une association « Pour le retour du Tour de France au puy de Dôme » a été créée en 2019, avec un trio à sa tête : Maurice Lahanque, Jean Tiberghien et Maryse Chapeland-Latallerie. Les trois amis savaient qu’ils avaient un soutien de poids dans leur entreprise : Christian Prudhomme (directeur de la course) raconte à l’envi l’anecdote selon laquelle il a écrit « Objectif puy de Dôme » sur son ordinateur pour son premier jour à ASO, en 2004.

Maurice Lahanque (co-président « Pour le retour du Tour de France au puy de Dôme »), Jean-Marc Morvan (maire d’Orcines) et Jean Tiberghien (deuxième co-président, ancien conseiller technique sportif de cyclisme de la région Auvergne entre 1983 et 2013). | OUEST-FRANCE

Maurice Lahanque, co-président de l’association, y a cru dur comme fer. « Il y avait des obstacles politiques, mais j’étais convaincu qu’il n’y avait pas de fatalité, confie l’homme, très engagé dans la vie sportive de Clermont-Ferrand. Aucune règle de l’Unesco n’interdisait le passage du Tour. On a nous-même appelé l’Organisation pour avoir la confirmation. »

Celle qui a passé ce fameux coup de fil, c’est Maryse Chapeland-Latallerie, secrétaire de l’association « Pour le retour du Tour de France au puy de Dôme ». Elle habite à Laschamps, tellement près du puy de Dôme que depuis le sommet, elle pointe du doigt sa maison. Cette femme de 65 ans est pleine d’énergie. « J’ai un petit vélo dans la tête », assume-t-elle.

Maryse nous présente une photo publiée dans un numéro de la revue Cyclisme international, daté d’août 1986. Elle a photocopié l’article et l’a collé dans un petit cahier. En 1986, c’est l’avant-dernier passage du Tour de France (avant 1988). La version féminine de la Grande boucle, qui devançait les messieurs de quelques heures, est donc passée par le PDD. Sur le cliché, la cycliste Nathalie Pelletier, maillot tricolore sur le dos et bidon Coca-Cola sur le vélo, bataille contre la pente en s’accrochant à sa guidoline jaune vif. Une femme court à ses côtés, petit short, veste Adidas : c’est Maryse. Son regard est rivé sur le pédalier de la coureuse, les encouragements fusent.

Elle ne le savait pas encore, dans ce moment capturé par le photographe, mais Maryse Chapeland-Latallerie passera dans l’autre rôle l’année suivante, en participant au Tour de France 1987. Le pic de sa carrière sportive et des souvenirs impérissable pour l’Auvergnate : « La foule était déjà là pour nous, avant les hommes. Quand tout le monde s’écarte sur votre passage dans les cols, c’est magique. Je suis toujours émue d’en parler 35 ans plus tard. » C’était une autre époque, avec une professionnalisation du peloton féminin quasiment inexistant. « J’avais pris des jours de congé pour faire le Tour », glisse l’ancienne infirmière.

Les coureurs arriveront au sommet du puy de Dôme par une route abrupte. | OUEST-FRANCE

Aujourd’hui, Maryse a besoin de se sentir au plus près du géant de la chaîne des puys : « J’ai habité 10 ans à Clermont (à 10 km), j’ai trouvé que c’était trop loin. J’ai besoin de pouvoir enfourcher mon VTT, enfiler mes baskets et retrouver le puy de Dôme. Je monte en footing au moins une fois par semaine. J’estime être grimpé plus de 1 000 fois en haut, rien qu’en courant. »

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Depuis 2019, elle était persuadée de voir le retour du Tour de France sur ses terres. « Le PDD mérite son auréole. Aujourd’hui, le but est atteint. Maintenant j’espère un jour voir les femmes remonter aussi. C’est une nouvelle bataille. » Le record féminin de la montée en compétition, qu’elle revendique, sera peut-être battu, mais tant pis.

* Le prénom a été modifié.

« La vraie vie dans les cols mythiques du Tour de France », votre série Prolongation de juillet, est de retour pour une saison 2. Tous les articles sont à retrouver ici :

Épisode 1. « J’ai quitté l’enfer pour le paradis » : la vie au pied de l’Aspin et du Tourmalet (mardi 4 juillet)

Épisode 2. « Il faut aller chez le médecin avant d’être malade » : la vie dans le col de Soudet (mercredi 5 juillet)

Épisode 3. « On a ici la culture du risque » : Cauterets, son unique route et ses craintes (jeudi 6 juillet)

Épisode 4. « C’est notre phare », le puy de Dôme vu par ceux qui y vivent

Épisode 5. « John Kerry s’est arrêté devant ma ferme » : la vie dans le col de Joux Plane (samedi 15 juillet)

Épisode 6. « On a encore la vie de village » à Brides-les-Bains, au pied du col de la Loze (mercredi 19 juillet)

Les épisodes de la première saison de « La vie dans les cols du Tour de France » (Granon, Croix de Fer, Hautacam…) sont toujours disponibles ici.

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