L’histoire des 24 Heures du Mans en chansons

En 1933, Émile Baudrier et Lucien Cazalis sortent la première Marche des 24 Heures du Mans : A.C.O. Un disque rarissime que nous nous sommes procuré et que vous pourrez écouter au cours de cet article. Jusqu’à l’accident de 1955, la course a assez régulièrement inspiré les auteurs et compositeurs. Le drame a donné un coup d’arrêt à la tradition chansonnière, même si d’autres disques sont quand même sortis depuis.



Pendant des années, les 24 Heures ont eu leurs chansons. Depuis l’accident de 1955, elles sont beaucoup plus rares.
OUEST-FRANCE

Le 15 juin 1933, L’Ouest-Eclair (ancêtre d’Ouest-France) annonce la bonne nouvelle aux Sarthois. Désormais, les 24 Heures du Mans ont leur hymne. Derrière cette toute première  marche officielle des 24 Heures », sobrement intitulée : A.C.O (Automobile Club de l’Ouest, organisateur de la course, NDLR), il y a deux hommes : le parolier Lucien Cazalis –  l’inamovible juge à l’arrivée du Tour de France  – et le compositeur Émile Baudrier, professeur au conservatoire du Mans.  Déjà, en ville, les jazz, les orchestres, les cinémas la font entendre note encore le journal. Samedi et dimanche, elle accompagnera le vrombissement des moteurs et 50 000 personnes la fredonneront. 

Rare disque original de la première « marche des 24 Heures » de 1933. | COLL. PARTICULIÈREoir en ple



Bien vu ! Sur place, avant le départ de la course, le journaliste remarque :  Déjà, dès 15 h, un haut-parleur s’époumone, serinant la fameuse chanson des 24 Heures : A.C.O. Partout chacun essaie sa voix. Baudrier a trouvé la musique qu’il fallait et on ne peut pas dire que les paroles de Cazalis ne soient pas populaires. 

Nous nous sommes procuré un rare exemplaire original de ce tout premier 78 tours, enregistré en 1933 par l’orchestre Idéal et le chanteur Pierre Daragon. Un enregistrement exceptionnel que vous pouvez écouter ici.



Quatre ans de marches

Ce disque qui, selon la presse, a remporté un franc succès, ouvre la joyeuse discographie des 24 Heures du Mans. Dès l’année suivante, en 1934, un nouveau 78 tours sort, comme son prédécesseur, chez Ideal. Émile Baudrier a rempilé à la baguette et le célèbre chansonnier et revuiste manceau, Jem (pseudonyme de Julien Massot), a remplacé Lucien Cazalis au texte. Sur le circuit manceau/Une fois l’an notre ACO/Fait disputer sa ronde infernale/Et le monde entier à sur Le Mans les yeux fixés…



Le chansonnier Jem a souvent signé les paroles des « hymnes » des 24 Heures du Mans. Sa première participation remonte à 1934 avec le titre : 24 Heures du Mans. | COLL. PARTICULIÈREVoir



La chanson évoque des  amoureux remplis d’espoir  qui  dans les sapins vont, cherchant fortune  , raconte la fête au « village » et les beaux rêves  au clair de lune  dans le  bruit des moteurs  La partition originale assure que le disque est  vendu exclusivement aux Dames de France   (aujourd’hui le bâtiment des Galeries Lafayette, rue des Minimes, au Mans) et  pendant le Circuit, aux stands installés aux « Tribunes » et aux « Populaires »  .



Partitions originales de la marche des 24 Heures de 1934 et de la chanson « Autour du circuit » de 1935. | COLL. PARTICULIÈREVoir en plein écran



En 1935, le même tandem récidive chez Cristal, avec une java chantée, Autour du circuit ou Round Mans’Circuit avec un refrain en anglais. En 1936, le parolier Paul Brébant et le compositeur Fernand Warms sortent La ronde des 24 Heures du Mans. Pas sûr que la galette ait remporté le succès escompté, l’édition de 1936 de la course ayant été annulée.

Une samba pour le retour des 24 Heures

En 1949, les 24 Heures du Mans font leur grand retour après dix ans d’interruption. Un hymne très coloré, sorti chez Ambassador, accompagne cette renaissance d’après-guerre. C’est la Samba des 24 Heures  ! Jem est de retour au texte mais la musique est de Maurice Soulodore et d’une compositrice (la première et la seule de cette histoire), Dynah Vakerman.



Les 24 Heures du Mans, ici probablement en 1949, année de la reprise après neuf ans d’interruption. Cette année-là, une « Samba des 24 Heures » accompagne le renouveau. | COLL. PARTICULIÈREVoir en plein én



C’est aussi une femme qui interprète le titre. Elle s’appelle Gaby Guibert et c’est loin d’être une inconnue. En mars 1941, elle avait décroché, au dancing Le Chalet du Mans, le « Prix de la Chanson ». Elle s’est ensuite régulièrement produite dans la région et à Paris, au Petit Casino notamment. En 1947, elle fait même partie de la tournée de la grande vedette du moment : Yves Montand.  Gaby Guibert est une très belle artiste, de classe internationale  écrit un journaliste de L’Ouest-Eclair cette année-là.



Gaby Guibert a, plusieurs fois, chanté les 24 Heures du Mans. Cette image a été restaurée à partir d’une photographie parue dans Ouest-France en août 1955. | OUEST-FRANCE



Le  disque d’essai  est diffusé au magasin Kerner, avenue de la Préfecture (la boutique a disparu aujourd’hui mais elle est encore présente dans les mémoires des Manceaux de longue date), au soir du 9 juin 1949, en présence d’un représentant de l’ACO, de Jem et de la presse.

La samba emballe et est jouée pour la première fois en public, le 19 juin 1949,  sous la halle  de Saint-Calais, à l’occasion du grand bal annuel des anciens prisonniers de guerre. Elle a été interprétée, à deux reprises, par l’orchestre Roger Bisson qui joue également le morceau sur le disque, enregistré au Mans. La première, pour le plaisir, la deuxième  en l’honneur de l’ex-Calaisien Hardy qui pilotera aux 24 Heures sur une 5 CV (sic.) Renault  écrit Ouest-France, le 22 juin 1949. Il s’agit de Camille Hardy qui a participé pour la première fois aux 24 Heures du Mans cette année-là. Il était engagé, avec Maurice Roger, sur la 4 CV Renault n° 57. L’équipage sera contraint à l’abandon après vingt et un tours de piste.

Aux 24 Heures et 24 Heures

En 1950 et 1951, deux nouvelles chansons paraissent. Elles s’appellent Aux 24 Heures et 24 Heures. Toutes les deux ont été écrites par Jem. La première, composée par Géo Kid, est présentée à l’ACO, dans ses locaux de la place de la République, le 20 juin 1950. La deuxième, mise en musique par Victor Gey et interprétée par  la fantaisiste atomique mancelle Gaby Guibert  .

Ouest-France assure une jolie promotion du titre 24 Heures, en le diffusant depuis une voiture publicitaire à ses couleurs dans les villes et villages de la Sarthe.

Toutes ces chansons sont abondamment diffusées sur le circuit en attendant le départ comme l’écrit Ouest-France, le 24 juin 1951 :  Les opérations liminaires s’accomplissent dans la fièvre, tandis que monte un long brouhaha servant de fond aux diffuseurs qui, tour à tour, jettent des consignes, ou… la chanson des « 24 Heures » 1951 ».

En 1954, pas de nouveau disque (tout comme en 1952 et en 1953) mais un  concours de la chanson des 24 Heures  est organisé. Ouest-France l’annonce en quelques lignes sans en donner les règles. Remporté par Georges Hiret, ancien président de chambre de commerce du Mans, choisi parmi une dizaine de concurrents, il connaît  un certain succès »,selon le journal.

Hurrah ! Les 24 Heures ! et le drame de 1955

Puis vient 1955… L’édition noire. Celle de l’accident qui coûta la vie à plus de quatre-vingts personnes. Cette année-là, Jem a écrit Hurrah ! Les 24 Heures ! sur une musique entraînante de Raymond Marquet. La compétition s’annonce fantastique et la chanson, facile à retenir, est sur toutes les lèvres. Ses partitions sont en vente au magasin L’Ambiance, avenue du Général-Leclerc, ainsi que sur le circuit. Et, cerise sur le gâteau, l’achat d’un exemplaire offre une chance de gagner l’un des lots d’un concours dont le premier prix est un poste de TSF. Le jeu est original puisqu’il s’agit d’une chasse à la coquille !  En achetant donc la chanson Hurrah ! Les 24 Heures ! vous emporterez un souvenir musical de la grande épreuve mondiale avec la certitude de gagner quelques beaux lots si vous savez découvrir les coquilles existantes dans les texte, musique et annonce de la chanson  détaille Ouest-France.

Mais, un peu avant 18 h 30, le samedi 11 juin, la Mercedes-Benz de Pierre Levegh se disloque dans les tribunes à l’entrée de la ligne droite des stands, faisant plus de quatre-vingts morts. La course continue pour éviter un mouvement de foule qui aurait rendu difficile le travail des secours, mais la vente et la diffusion de la chanson sont immédiatement suspendues.



Au soir du 11 juin 1955, la voiture de Pierre Levegh se disloque dans les tribunes. Plus de quatre-vingts personnes perdront la vie dans ce drame. | ARCHIVES OUEST-FRANCEVoir en plecr


Bouleversés par le drame, les deux auteurs obtiennent du préfet l’autorisation d’écouler les nombreux invendus, à 100 francs pièce, dans les cinémas de la ville, entre le 15 et le 22 juin,  au bénéfice exclusif des victimes sarthoises et dans le but de soulager certains cas particulièrement douloureux  , précise Ouest-France. À partir de là, Jem n’écrira plus jamais de paroles pour une chanson sur les 24 Heures.

Moteurs et interviews en vinyles

Celles-ci vont d’ailleurs se faire beaucoup plus rares. En juin 1958 sort l’enregistrement Deux tours de cadrans, deux faces de disque mais il s’agit d’un reportage de Georges Fraichard et d’interviews de Claude Joubert, réalisés lors du cinquantenaire de l’Automobile Club de l’Ouest.  Cette image sonore de la plus grande course du monde, comme il est dit dans le préambule, est un 33 tours haute fidélité de 30 cm, double face, passé par Vega. 

Cet enregistrement est accessible en ligne via la bibliothèque sonore de Gallica. L’édition de 1957 a également été enregistrée par une équipe britannique. Elle paraîtra au Royaume-Uni, avec les commentaires de Nevil Lloyd, dans la collection Sound Stories.

Un autre disque d’enregistrements de moteurs et d’interviews réalisés lors des 24 Heures du Mans 1965 paraît en 1966, aux Disques Président puis un autre, The Exciting sounds of Le Mans, enregistré lors de l’édition de 1966, sorti chez London International, en 1967.

En 1981, la société japonaise Teichiku Records sort Les 24 Heures du Mans 1981 suivant la même recette : bruits de moteurs et interviews.

La folle journée d’Armand Moulain

Mais ce n’est que le 5 juin 1964, neuf ans après le drame, qu’une une nouvelle Marche des 24 Heures voit le jour. Le titre phare a été composé par Fred Adison et le reste du 45 tours est occupé par les  leçons du Code de la route  de l’imitateur Jean Valton avec les voix de Darry Cowl, Pierre Fresnay, Michel Simon, Fernand Raynaud, Jean Richard, etc.

En juin 1966, l’accordéoniste semi-professionnel manceau, Armand Moulain,  réussissait l’exploit sans précédent de jouer de l’accordéon en public, debout et sans aucune interruption, pendant toute la durée de la course des 24 Heures du Mans sous le contrôle permanent de M. Lesage, huissier officiel de l’ACO  rappelle Ouest-France en septembre 1968.



En 1966, Ford remporte son duel avec Ferrari et Armand Moulain réalise l’exploit de jouer de l’accordéon pendant 24 heures non-stop. | OUEST-FRANCE
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Le champion est de retour dans la Sarthe pour dédicacer son premier disque, La marche des 24 Heures composée et enregistrée dans l’ambiance authentique de la grande course d’endurance française  . Rappelons que cette année-là, en raison des événements de mai 1968, la course s’est déroulée en septembre.

Le Mans 78, Renault fête sa victoire en disco

Une petite dernière pour la route ? Promis, elle vaut le coup ! Ce titre sorti chez LTD Records après les 24 Heures du Mans 1978, célèbre la victoire 100 % française de la fameuse Renault n° 2 A442B jaune et noire. Il s’appelle Renault sport disco (Le Mans 78) et est co-écrit et interprété par le Monégasque Richard Cavassuto dit Richard Lord.





Cinq ans plus tôt, il avait enregistré dans les célèbres studios d’Abbey Road, à Londres, (Richard est un grand admirateur des Beatles) le titre Rallye Monte-Carlo, son grand tube, vendu à 150 000 exemplaires ! Renault sport disco ne connaîtra pas la même fortune mais c’est quand même un joli souvenir.

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