"C'est une crise inédite" : les Côtes-d'Armor bientôt privées d'eau potable ? 

Le département pourrait être en rupture d'eau potable d'ici quelques semaines, alerte la préfecture. Une situation "inédite" qui interpelle sur notre politique de l'eau.


Depuis la mi-août les Côtes-d'Armor vivent au régime sec. Le département est placé en "crise sécheresse", et connaît d'importantes restrictions sur l'utilisation de l'eau. Or, malgré la fin de l'été, la situation ne s'améliore pas : le 26 septembre 2022, la Préfecture des Côtes-d'Armor s'est alarmée, d'"un risque sérieux de rupture de l'alimentation en eau potable (...) pour les dernières semaines d'octobre".  

Des pluies insuffisantes, la canicule estivale et l'utilisation de la ressource font peser une nouvelle menace sur le département. L'association Eaux et rivières de Bretagne alerte depuis plusieurs années sur ces problématiques de gestion de l'eau dans la région. Dominique Le Goux, animatrice de l'association pour les Côtes-d'Armor et chargée de mission santé-environnement, explique pourquoi cette crise représente une forme de "rupture" pour les populations et les activités économiques du département, et appelle à un changement global de notre politique de l'eau.  

L'Express : Une sécheresse qui mène à un manque d'eau potable probable en Bretagne, cela peut étonner, comment expliquer une telle situation ?  

Dominique Le Goux : Il est vrai que dans l'imaginaire collectif mais dans la réalité aussi, on habite une région ou des pluies tombent plutôt régulièrement. La Bretagne et les Côtes-d'Armor, puisent principalement l'eau potable dans des ressources superficielles, soit directement dans les rivières, soit par l'intermédiaire de barrages qui sont de toute façon alimentés par une rivière. Or, depuis plusieurs mois nous sommes en déficit de pluviométrie. Quand les pluies ne tombent plus, les cours d'eau diminuent et si les niveaux de consommation d'eau que l'on connaît perdurent, on arrive à des situations comme celle à laquelle on est confronté aujourd'hui : les niveaux des barrages sont très bas, mais celui des cours d'eau aussi, ce qui fait que les barrages ne peuvent se remplir et que l'on craint de ne plus avoir d'eau potable.  

Une telle tension sur la ressource, voire une coupure de l'eau potable c'est inédit ?  

D'après les projections de la préfecture, le niveau des barrages permet pour le moment d'avoir de l'eau pour trois semaines, ensuite il est beaucoup moins certain que cette ressource suffise pour l'alimentation en eau potable. Donc, oui, c'est inédit. Ça a même été l'une des conclusions des services de la préfecture qui disait n'avoir jamais connu cela. L'alerte est malheureusement justifiée : cet été on a observé une concomitance des chaleurs et de la sécheresse, on a consommé beaucoup d'eau avec les canicules à répétition alors qu'on était déjà en déficit hydrologique.  

Désormais, non seulement, nos rivières souterraines sont très basses mais les forages en eaux souterraines décrochent eux aussi complètement, c'est-à-dire qu'ils ne sont plus du tout en capacité de fournir de l'eau. La situation est telle que pour certains prélèvements on est contraint de faire des dérogations au débit réservé des rivières, soit le volume d'eau que l'on doit conserver pour permettre à la vie aquatique de s'épanouir. Donc on sacrifie aussi les milieux naturels pour pouvoir poursuivre l'alimentation en eau potable de la population.  

Est-on en mesure de connaître l'efficacité des mesures actuellement mises en place ? 

Comme dans d'autres départements, on a des arrêtés-cadres sécheresse, qui sont là pour tenter de réguler ces problématiques. Il y a plusieurs niveaux d'alerte, qui s'appuient à la fois sur les quantités d'eau présentes dans les rivières et sur le niveau des réserves des barrages, notamment pour l'alimentation en eau potable. Ces niveaux vont de la vigilance, à l'alerte, jusqu'à la crise, avec chaque fois des niveaux de restrictions des usages. Depuis le début du mois d'août, le département des Côtes-d'Armor est au niveau le plus élevé, malgré tout, les services de l'État ne sont pas en capacité de mesurer les effets de ces restrictions. Il y a une forme de pilotage à l'aveugle et cela fait partie des choses que nous dénonçons au sein de notre association. C'est pourquoi on demande une évaluation environnementale, c'est-à-dire que les choix de restriction qui étaient faits puissent être mis en perspective, pour voir s'ils ont un effet dans les usages de l'eau, mais aussi des impacts que cela pourrait avoir sur le milieu. Pour le moment cela n'existe pas.  

Est-ce qu'on sait déjà si ces restrictions sont appliquées par les entreprises ou les particuliers ?  

Il y a eu un certain nombre de contrôles qui ont été faits par les services de l'État, avec des rappels à la loi, mais aussi des procès-verbaux pour certaines personnes qui ne respectaient pas la réglementation. C'est difficile de savoir si toutes les restrictions sont respectées. Ce que l'on peut dire c'est qu'il y a eu des contrôles qui ont montré que ça n'était pas toujours le cas. 

Y a-t-il une difficulté pour ce public qui n'est pas forcément habitué à ces problématiques de sécheresse à prendre conscience de la situation et appliquer ces consignes de modération des usages ? Qui peuvent paraître incongrues avec l'entrée dans l'automne... 

La difficulté, c'est effectivement que l'on voit l'automne arriver et donc il n'est pas évident de parler de sécheresse. Il s'est remis à pleuvoir, mais dans des quantités très faibles et qui ne permettent absolument pas de remplir les réserves d'eau souterraines et de surface. Au mieux ces précipitations stabilisent les cours d'eau, mais les prévisions nous montrent qu'elles ne pourront pas pour le moment remplir ces réservoirs. Cela représente une forme de rupture pour la population mais aussi pour les usagers agricoles ou industriels, qui n'étaient pas forcément coutumiers de ce genre de crise et de ces restrictions, car on disposait d'une ressource qui jusque-là pouvait sembler illimitée. Cela n'a pourtant jamais été le cas, mais aujourd'hui on mesure beaucoup plus concrètement cette limite dans l'utilisation de l'eau.  

Comment se traduit concrètement cette crise de l'eau dans le département ? 

Pour le moment, il y a toujours de l'eau au robinet. Il n'y a ni coupure, ni baisse de pression. Donc celui qui ne voudrait pas voir la crise ne la verrait pas, car il n'est pas impacté dans son quotidien. Mais certaines activités sont directement touchées. Cela peut peut-être prêter à sourire, mais il est par exemple interdit de laver sa voiture et les stations de lavage sont fermées, sauf celles qui fonctionnent en circuit complètement fermé.  

L'industrie agroalimentaire doit elle aussi mettre en place des mesures volontaires de réduction de sa consommation en eau. D'ailleurs, chez les éleveurs - un secteur qui pèse énormément en Bretagne - on observe une bascule : on a de nombreux élevages qui s'approvisionnaient via un forage privé pour abreuver leur bétail, mais désormais ces forages se retrouvent pour certains à sec. Ces éleveurs sont donc contraints de se reporter vers le réseau public, alors que ce dernier a déjà des difficultés à alimenter tous les secteurs du département. Ces reports de consommation supplémentaires peuvent engendrer des volumes estimés aujourd'hui à plus de 10 % de la consommation journalière en eau potable du département. Cela pose de vraies questions, sur comment gérer la crise actuellement mais aussi ce qui nous attend à l'avenir puisque malheureusement, si on en croit les prévisions qui sont faites dans les différents rapports du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), ce genre de crise risque de devenir ordinaire, voire peut-être même la norme dans les années qui viennent.  

Pensez-vous que le territoire est adapté pour y faire ?  

Non, je pense qu'il faut que l'on réfléchisse de manière beaucoup plus sérieuse aux solutions qui devraient nous permettre de mieux stocker l'eau quand elle tombe. Et le meilleur endroit pour la stocker, c'est dans les sols. Ce n'est pas par l'intermédiaire de bassines et d'ouvrages artificiels, mais bien par une augmentation de la résilience de nos territoires. C'est-à-dire qu'il faut travailler plus finement sur l'aménagement de notre territoire pour ralentir les chemins de l'eau. Aujourd'hui on se rend compte qu'on les a accélérés : on a creusé des fossés, on a installé des réseaux pour très vite apporter l'eau dans les rivières et la mer. En réalité, il faudrait qu'on ralentisse énormément l'eau pour qu'elle soit stockée au sein des milieux naturels, je pense notamment aux zones humides, mais aussi tout simplement dans le sol des parcelles agricoles, en travaillant sur l'humus. Il faut aussi réfléchir à comment prélever la ressource à différents endroits. 

En Côtes-d'Armor on a également un problème sur la qualité de l'eau, comme dans d'autres régions d'ailleurs. Historiquement, on en a déjà eu ces problématiques avec les nitrates, mais désormais on retrouve aussi des résidus de pesticides, ce qui nous oblige à abandonner certains captages parce qu'ils sont de mauvaise qualité. Cela renforce encore la pression sur le peu de ressources dont on dispose. On a trois grands barrages qui sont alimentés par trois rivières et on ne peut pas imaginer, même en mettant des réseaux pour les interconnecter, que ce soient uniquement ces trois grands barrages qui alimentent toute la population Côte d'Armoricaine en eau potable. C'est pour cela que l'on plaide pour protéger et diversifier notre ressource pour les victimes...

Au-delà des Côtes-d'Armor, ce sujet est-il assez pris en compte au niveau de la Bretagne ? 

Je ne suis pas sûr que l'on aille assez vite et je pense que cette adaptation sera difficile compte tenu des impacts économiques qu'elle peut engendrer. La Bretagne est connue pour son activité agricole, mais elle est aussi connue pour son tourisme, et cela pourrait peser beaucoup sur la consommation en eau à une période où il n'y en aura plus tant que ça à partager. Faut-il imaginer ne plus recevoir d'activité parce que nos territoires n'en ont plus la capacité ? On va toucher à l'économie du territoire, mais il est plus que temps de le faire. Il faut trouver les bonnes solutions qui nous permettront sur le long terme de ne pas aggraver la situation. 



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