Résistance

 

Panthéonisation de Missak Manouchian : Emmanuel Macron regarde son reflet dans la mémoire

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Le chef de l’Etat fait grand cas de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance. Un levier bien utile censé rassembler le pays et aider le Président à surmonter les difficultés du moment.
par Jean-Baptiste Daoulas et Laure Equy
publié le 17 juin 2023 à 7h19

Dimanche 18 juin, Mont Valérien (Hauts-de-Seine). Entre la crypte et la colline, quatre-vingt-trois ans après l’appel du général de Gaulle à l’union des Français pour libérer le pays, Emmanuel Macron entend faire dialoguer les deux mémoires du lieu, sans concurrence : celle, gaullienne, de la crypte du «Mémorial de la France combattante» et de l’esplanade, et l’autre, celle de la colline qui domine la vallée de la Seine, et sa clairière où l’on fusillait résistants et otages, dont de nombreux communistes, sans que les détonations ne soient entendues dans Paris. Le «dépassement», les destins glorieux des héros porteurs d’un «esprit de résistance», manifestation ultime de l’«esprit de résilience» versus ce funeste «esprit de défaite», le «retour du tragique»… Il y a là toutes les figures dont le président de la République raffole. Et de quoi tricoter, dixit l’Elysée, la «mémoire d’un imaginaire républicain partagé».

Calendrier oblige, le chef de l’Etat s’apprête à commémorer, cette année et jusqu’en 2025, plusieurs quatre-vingtièmes anniversaires, célébrant de grandes figures de la Résistance. A l’Elysée, on a théorisé ce «cycle mémoriel» ouvert le 8 mai lors de la visite d’Emmanuel Macron à la prison de Montluc, à Lyon, où fut détenu Jean Moulin. Il doit courir jusqu’aux grandes cérémonies du Débarquement – confiées à un groupement d’intérêt public, «la mission de la Libération», piloté par l’ambassadeur Philippe Etienne – et de la Libération de Paris, l’an prochain.

Levier bien utile

Après avoir coché 2020, «l’année de Gaulle», et salué le 24 mai, lors d’un hommage rue du Four à Paris, la première réunion clandestine du Conseil national de la Résistance (CNR) en 1943, Emmanuel Macron entend honorer un autre grand nom de la Résistance.

 Dimanche 18 juin, il devrait annoncer l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, accompagné de son épouse, Mélinée, probablement le 21 février 2024, quatre-vingts ans après l’exécution, au Mont Valérien du héros de l’Affiche rouge avec 21 de ses camarades. C’est, en tout cas, l’espoir du comité œuvrant pour cette reconnaissance, qui était reçu vendredi 16 juin par le chef de l’Etat, en présence de ses conseillers mémoire et culture, Bruno Roger-Petit et Philippe Bélaval – qui avait orchestré les panthéonisations de Simone Veil et de Joséphine Baker. Si le Président choisit bien de rendre cet honneur suprême à Manouchian, rescapé du génocide arménien, résistant apatride et communiste, qui fit «le choix de la France par le cœur et le sang versé» selon les mots d’Emmanuel Macron, le récit est fin prêt. Il fait écho à celui tissé pour célébrer en 2021 Joséphine Baker, née Américaine, qui avait «décidé, comme Manouchian, d’adhérer aux valeurs profondément républicaines de notre nation», explique l’Elysée, tentant de ménager un semblant de suspense. «Au fond, il n’y a pas plus française que vous, avait lancé Macron le 30 novembre 2021 devant le Panthéon. Ma France, c’est Joséphine !»

«Quand un président de la République parle d’histoire, il parle toujours de lui !» s’amuse Christian Delporte, professeur émérite d’histoire contemporaine. La mémoire, ce levier bien utile pour un président en quête de souffle, s’étant donné cent jours pour expier sa réforme des retraites. Le voilà qui peut en profiter – c’est un classique – pour soigner sa stature en inscrivant ses pas dans ceux des plus illustres.

 Dans ce domaine réservé qu’est la mémoire, pas de majorité relative, nul besoin de 49.3. 

Juste un Président aux mains libres. 

«La place du mémoriel chez Macron est omniprésente. C’est plutôt là qu’il incarne la dignité de la fonction», observe un député Renaissance.

Jurant (sans surprise) que l’entreprise ne relève ni de la pirouette tactique ni de l’exercice imposé, son entourage raconte la fascination d’Emmanuel Macron pour l’époque de l’entre-deux-guerres à la Seconde Guerre mondiale. 

«Comment en arrive-t-on à Vichy et à la collaboration ? 

Comment la France s’est-elle enfoncée ? 

Il réfléchit beaucoup à cette période : le délitement européen, le somnambulisme et les renoncements qui font advenir le pire, explique un ancien conseiller. Il est très Marc Bloch». L’auteur de l’Etrange défaite, pour l’analyse, et de Gaulle, en référence absolue. «Tout de même… en six semaines, se forger un destin…» répète-t-il souvent à ses proches, admiratif du de Gaulle de mai 1940, colonel d’une petite division blindée qui, soudain, a su enfourcher l’histoire.

Gros sabots

Ce président quadra qui vibre en entendant le Chant des partisans lors des cérémonies et qui, par la force des choses, enterre de grands mythes du XXe siècle, a le regard émerveillé du petit garçon pour les récits héroïques des compagnons de la Libération ou du commando Kieffer. En 2021, il avait reçu à l’Elysée Léon Gautier et demandé au dernier des 177 membres du commando, à quoi il pensait sur cette plage normande le 6 juin 1944 : «Quoi qu’il arrive, on avait décidé… On rembarquerait pas», répliqua le «béret vert», ancien fusilier marin des forces françaises libres, soufflant le chef de l’Etat. Aux petits soins pour Daniel Cordier et Hubert Germain, Emmanuel Macron échangeait régulièrement avec eux en marge des cérémonies officielles. Il emporte parfois, pour un déplacement, le livre d’entretiens du second, biffant les extraits que ses conseillers sont priés de lire dans l’hélicoptère les menant à Colombey-les-Deux-Eglises. «Il faut conserver les braises ardentes», avait demandé Hubert Germain au Président. Le 15 octobre 2021, Emmanuel Macron essuie une larme face au cercueil du dernier des Compagnons de la Libération, sur lequel une croix de Lorraine taillée dans le bois de Notre-Dame-de-Paris sera déposée. Lors de l’hommage national rendu à Germain, le Président convoque «le silence millénaire de l’esprit de résistance et de l’acharnement français».

Ah, l’esprit de résistance ! «C’est gagnant à tous les coups car c’est un symbole positif, une forme d’exaltation de la résilience dans l’histoire», pointe Jean Garrigues, professeur émérite à l’université d’Orléans. Nicolas Sarkozy arpentait le plateau des Glières et entendait édifier les écoliers avec la dernière lettre de Guy Môquet. François Hollande a fait entrer Geneviève de Gaulle Anthonioz, Germaine Tillion, Jean Zay et Pierre Brossolette au Panthéon. Chaque président entend s’associer à la Résistance, chaussant parfois de gros sabots. «Emmanuel Macron est celui qui en fait le moins sur l’instrumentalisation, jure un ex de l’Elysée. Hollande parlait de sa réforme du collège en rendant hommage à Jean Zay ! Nous, on est plus subtils.»

Macron a quand même osé la grosse ficelle d’un Conseil national de la refondation en 2022, emprunt au CNR de 1943, pour appeler partis et syndicats à dépasser les clivages dans l’intérêt du pays. Une «usurpation sociale et historique», dénoncera la CGT. «On ne peut pas à la fois imiter le CNR et en même temps se couper du dialogue avec les syndicats pendant la réforme des retraites. Il y a une forme de contradiction», souligne Garrigues. 

À la sortie du premier confinement, le chef de l’Etat promettait en 2020 le retour des «jours heureux». C’était le titre du programme du CNR en 1944, socle du rétablissement de la démocratie, de la Sécurité sociale et des nationalisations. 

Rien que ça. 

Mais avant, à l’heure de confiner le pays, soucieux de créer un électrochoc dans l’esprit des Français, il avait déjà agité l’imaginaire militaire face à la pandémie : «Nous sommes en guerre», avait-il demandé à sa plume de glisser dans son discours. Le tout pour appeler les Français cloués chez eux à «regarder la période devant nous, avec l’esprit de résistance».

«L’esprit de résistance» comme ciment de la nation

À travers Manouchian, Macron adresse un clin d’œil à la gauche tout en corrigeant une injustice. «Il n’y a pas assez de résistants communistes au Panthéon, reconnaît-on à l’Elysée. Compte tenu du rôle important joué par le PCF dans la Résistance française, qui doit être reconnu comme tel, c’est quelque chose qui entre aussi en considération.» La mémoire sait surmonter les clivages. Le mois dernier, quand s’éteint Odette Nilès, militante et résistante communiste, c’est Fabien Roussel qui prend son téléphone pour informer Emmanuel Macron que la «petite fiancée» de Guy Môquet n’est plus. «Nous continuerons à porter son œuvre de mémoire», promet le chef de l’Etat sur Twitter. «Au-delà des affrontements politiques du moment, on peut, autour de la figure de Manouchian, retrouver à droite comme à gauche, un substrat républicain, l’idée de la nation qui nous tient encore ensemble», estime le sénateur communiste des Hauts-de-Seine et historien, Pierre Ouzoulias.

Tweet au lance-flammes

Manier la mémoire de la Résistance pour répliquer aux pires âneries d’Eric Zemmour, est-ce de l’instrumentalisation ? 

À Pithiviers, commémorant la rafle du Vél d’Hiv en juillet 2022, le chef de l’Etat s’en prend aux «commentateurs se faisant révisionnistes» : «Ni Pétain, ni Laval, ni Bousquet, ni Darquier de Pellepoix […] n’a voulu sauver des juifs. C’est une falsification de le dire.» 

Vingt-sept ans après Jacques Chirac, Emmanuel Macron entendait dénoncer une France «qui s’est trahie elle-même» avec le régime de Vichy, l’opposant à «la France véritable, fidèle à elle-même, partout où elle trouvait à résister et à survivre».

À l’Elysée, on avait été, à l’époque, assez frustrés de constater qu’un tweet au lance-flammes de Mathilde Panot avait suffi à éclipser le message fort de Pithiviers. Dans une attaque douteuse, la patronne des députés LFI avait chargé un président de la République qui «rend honneur à Pétain». Allusion à la vive polémique déclenchée en 2018, peu avant le centenaire du 11 Novembre : Macron tardait à renoncer à cette idée inouïe d’inclure Pétain dans l’hommage aux maréchaux de 1914-1918. «On peut avoir été un grand soldat à la Première Guerre mondiale et avoir conduit à des choix funestes durant la Seconde», avait-il alors tenté, comme si l’homme de Vichy pouvait être sécable. Dernièrement, à la table du Conseil des ministres, le Président avait estimé que «le combat contre l’extrême droite ne passe plus par des arguments moraux». Mise en garde qui passait pour un recadrage de sa Première ministre, après qu’Elisabeth Borne a qualifié le Rassemblement national de parti «héritier de Pétain». Peut-on exalter l’esprit de la Résistance et en même temps négliger ce rappel historique, au motif que l’«argument moral» porterait moins, désormais, pour disqualifier l’adversaire Le Pen ? «Quand Emmanuel Macron n’estime pas utile de rappeler la continuité de l’Action française au RN, il commet une faute», assène Pierre Ouzoulias.

Le 2 mai 2017, quelques jours avant sa victoire contre Marine le Pen à l’élection présidentielle, le candidat Emmanuel Macron avait reçu, au siège d’En marche, un Daniel Cordier «pas rassuré». Le vieux résistant, quand il s’imaginait la candidate du FN «représenter la France» trouvait «cela monstrueux» «Le Pen, dans la vie politique française, représente la négation de tout ce pour quoi nous nous sommes battus.» Appelant à voter Macron, Daniel Cordier avait estimé : «C’est l’homme dont je pense qu’il peut nous sauver d’un désastre qui serait infâme.» Voilà qui oblige.

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