vendredi 30 juin 2023

  Paris Match 

#Titan

Ils voulaient explorer l’épave du «Titanic» à bord de leur sous-marin de poche. Et ont payé leur obsession de leur vie. Notre enquête.

Vendredi 16 juin, Terre-Neuve

Ils ont longtemps attendu la fenêtre météo. En ce mois de juin, à Terre-Neuve, il arrive qu’il neige. Mais le plus fréquent, outre le vent qui rase la lande, c’est la brume qui efface les fjords, les marais, les tourbières. Cette année, le temps a été si épouvantable qu’il a fallu annuler plusieurs expéditions autour du ­­ « ­Titanic », la victime la plus célèbre de ces icebergs que les touristes regardent passer comme autrefois les Indiens regardaient passer les baleines.

Stockton Rush, patron et fondateur d’OceanGate Expeditions, demande pourtant seulement huit heures. Huit petites heures pour emmener son sous-marin et ses quatre passagers à moins 4 000 mètres, presque la hauteur du mont Blanc. Il a fondé sa société en 2009, douze ans après la sortie aux états-Unis du film de James Cameron, l’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma. En 2017, il commence à promouvoir ses « excursions touristiques dans les profondeurs », explique fièrement que la conception du « Titan », comme celle du « Titanic », est révolutionnaire.

En 2021, le communiqué de presse insiste cependant sur les « systèmes de sécurité multiples et redondants ». Il s’agit de répondre aux critiques qui pleuvent contre une approche jugée trop « expérimentale ». Il les prend « comme une insulte… Je suis très qualifié pour comprendre les risques et les problèmes liés à un nouveau véhicule. Notre approche est axée sur l’ingénierie et l’innovation. Forcément, cela va à l’encontre de l’orthodoxie. Mais c’est la nature même de l’innovation ». Fin de la discussion.

Stockton Rush dans le «Titan » le 27 mai. Le patron californien d’OceanGate rêvait d’ouvrir les profondeurs au tourisme.
Stockton Rush dans le «Titan » le 27 mai. Le patron californien d’OceanGate rêvait d’ouvrir les profondeurs au tourisme. Arnie Weissmann/AP/SIPA / © Arnie Weissmann/AP/SIPA

Enfant, Stockton Rush rêvait de marcher sur la Lune. Acuité visuelle insuffisante pour l’armée, il sera néanmoins ingénieur et pilote, ajoutant à ses compétences techniques un diplôme d’administration des affaires. Tout le savoir-faire pour associer la science et l’argent. Nicolas Vincent, directeur des opérations chez Deep Ocean Search, société spécialisée dans les opérations sous-marines qui va férocement s’impliquer dans l’opération de sauvetage, même s’il insiste pour dire qu’elle n’y avait aucun rôle officiel, seulement celui de conseil et de facilitateur, n’y trouve pas à redire : " qu’aurait fait Marie Curie sans Henri de Rothschild ? ".

« Les premières explorations polaires étaient privées, et c’est grâce à l’argent d’“Avatar” et de “Terminator” que James Cameron a pu descendre en 2012 dans la fosse des Mariannes, à moins 10 994 mètres, la plus profonde connue à ce jour. »

James Cameron, réalisateur de « Titanic »… Ce n’est pas un nom à prononcer devant Stockton Rush. L’avertissement pourrait figurer sur les documents qu’il remet à ses clients. Il ne lui a en effet pas fallu un film pour s’éprendre de la plus célèbre épave des temps modernes. Mais un lien de famille : sa femme, Wendy, arrière-arrière-petite-fille d’Ida et Isidor Straus, propriétaire des magasins Macy’s, rendus mythiques par leur décision, lors du naufrage, de mourir ensemble et de laisser leur place dans les canots de sauvetage. Wendy est aussi la directrice de communication d’OceanGate.

Le Britannique Hamish Harding, businessman aventurier. Ici au Centre spatial Kennedy, en juillet 2019.
Le Britannique Hamish Harding, businessman aventurier. Ici au Centre spatial Kennedy, en juillet 2019. Jannicke Mikkelsen via REUTERS / © Jannicke Mikkelsen via REUTERS

Regard bleu acier, cheveux blancs, silhouette sportive, Stockton Rush, 61 ans, est arrivé à Terre-Neuve le 15 juin. La coiffeuse de Fogtown, un salon de Water Street, une des rues principales de Saint-Jean, la capitale, le trouve sympathique et bavard. Ce n’est pas le genre de ses compatriotes… Descendants de marins bretons, désormais privés de pêche à la morue, ils sont plutôt taiseux et méfiants. Surtout envers les touristes, ces amateurs de tragédie qui se retrouvent sur les hauteurs de Signal Hill pour regarder dans la direction indiquée par le panneau : lieu du naufrage. « Quand les gens me demandent où j’habite, je réponds : “À côté du ‘Titanic’” », ironise un passant. Les distractions sont rares : vieilles façades peintes de couleurs vives, brocantes poussiéreuses et bars à cannabis.

Impatients que le brouillard se lève pour plonger

Ce 16 juin, Rush et ses quatre équipiers se retrouvent au bar de l’hôtel Alt, à l’heure du café. Tous ont revêtu la combinaison siglée ­« ­Titanic ». James, le serveur, remarque leur impatience : « Ils attendaient depuis plusieurs jours que le brouillard se lève. » Ces cinq hommes ne se connaissent pas. Sauf Rush et le Français de 77 ans, Paul-Henri Nargeolet, une légende. Ce scientifique est la référence absolue des profondeurs, comme Thomas Pesquet l’est désormais de l’espace. Il a déjà participé à cinq missions avec le « Titan », loue ses « angles de vue inhabituels », apprécie qu’il « dérive moins que le “­Nautile” », le sous-marin français de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer).

Tragique destin pour l’homme d’affaires Shahzada Dawood et son fils, Suleman, 19 ans, membres d’une dynastie industrielle pakistanaise.
Tragique destin pour l’homme d’affaires Shahzada Dawood et son fils, Suleman, 19 ans, membres d’une dynastie industrielle pakistanaise. © DR

À son bord, il avait découvert le « Titanic », le 25 juillet 1987, à 12 h 22, dans, écrit-il, un « mélange de joie et de tristesse. Personne ne parla pendant dix minutes, devant ce spectacle où la vie se fige. Nous survolions la plage avant, les treuils et les ancres semblaient neufs, polis par le courant. J’ai reçu en pleine figure tout ce que j’avais lu sur le “Titanic”, près de 300 livres ». Il a déjà passé quelque cent heures autour de l’épave, les dernières en 2021, et, grâce à une étrange panoplie – ventouses, pelles, racks, fourches, paniers –, a remonté des dizaines d’objets ramassés non pas à l’intérieur, où gisent les effets personnels des passagers, mais dans le champ de débris : brosse à dents coincée dans les sifflets d’une cheminée, lustre accroché à une grue électrique, morceaux de charbon mélangés à des fioles de parfum… Et bouteille de champagne : « À l’air libre, le gaz s’est échappé et une odeur de champagne a envahi notre bateau à la surface, ce fut comme si on respirait le parfum du “­Titanic”. Quant au champagne, il avait le goût d’eau de mer. »

Une « canette de soda » manœuvrée à 4 000 mètres de profondeur par une manette de jeu vidéo

Paul-Henri Nargeolet est fasciné par ces « objets fantômes » qui se transforment en poussière sitôt qu’on les saisit. Sachant que les bactéries avalent 400 kilos de fer par jour, combien de temps faut-il pour faire disparaître les 52 310 tonnes qui ont permis, pendant plus d’un siècle, de conserver une certaine idée du « Titanic » ? Paul-Henri est pressé, l’épave se décompose. Il rêve de remonter la station radio Marconi d’où furent diffusés les SOS. Grâce à un nouveau robot, le Triton nouvelle génération avec son sondeur 3D, il espère faire parler la « scène de crime » : traces de l’iceberg sur la coque et les rivets, nombre de pales sur l’hélice centrale, raison pour laquelle les hublots sont tous ouverts…

Le robot français «Victor 6000» de l’Ifremer, qui a participé aux recherches du «Titan ».
Le robot français «Victor 6000» de l’Ifremer, qui a participé aux recherches du «Titan ». via REUTERS / © Olivier Dugornay Ifremer

Bernard Cauvin, qui a fondé la Cité de la mer, à Cherbourg, où l’explorateur vient souvent donner des conférences, adore écouter ce conteur-né, à même de rassurer les néophytes qui craindraient de se retrouver enfermés, à cinq, dans cette « canette de soda » manœuvrée à 4 000 mètres de profondeur par une manette de jeu vidéo…

750 000 dollars, le prix total que rapportent les billets des trois passagers

Pour expliquer la présence des trois autres hommes embarqués dans le « Titan », un chiffre suffit : 750 000 dollars, le prix total que rapportent leurs billets. Il y a là le Britannique Hamish Harding, 58 ans. P-DG d’une entreprise de vente de jets, obsédé par « Le livre Guinness des records ». Il y est mentionné en 2019 pour le tour de la Terre le plus rapide en avion : quarante-six heures, quarante minutes et vingt-deux secondes. Et en 2021 pour une plongée dans la fosse des Mariannes, cette profondeur extrême. En 2022, il était l’un des premiers passagers à s’asseoir dans la fusée « New Shepard » de Jeff Bezos, un des artisans de la privatisation de l’espace.

Il y a Shahzada Dawood, 48 ans, vice-président du conglomérat Engro, basé à Karachi. Il appartient à une des familles les plus riches du Pakistan. Une fortune née du fil de coton, qui a survécu à l’indépendance, à la partition de l’Inde, aux nationalisations. L’empire s’étend désormais au papier, au pétrole, à la chimie, aux assurances, aux engrais, à l’électroménager, à l’électronique… Mais Shahzada s’intéresse surtout aux œuvres philanthropiques (en particulier l’éducation de 2 500 filles à Karachi), à l’espace et à la science-fiction, comme à la recherche d’une vie extraterrestre.

L’engin est téléopéré par deux personnes depuis un poste de pilotage sur le navire « L’Atalante ».
L’engin est téléopéré par deux personnes depuis un poste de pilotage sur le navire « L’Atalante ». via REUTERS / © via REUTERS

Cet arrivant de dernière minute a amené son fils, ­Suleman, 19 ans. Cet étudiant de Glasgow, que sa tante dira « terrifié » par l’expédition, a accepté parce que c’était la Fête des pères. Il a un projet : expert du Rubik’s Cube, il voulait battre le record du monde à moins 3 700 mètres. Et puis sa mère, Christina, « coach de cadres et agente de changement », lui a appris à « positiver ». Sur son site Internet, elle écrit : « Ce n’est qu’après être sorti de votre zone de confort que vous commencez à changer, à grandir, à vous transformer. » Et annonce la philosophie de son entreprise : « Chez Next Step Now, nous comprenons les défis auxquels sont confrontés les dirigeants des entreprises familiales – tels que […] le développement des talents de la prochaine génération. » Suleman a compris le message : il a trop de privilèges pour ne pas se sentir le devoir de dépasser ses limites.

Les Dawood profitent du renoncement des Bloom – Jay, investisseur à Las Vegas, et son fils, Sean, 20 ans –, prétendument retenus par d’autres obligations. En réalité, Jay Bloom est mort de trouille. Il fait une fixation sur un détail : une manette de jeu vidéo, achetée dans le commerce, sert à diriger le navire.

 

Samedi 17 juin, Terre-Neuve

Cette fois, ça y est.

Hamish Harding publie sur Facebook : « En raison du pire hiver à Terre-Neuve depuis quarante ans, cette mission sera probablement la première et la seule mission habitée vers le “Titanic” en 2023. Une fenêtre météo vient de s’ouvrir et nous allons tenter un plongeon demain. »

Dimanche 18 juin, sur le « Polar Prince »

Le brise-glace embarque les cinq passagers pour les amener sur la zone de plongée, à quelque 700 ­kilomètres à l’est de Saint-Jean de Terre-Neuve. Sur le pont, ils découvrent la capsule minimaliste à bord de laquelle ils vont affronter les pressions vertigineuses. Rush adore montrer que le seul siège disponible est celui des WC, mais recommande de se faire sobre pour ne pas avoir à l’utiliser… Sa plus grande fierté est un hublot, large de 60 centimètres, le comble du luxe dans un sous-marin, surtout qu’à ces profondeurs il n’y a que des ténèbres, éclairées, il est vrai, par de puissants projecteurs.

Pendant la plongée, le « Polar Prince » sera leur seul lien avec la surface. Et encore… Nicolas Vincent explique : « La procédure de communication est classique. Il y a une communication acoustique, avec un téléphone à ultrasons. Ce sont des basses fréquences, des données basiques. Et une balise acoustique de positionnement. Le GPS ne fonctionne pas sous l’eau. Pour relais, on utilise donc des émissions acoustiques, une sorte de GPS inversé. Le bateau en surface traque cette balise, mesure des distances d’angles puis recalcule une position GPS. »

La marine américaine avait déployé son système Fadoss, capable de remonter de gros objets depuis 6000 mètres.
La marine américaine avait déployé son système Fadoss, capable de remonter de gros objets depuis 6000 mètres. /AP/SIPA / © /AP/SIPA

Sur Instagram, Harding a annoncé que la descente commencerait en pleine nuit, à 4 heures du matin. Selon les gardes-côtes, ce sera plus tard, vers 8 heures : à peu près deux heures pour arriver à l’épave, autant sur place, autant pour remonter. Ils seront de retour peu après l’heure du déjeuner.

Première anomalie, une heure et quarante-cinq minutes après le début de la descente. À 9 h 45, les communications entre le submersible et le navire de surface sont perdues. Mais il n’y a guère de raison de s’inquiéter. Toujours selon Nicolas Vincent : « Cette balise acoustique de positionnement a arrêté de fonctionner en même temps que le téléphone à ultrasons, autour de 3 300 mètres de profondeur. Ils n’étaient plus très loin de l’épave, car le “Titanic” est à 3 800 mètres environ. À cette profondeur, la pression est de 330 kilos par centimètre carré. » C’est 330 fois plus qu’en atmosphère, au niveau de la mer… 330 kilos qui se jettent sur chaque centimètre² de la surface du submersible. À 15 heures, le « Titan » n’a pas réapparu. À 17 h 40 : le « Polar Prince » annonce son retard aux gardes-côtes. Le Centre conjoint de coordination de sauvetage à Halifax, en Nouvelle-Écosse, va très vite déclarer le « Titan » disparu.

 

Lundi 19 juin

OceanGate reste optimiste : « Nous sommes profondément reconnaissants de l’aide considérable que nous avons reçue de plusieurs agences gouvernementales et sociétés de haute mer dans nos efforts pour rétablir le contact avec le submersible. Nous travaillons au retour, en toute sécurité, des membres d’équipage. » ­Christina Dawood se dit confiante. L’équipe d’OceanGate lui explique les mille manières qui permettent au pilote de remonter à la surface. Les gardes côtières, les marines américaine et canadienne et OceanGate Expeditions établissent un « commandement unifié ». Des navires, des avions se précipitent, certains larguent des bouées acoustiques. On appelle à l’aide les navires commerciaux. La société Pelagic Research Services dépêche son ROV ­Odysseus 6K, véhicule marin téléopéré qui peut descendre jusqu’à moins 6 000 mètres.

Lors d’une conférence de presse à Boston, l’amiral John W. Mauger avoue cependant : « Il est compliqué de mener une recherche dans une zone qui peut s’étendre sur 20 000 mètres carrés et descendre jusqu’à 4 000 mètres. » Il ajoute : « C’est un défi et nous déployons tous les moyens disponibles pour nous assurer que nous pouvons localiser l’engin et sauver les personnes à bord. »

Le capitaine Jason Neubauer, chargé de l’enquête américaine, sur la base de la garde côtière à Boston (Massachusetts), le 25 juin.
Le capitaine Jason Neubauer, chargé de l’enquête américaine, sur la base de la garde côtière à Boston (Massachusetts), le 25 juin. Steven Senne/AP/SIPA / © Steven Senne/AP/SIPA

L’espoir toujours. Et Nicolas Vincent n’y renonce pas : « Paul-Henri Nargeolet était notre ami, il était en danger. Donc il fallait aider à faire les bons choix. Car aussi haut placé soit le décideur, il n’a pas notre expertise. L’implosion, c’est la première chose qu’on a redoutée. Parce que, hélas, elle ne pardonne pas. Mais on espérait que le véhicule était posé sur le fond, à cause d’un incident technique. Et je pensais à “Apollo 13”, la fuite d’oxygène, l’incendie, les défaillances électriques… Dans “Apollo 13”, ils s’en sortent. Et puis, il y avait des systèmes de survie, l’injection d’oxygène, le traitement du CO2, le système de chauffage… Donc, oui, on espérait. » Dans cette hypothèse, les cinq passagers disposent de 70 à 96 heures d’oxygène.

Pourtant, plusieurs n’y croient déjà plus. Robert Ballard, découvreur de l’épave du « Titanic » en 1985 : « Nous nous sommes appelés avec Jim [le réalisateur James Cameron, 33 plongées sur le site]. La seule façon d’expliquer les problèmes en descente, puis la panne du système de suivi, était l’implosion. Nous savions que c’était fini. »

 

Mardi 20 juin

La France déroute l’« Atalante », le navire de recherche de ­l’Ifremer, et son robot Victor 6000. Un argument de plus sur la piste du dénouement heureux. « L’Ifremer a fait un travail de dingue, se souvient Nicolas Vincent. Ils ont lâché leur programme scientifique pour accourir. » Le roi Charles demande à être « tenu informé » : Shahzada Dawood est un soutien de ses fondations. Le roi fait dire que ses pensées et ses prières accompagnent la famille Dawood et toutes les personnes impliquées dans l’incident.

Deux des trois avions de transport C-17 de l’US Air Force mobilisés pour acheminer des submersibles et du matériel de recherche à l’aéroport Saint-Jean de Terre-Neuve (Canada).
Deux des trois avions de transport C-17 de l’US Air Force mobilisés pour acheminer des submersibles et du matériel de recherche à l’aéroport Saint-Jean de Terre-Neuve (Canada). REUTERS / © All rights reserved by author

Les amis de Paul-Henri Nargeolet croient encore au miracle. S’il y a une personne au monde qui peut gérer le pire, réparer une batterie, bricoler un système de recyclage de l’oxygène et même faire rire les passagers, c’est lui, Paul-Henri… Victor Vescovo, explorateur aussi habile dans les fonds de placement que dans les fonds marins, évoque ce « compagnon de voyage idéal, amateur de farces : il avait emporté dans notre sous-marin un œuf pour en faire, disait-il, l’œuf le plus profond du monde » ! Mais avec lui il a toujours évité le sujet du « Titan » : « Il connaissait mon point de vue. Je ne voulais pas gâcher notre amitié. »

 

Mercredi 21 juin

Est-ce de l’avoir trop rêvé ? Des « bruits de claquement », à intervalles de trente minutes, selon CNN et « Rolling Stone », sont détectés entre minuit et 2 heures du matin. Les gardes-côtes américains confirment. On envoie les robots. Nicolas Vincent : « On a tous espéré, oui. Mais c’était des “ghost”. Dans les colonnes d’eau, il y a des eaux de différentes densités. Et chaque changement de densité produit comme un changement de matière. Le son se réfracte, se déforme ou rebondit. Il peut y avoir un “rebond” à des milliers de kilomètres. Et donc un bruit. On peut entendre plein de choses. Et surtout espérer ce qu’on souhaite entendre. » Christina Dawood envoie un message à sa famille : désormais elle se dit « prête pour le pire ».

 

Jeudi 22 juin

Selon les estimations de la garde côtière américaine, l’oxygène sera épuisé à 6 heures du matin. Mais à 8 heures, les deux ROV sont déployés, à 11 heures une équipe médicale spécialisée arrive  à bord d’un navire canadien. Et puis tout s’arrête : il est 11 h 48, les gardes-côtes annoncent que leur véhicule télécommandé a découvert un champ de débris près de l’épave du « Titanic ». Avec cinq pièces majeures du « Titan ». Alors seulement, Alina, 17 ans, comprend qu’elle ne reverra jamais son frère Suleman.

On aura protégé l’espoir au-delà du raisonnable. Il se retire comme l’océan avant le tsunami. Aussitôt, c’est un déferlement de rage. Aussitôt Jay Bloom, le « rescapé », publie les messages que Rush lui a adressés pour le convaincre d’embarquer : « C’est bien plus sûr que de voler en hélicoptère ou même que de faire de la plongée sous-marine », affirmait-il, assurant que personne n’avait été blessé à bord d’un sous-marin non militaire en trente-cinq ans. Ce en quoi il n’avait pas tort. Nicolas Vincent ajoute : « Des véhicules qui peuvent aller à ces profondeurs, il n’y en a pas dix dans le monde. Et les gens qui les font fonctionner sont ultra-rigoureux ! » Jay Bloom remercie le ciel de les avoir épargnés, lui et son fils.

La barge de lancement du «Titan » est convoyée vers le quartier général de la garde côtière canadienne pour les besoins de l’enquête, dans le port de Saint-Jean de Terre-Neuve, le 24 juin.
La barge de lancement du «Titan » est convoyée vers le quartier général de la garde côtière canadienne pour les besoins de l’enquête, dans le port de Saint-Jean de Terre-Neuve, le 24 juin. Adrian Wyld/AP/SIPA / © Adrian Wyld/AP/SIPA

James Cameron : « Il n’y a aucune excuse pour ce qui s’est passé. C’est révoltant et tragique. J’avais de grandes préoccupations au sujet de la coque en filament ­composite enroulé. Une matière qui n’a pas sa place dans la plongée en profondeur. Je sais une chose ou deux sur l’ingénierie des sous-marins, moi qui ai conçu et construit le mien pour aller trois fois plus profond que le “­Titanic”. Ce sont des problèmes compris à notre époque. » Michel L’Hour, 68 ans, archéologue sous-marin, membre de l’Académie de marine, sentait son ami Paul-Henri « dubitatif » sur cette nouvelle technologie. Sans doute la tentation de retourner voir l’épave était-elle la plus forte.

Paul-Henri Nargeolet a rejoint la légende dans laquelle il était entré vivant

Azmeh Dawood, la sœur de Shahzada, se souvient que lorsqu’ils étaient enfants, ils regardaient souvent le « Titanic » de Jean Negulesco (1953). À la fin, un père et son fils s’enlacent face à la mort. Les passagers du « Titan » n’ont pas eu le temps pour de telles effusions.

Mourir à moins 4 000 mètres, explique un médecin, c’est : « Être enfermé dans une canette de soda. Quand un camion lui roule dessus… » Instantané. Même pas le temps pour une prise de cinéma.

Paul-Henri Nargeolet a rejoint la légende dans laquelle il était entré vivant, lui qui avait accompagné ses premiers plongeurs à 9 ans, en suivant leur chapelet de bulles comme le Petit Poucet les cailloux. En 2009, il avait servi d’expert auprès du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) sur l’accident du vol Rio-Paris. Le dernier jugement a été rendu en avril dernier. Une idée du temps que pourrait prendre l’enquête. Les accusations s’accumulent contre Stockton Rush, qui n’est plus là pour y répondre alors que l’expert Salvatore Mercogliano explique : « Le “Titan” était exploité en eaux internationales, où il n’y a personne pour appliquer la loi. » 

Chez les marins français, on a les consolations qu’offre la longue fréquentation de la tragédie : « Paul-Henri n’a-t-il pas trouvé son plus beau cimetière ? »

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