BLAISE PASCAL

 

Savant tous azymuts, à l’origine de la calculette comme des premiers transports collectifs, Blaise Pascal n’a cure de ses succès : pour lui la grandeur n’est pas là, mais en Dieu.

Savant tous azymuts, à l’origine de la calculette comme des premiers transports collectifs, Blaise Pascal n’a cure de ses succès : pour lui la grandeur n’est pas là, mais en Dieu. 

“L’Œuvre” : Blaise Pascal enfin publié en entier, quatre cents ans après sa naissance

Youness Bousenna

Blaise Pascal haïssait les « mots d’enflure ». Mais pour évoquer cet « effrayant génie » – selon le célèbre mot de Chateaubriand –, né à Clermont le 19 juin 1623, soit il y a exactement quatre siècles, seuls les superlatifs semblent à la hauteur. 
Car s’approcher de Pascal, c’est se confronter à un double vertige. 
. Celui du prodige, d’abord, d’un esprit qui a révolutionné les mathématiques et la physique, bouleversé la philosophie et la théologie, et légué à la langue française l’une de ses plus grandes œuvres – les Pensées
. Celui du mystère, ensuite. Comment expliquer qu’une telle fécondité ait pu venir d’un être ayant vécu seulement trente-neuf ans, dans un corps d’une faiblesse extrême qui lui a valu des maux continus (troubles digestifs, vertiges, céphalées, effrois, paralysies…), aux origines jamais vraiment élucidées ? Jugez plutôt : 
. à 17 ans, il publie un Essai pour les coniques, où il formule ce que la géométrie retiendra comme le « théorème de Pascal » ; 
. à 19 ans, il planche sur sa « pascaline », inventant la première calculatrice mécanique ; 
. durant sa vingtaine, il multiplie les expériences sur la masse de l’air et l’équilibre des liqueurs, qui le conduiront à réfuter l’adage antique voulant que la nature ait horreur du vide et inviteront la postérité à utiliser son nom pour baptiser l’unité de mesure de la pression (le pascal) ; 
. à 31 ans, il jette les bases du calcul des probabilités dans sa correspondance avec le mathématicien Pierre de Fermat (1601-1665). Lire la suite
. à 39 ans, quelques mois avant son décès, le 19 août 1662, il cofonde la toute première société de transports publics urbains en lançant le « carrosse à cinq sols ». Ces prouesses suffisaient à faire de Pascal l’un des plus grands esprits de l’histoire.

Mais, pour lui, ces succès comptent peu. La grandeur n’est pas là, mais en Dieu. Autrement dit : elle n’est pas dans la tête, mais dans le cœur. Le sien brûlera lors d’une nuit de feu, du 23 au 24 novembre 1654, qui changera sa vie. De cette expérience mystique, il écrira quelques lignes qui resteront cousues dans la doublure de sa veste. « Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre » : l’incandescence transcrite dans ce Mémorial illuminera tous ses écrits, et lui offrira la force de terrasser les adversités. Car Pascal est chrétien, mais surtout janséniste, c’est-à-dire adepte d’une doctrine qui se fonde sur une relecture de saint Augustin pour affirmer la prédestination de la grâce.

Opposés aux jésuites proches du pouvoir, les jansénistes, connus pour leur austérité, ont pour bastion l’abbaye de Port-Royal, où la sœur de Pascal, Jacqueline, est entrée dans les ordres en 1652. Pascal y séjourne, et met sa plume au service d’une charge devenue légendaire contre les jésuites et leur théologie : Les Provinciales. Dans cet ensemble de dix-huit lettres fictives, rédigées entre 1656 et 1657 sous pseudonyme, Pascal formule, dans un français accessible et non dans le latin des savants, ce qui deviendra un modèle d’ironie et de persuasion. Les Provinciales connaissent un succès inimaginable aujourd’hui, qui retentit jusqu’au siècle des Lumières où Voltaire en parle comme du « meilleur livre qui ait jamais paru en France ».

« Les Pensées », de Pascal, édition de 1670.

« Les Pensées », de Pascal, édition de 1670. Migny/KHARBINE-TAPABOR

Le meilleur livre, peut-être. Mais pas le plus grand, que Pascal compose durant les dernières années de sa vie : ce seront ses Pensées, ensemble de fragments destinés à former une apologie de la religion chrétienne, qui paraîtront pour la première fois huit ans après sa mort. Le XVIIsiècle fut plein de ces apologies oubliées. Mais celle de Pascal, elle, est devenue universelle par la puissance de sa méditation sur la condition humaine. Dans ce temps où les progrès de l’optique ouvrent de nouveaux mondes, du microscopique au cosmique, c’est en homme de raison qu’il s’adresse à l’incroyant pour le convertir. Esseulé entre ces deux infinis, l’humain n’est qu’un « roseau pensant » qui remplit ses jours de divertissements et de vanités pour oublier son sort de mortel : « Ainsi s’écoule toute la vie ; on cherche le repos en combattant quelques obstacles et si on les a surmontés le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte. » Pour y échapper, Pascal montre à l’incroyant qu’il n’a d’autre choix que de parier que Dieu existe, car il y gagnera l’infini.

L’infini de son œuvre fascinante, lui, demeure inépuisé après quatre siècles. Son ampleur tient dans les deux mille pages de l’imposant volume d’œuvres complètes qui vient de paraître chez Bouquins, préparé par la directrice du Centre international Blaise Pascal, Laurence Plazenet, et Pierre Lyraud, qui signe par ailleurs Pascal (éd. du Cerf) et Blaise Pascal ou l’épreuve de la vérité (éd. PUBP). Les deux universitaires soulignent à quel point rassembler « tout Pascal » est complexe, tant l’œuvre est composé de nombreux écrits inédits ou inachevés. Cette édition scientifique, outre la solidité de ses multiples notices et mises en contexte, offre une vision panoramique de l’immensité pascalienne. Il y a ses œuvres, évidemment. Mais aussi tout le reste, de l’acte de baptême à l’autopsie, des correspondances aux témoignages de ceux qui ont côtoyé cet esprit extraordinaire, qui écrivait : « L’homme passe l’homme. » Sans dire depuis quel sommet il le regardait.

UN 400E ANNIVERSAIRE À LIVRES OUVERTS
Les Pensées offrent une expérience de lecture unique. Sellier, Brunschvicg, Lafuma, Le Guern… On se perd dans ses éditions, ses liasses dépareillées, ses tables de concordance. Ce désordre inspire l’écrivaine Marianne Alphant, qui croit aux « vertus talismaniques » de ce manuscrit et en a tiré Pascal. Tombeau pour
un ordre
que P.O.L republie à l’occasion du 400e anniversaire de sa naissance. Le sujet occupe aussi Pascal ou le Défaut de la méthode (éd. Honoré Champion), de Laurent Thirouin. L’essayiste Hubert Aupetit, lui, se lance dans l’élucidation du génie d’écriture de Pascal (Pascal ou la Pensée figurative, éd. Fayard), tandis que Pierre Manent s’appuie sur lui pour penser l’actualité politique de la foi (Pascal et la proposition chrétienne, éd. Grasset). La commémoration est saluée, aux PUF, par des études philosophiques : dans Philosophie de Pascal. Le principe d’inquiétude, Laurence Devillairs fait de sa pensée de l’action mue par l’inquiétude un fondement oublié de la modernité, tandis que Vincent Carraud, qui republie Pascal et la philosophie, soutient dans son recueil d’articles Pascal : de la certitude que celui-ci « applique la rigueur cartésienne à la puissance paulinienne ». Chez Honoré Champion aussi, la réflexion philosophique est à l’honneur, avec la thèse Nietzsche, lecteur de Pascal, de Lucie Lebreton, et l’ouvrage collectif Infini et disproportion chez Pascal. Avant la pensée, il y a l’homme : Bernard Grasset remonte le fil de sa vie dans Sur les pas de Blaise Pascal. Voyageur de l’infini (éd. Kimé), Flammarion réédite Pascal, l’épaisse biographie que lui avait consacrée André Le Gall, et Christine Orban raconte sa sœur Jacqueline dans Soumise (éd. Albin Michel).
Pascal, l’œuvre, éd. Bouquins, 2 048 p., 38 €.
Plus d'infos
L'OEuvre de Pascal  (Essai) : la critique Télérama
  • Editeur

    Bouquins Editions

  • Prix

    38 €

  • Genre





Un célèbre théorème, de prodigieuses “Pensées”, issus des réflexions d’un esprit de génie d’avant les Lumières. La somme de ses écrits, enrichie de témoignages, paraît aux éditions Bouquin.


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