LA FOLLE JOURNÉE DU 24 OCTOBRE 2022

 Récit

Budget, les coulisses d'une étrange journée à l'Assemblée : des motions de censure... pour rien 

Le piège de Marine Le Pen, l'embarras de la Nupes, les illusions de la majorité... Les motions de censure ont toutes été rejetées lundi soir 24 octobre.


La Première ministre Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale à Paris le 24 octobre 2022

La Première ministre Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale à Paris le 24 octobre 2022

Ils sont une vingtaine d'enfants, enfoncés dans les sièges rouges de la tribune "visiteurs" de l'hémicycle. Ils ont dix ou douze ans, tout au plus. Régulièrement, des groupes d'élèves viennent découvrir l'Assemblée nationale, ses coulisses, son fonctionnement, cet amphithéâtre qu'on appelle assemblée. Et ils ont de la chance. Ce lundi 24 octobre n'est pas une séance comme les autres. C'est jour de "motions de censure", et deux sont débattues dès 16 heures.  

L'une venue des bancs de la gauche et déposée par la Nupes, l'autre des bancs de l'extrême droite, déposée par le Rassemblement national. Elles seront soumises au vote des députés, après que la Première ministre, Élisabeth Borne, a engagé la responsabilité du gouvernement en déclenchant l'article 49.3 de la Constitution pour que son projet de loi de finances (PLF) soit adopté sans l'aval du parlement. Un vote à l'issue très certaine tant les motions pour renverser le gouvernement avaient peu de chance d'aboutir, mais qui décompose un peu plus l'Assemblée nationale. 

"Le 49.3, l'arme des faibles"

Les jeunes visiteurs voient tout du haut de leur promontoire : les trous au sommet des crânes déplumés des députés, et d'autres trous, sur les bancs de la majorité d'Emmanuel Macron. Les élus des groupes Renaissance, MoDem et Horizons ne prenant pas part aux votes des motions de censure, certains ont préféré rester dans leurs circonscriptions plutôt que de siéger plusieurs heures. "Je les comprends tellement, ils ont été là pendant dix jours non-stop...", textote un ministre assis à quelques mètres d'Élisabeth Borne dans l'hémicycle. 

Ce fut aux présidents de chaque groupe parlementaire d'ouvrir le bal. À chacun de justifier son vote, de refaire, en dix minutes chrono, le débat qui n'a pu avoir lieu sur le PLF, et de tancer le gouvernement par la même occasion. L'écologiste Cyrielle Châtelain, tout de vert vêtue, s'adresse directement à Borne. " Vous mentez. Vous mentez aux Françaises et aux Français, mais surtout vous mentez à vous-même !", ose-t-elle dans ses premiers mots, fustigeant l'absence de discussion et "d'ambition" dans la lutte contre le réchauffement climatique. "Le 49.3, c'est l'arme des faibles", s'époumone-t-elle, dans un clin d'oeil non assumé au constat qu'avait fait Nicolas Sarkozy lorsqu'il était président : "si je l'utilise, c'est une preuve de faiblesse." 

La surprise de la cheffe

Vingt minutes n'ont pas passé que déjà les paupières se font pesantes chez les enfants en haut à la tribune, et les têtes lourdes s'allongent de fatigue sur les épaules de leurs voisins. Quand Marine Le Pen prend place, les applaudissements nourris de ses députés RN les réveillent et éteignent les brouhahas et les invectives venues des autres bancs. Elle tance, elle aussi, l'usage du 49.3 par "un exécutif barricadé dans ses certitudes", constate "la triste épopée solitaire d'un gouvernement usé avant d'avoir servi". Et à la surprise générale, elle annonce que son groupe "votera également la motion présentée en des termes acceptables de l'autre côté de l'hémicycle (par la Nupes, NDLR)". Il y a une semaine, la même Marine Le Pen expliquait pourtant l'exact inverse. Elle confiait ainsi que ses députés ne sauraient être " d'accord avec les désaccords de la Nupes ". 

Un coup de théâtre, préparé à la hâte et discuté en réunion de groupe quelques heures plus tôt. Revenant de leurs circonscriptions, plusieurs députés RN ont rapporté les pressions de certains de leurs électeurs qui ne comprenaient pas que les oppositions ne s'unissent pas contre le gouvernement. Un autre cadre du parti mariniste juge, lui, que ce changement de pied s'explique surtout parce que la motion de censure présentée par la Nupes est "très light " et dès lors "votable".  

LR piégé

L'opération surprise piège les députés Les Républicains. La droite n'a qu'à baisser le pouce pour provoquer de nouvelles législatives. Oseront-ils ? Prendront-ils leurs responsabilités ? Marine Le Pen, tout sourire, assume ne pas craindre une dissolution pour sa part. Des élections anticipées laisseraient plusieurs députés LR sur le carreau et les députés de la droite savent que leur électorat ne saurait leur pardonner de faire tomber le gouvernement. Ils n'ont d'autres choix que d'être qualifiés "d'opposition de façade" par le RN et la Nupes. 

A la tribune, leur patron Olivier Marleix chante le refrain d'une opposition responsable, hostile au "désordre" et à "l'instabilité politique". "Je préfère encore Macron au combo Le Pen-Mélenchon", juge un député LR. Pas au pouvoir, pas l'opposition la plus résolue : préserver son statut de parti de gouvernement a un prix. La droite va devoir déployer des trésors de communication pour rendre son positionnement lisible. "A nous de faire comprendre que Nupes et RN font l'alliance de la carpe et du lapin", résume un LR, quand un LFI, lui, les moque : "LR, c'est l'art de s'opposer sans s'opposer tout en s'opposant. Personne n'y comprend rien, pas même eux. Ils sont piégés". 

L'embarras de la Nupes

La surprise de la cheffe RN n'arrange pas les affaires de LR, et embarrasse tout autant la Nupes. Au moment où Le Pen dégaine son joker, les députés de gauche se regardent, gênés, étonnés, surpris. Marine Le Pen leur a tendu un piège, aussi : s'ils refusent le compagnonnage, même si les motions échouent, alors ils aident tacitement le gouvernement à se sauver. Quand André Chassaigne, le communiste, rappelle à la tribune que la Nupes ne votera pas la motion du RN, les députés de l'extrême droite s'égosillent : "Complice ! Complices !" 

À son tour, Aurore Bergé (Renaissance) s'en donne à coeur joie pour fustiger "l'alliance de circonstance" entre les RN et la Nupes. "Soit vous êtes ensemble dans une majorité, soit vous admettez l'évidence : il n'y a pas de majorité alternative", dit-elle. Élisabeth Borne abonde, à son tour : "Est-ce un gouvernement où sur les bancs des ministres siégeraient côte à côte Madame Le Pen, Madame Panot, Madame Chatelain, Monsieur Bardella, Monsieur Vallaud et Monsieur Chassaigne que vous proposez ?" Devant les journalistes, à l'extérieur, le président du groupe socialiste Boris Vallaud s'agace : "Élisabeth Borne joue avec le feu. Laissez penser une seule seconde qu'on pourrait être dans le même gouvernement... Ce n'est pas banal, l'extrême droite et ces mots ne font que la banaliser. Je constate qu'il y a une fissure dans le front républicain. Les seuls qui ont déposé des bulletins RN, ce sont les députés de la majorité (lors de l'élection des présidents de l'Assemblée nationale, NDLR). " 

Présence requise des ministres

Il est bientôt 18 heures et les enfants, silencieux et fatigués, quittent l'hémicycle. Lorsque la cheffe du gouvernement est montée à la tribune, les députés de la majorité sont revenus en masse pour faire la claque après les saillies retenues mais parfois goguenardes d'Élisabeth Borne. Une grosse grappe de députés macronistes s'est tout de même installée tout autour de la présidente du groupe Aurore Bergé. Il fallait faire bloc, être solidaire autour du gouvernement. Il avait donc été lourdement "conseillé" aux députés de la majorité de regagner l'hémicycle lors du discours de la Première ministre. 

Silencieux aussi, les ministres sur les bancs, au premier rang. La présence des ministres de plein exercice était "requise" pour soutenir la Première ministre. Certains pianotent quelques SMS, envoient des notes à leurs collaborateurs. On voit le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti se dégourdir les jambes. On aperçoit le ministre délégué chargé des Transports Clément Beaune arriver juste à temps mais, faute de place, s'asseoir en dehors des fauteuils réservés aux membres du gouvernement et prendre place à côté de l'ex-LR Éric Woerth. 

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Lundi soir, une troisième motion de censure, déposée par la Nupes, était débattue. Cette fois-ci pour tenter de faire tomber le gouvernement qui a engagé sa responsabilité dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Dans les couloirs du Palais Bourbon, ni enfants ni journalistes. Les députés, aussi, se font moins nombreux, mais le manège recommence : un député par groupe justifie son vote, refait le débat, fustige le gouvernement ou le défend ; puis la Première ministre Élisabeth Borne de refaire un discours qui ne dit rien de bien différent. Le sort de cette nouvelle motion est le même que celui des deux premières. Un nouvel acte dans le grand théâtre de l'Assemblée nationale, avant le prochain. 

Erwan Bruckert, Paul Chaulet et Olivier Pérou

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