jeudi 2 novembre 2023

château de Villers-Cotterêts

 

Villers-Cotterêts City?

"Jamais un lieu n'avait été consacré à l'histoire de notre langue", s'est félicité le président Macron, lors de l'inauguration de la Cité internationale de la langue française, dans l'Aisne



Le château s’appelait Mon Plaisir. Il est situé dans l’Aisne. François Ier y venait souvent. C’était un rendez-vous de chasse. C’est là qu’il signa, en 1539, l’Ordonnance de Villers-Cotterêts, premier texte politique toujours en vigueur, qui fonde l’unité du royaume sur la langue française. De ce château tombé en ruines, Macron décida de faire le fleuron de son règne, en le restaurant. Ce « rêve fou » qui coûta 210 millions d’euros, cette « utopie devenue réalité par la force de la volonté », s’appelle donc désormais la Cité internationale de la langue française. Le président Macron l’inaugura hier.

Le président attendu sur l’écriture inclusive

Ne boudons pas notre plaisir à l’écoute d’un discours qui rappela que notre langue est le ciment de notre nation et caractérisa son génie. Attendu sur l’écriture inclusive, le président la « tacla » comme dirent aussitôt les médias, tout en rappelant la nécessité des fondamentaux, de la dictée et de l’apprentissage de l’orthographe, de la grammaire et de la syntaxe. Nul doute que le nouveau ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, très attentif, en fera son miel toutes fleurs. De cela on ne peut que féliciter l’orateur même si le problème de l’inclusive qui gangrène notre langue ne se contentera pas de la remarque du prince sur le caractère non discriminant du genre grammatical : ce serait oublier la circulaire Blanquer et la déclaration d’Edouard Philippe restées, en leur temps, sans effet. Alors que la solution pourtant en est simple : faire appliquer l’ordonnance !

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Le discours développa ensuite les lieux communs de la francophonie d’une langue ouverte sur la vocation « à se répandre » dans le temps et l’espace, capable de relever les défis linguistiques de la modernité, en particulier ceux posés par l’IA. C’est là que Macron dégaina une autre ordonnance, celle de Montpellier, faite toute exprès pour notre temps, en 1537, par François Ier ! (Le lecteur ira voir). Tout était donc pour le mieux dans le meilleur des mondes français et francophone possible, dans ce lieu d’exception qui accueillerait les professeurs, les écoliers, les artistes, les traducteurs et qui ne manquerait pas d’attirer le monde entier en devenant « un lieu où on penserait les mots » : un lieu d’attractions et de rencontres. Enfilant des perles, Macron tenait les auditeurs sous son charme tout en rappelant aux crispés que le français n’était pas une langue repliée sur elle-même mais une langue qui n’hésite pas à prendre son bien dans les autres langues, même à leur « voler » des mots. Non pas hégémonique mais destinée à vivre avec les autres avec, pour horizon, le métissage cher à Erik Orsenna. Et Emmanuel Macron d’élargir son rêve devenu réalité, grâce aux traductions d’un Balzac en arabe, pour le bonheur de lecteurs inconnus. Nous étions revenus au bon vieux temps de Senghor. Une époque où notre langue était aimée, libre, vivace, féconde, et la francophonie respectée et encouragée. Une époque où l’anglais ne colonisait pas notre espace public et nos institutions, en violation constante de la loi Toubon. Une époque où le président d’une puissance non anglophone ne s’exprimait pas, à l’étranger, régulièrement en anglais.

Une longue liste de forfaitures

Sur le site CERMF, dirigé par Ilyes Zouari, auteur d’un dictionnaire de la francophonie, on peut lire un article prouvant, en douze points, l’hostilité inédite des autorités françaises vis-à-vis de la francophonie, depuis 20071 : l’anglicisation planifiée de la langue, sa soumission à l’atlantisme et aux européistes. Que ce soit les titres uniquement en anglais, One Ocean Sumnit (Brest, février 2022) et le Forum de Paris sur la paix (novembre 2022) où fut interdit l’usage du français, ou encore le site gouvernemental Make our Planet great again (2017) avec interdiction du site en français, la création d’un Parquet et d’une Cour des compte européens en anglais, la correspondance, en anglais, entre le gouvernement français et l’UE, l’usage croissant de l’anglais en Afrique francophone sans traduction française… Citer toutes ces forfaitures serait trop long.

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Face à ces réalités accablantes, le discours du président Macron a été entendu par certains comme un « tombeau littéraire ». Ou bien un Requiem. Une pavane pour une infante défunte. Laissons plutôt le dernier mot à un Académicien devenu— quel bonheur !—  bien frondeur, qui, dans le Figaro Vox du 30 octobre, a qualifié Macron de « Tartuffe de la langue française à Villers-Cotterêts-City »2. Pour mémoire, rappelons que c’est en ce château que Molière fit représenter son Tartuffe pour la première fois.

Macron et la défense de la langue française

En revanche, s’il est un domaine dans lequel il est loin de briller : c’est dans la défense de la langue française. Il faut chercher loin dans l’histoire de France pour trouver un responsable politique qui lui aura autant nui. Une défaillance d’autant plus surprenante que cette mission allait pourtant de soi. N’est ce pas vertigineux d’avoir accédé à la magistrature suprême d’un pays qui a pour fabuleuse originalité d’avoir été construit par ses écrivains et dont la langue fait depuis toujours l’admiration des peuples et des élites intellectuelles du monde entier ?

Comme s’il était subitement pris d’un remords, comme si soudain, à l’instar de saint Paul sur le chemin de Damas, il était tombé de son cheval sous le coup d’une révélation divine, il se lance (à grands frais, c’est peu de le dire) dans la restauration d’une ruine, certes en mauvais état, mais à tout prendre moins en ruine que la malheureuse langue française elle-même. C’est dans ce château de Villers-Cotterêts que François Ier a signé l’édit qui proclamait la naissance de la langue française et sa suprématie sur le latin. On peut relever des pierres on ne relève pas une langue d’une si longue maltraitance et d’une malveillance aussi obstinée. Aussitôt se pose une question brûlante : pourquoi sanctifier un symbole dans le même temps où l’on abandonne la langue française à une inéluctable détérioration qui la condamne à devenir une langue morte remplacée peu à peu par un sabir franco-anglais. Il suffisait de suivre l’exemple des Canadiens qui, eux, résistent courageusement, et se désolent de notre laxisme.

On considère que la véritable langue française se fait hors de France et que, puisque cette langue a accueilli tout au long de son histoire des vocables étrangers (arabes, allemands, anglais, etc.) il faut non pas stopper la gangrène du franglais mais au contraire l’encourager.

Jean-Marie Rouart

Restaurer un vieux château chargé d’Histoire, qui s’en plaindra ? Louable entreprise, certes coûteuse (209 millions d’euros) et d’autant plus coûteuse qu’elle risque de n’être qu’un château d’illusions. Sans parler des frais de fonctionnement. Est-ce vraiment un service à rendre à la langue française que d’inaugurer en grande pompe un lieu de réflexions platoniques qui risque de tenir le pompon dans la vaste farandole des comités Théodule et des usines à gaz bureaucratiques si vaines sur le plan pratique mais si utiles pour recaser les recalés des officines politiques dont on ne sait plus que faire. Usine à colloques, couveuse de symposiums, grande pondeuse d’acronymes, il offrira un véritable paradis pour les linguistes qui se livreront avec ivresse à leurs absconses turlutaines sémantiques. Beaucoup sont à la langue française ce que le pédagogisme est à l’éducation.

À quoi servira ce « laboratoire de la francophonie » situé à une heure de Paris et baptisé « Cité internationale de la langue française » ? Oui, à quoi servira ce joujou présidentiel ? Rien n’est plus flou que sa mission. Une mission qui, telle que la définit Paul Rondin, le nouveau directeur, ancien président du Festival d’Avignon, cofondateur de la French Tech Culture (non, cher lecteur, ce n’est pas une blague) laisse rêveur : « La langue est un nuage qui se défait, qui se refait, et qui crée des formes nouvelles à chaque fois. » Avec une telle déclaration, nous voilà bien armés pour lutter contre la détérioration de notre langue. Ce qu’on sait dans ce brouillard d’intentions, c’est qu’il sera beaucoup question de francophonie : le soutien du président qui a contribué à placer à sa tête de cette organisation une ancienne ministre rwandaise de Paul Kagamé, connue pour avoir promu dans son pays l’anglais au détriment du français, accroît notre perplexité.

Le plurilinguisme

La grande idée du règne en matière de français, c’est le plurilinguisme. Derrière ce vocable pompeux qui dissimule une véritable abdication au nom du relativisme, il y a la volonté de ne plus affirmer la priorité du français. On considère que la véritable langue française se fait hors de France et que, puisque cette langue a accueilli tout au long de son histoire des vocables étrangers (arabes, allemands, anglais, etc.) il faut non pas stopper la gangrène du franglais mais au contraire l’encourager. Enfin pour parachever la visite de ce château par une note comique, il paraît que sous la verrière flotteront suspendus au plafond des mots désuets employés par le président « saperlipopette », « carabistouille », ce qui prouve que les organisateurs ont trouvé leur inspiration chez Kim Jong-il junior, autocrate d’un pays où l’on a porté la flagornerie au niveau d’un art.

Tout cela prêterait à sourire si le président lui-même ne s’était pas rendu coupable des plus graves entorses à la langue française. Ce qui lui a valu en compagnie de Guillaume Pepy (Ouigo) d’obtenir le prix de la Carpette anglaise, donné par une académie parodique à ceux qui se soumettent éperdument au franglais. Après avoir posé avec un sourire réjoui lors du « One Planet Summit » à Paris, tenant une pancarte « Make our planet great again » : il nous a asséné un « Choose France » à Versailles, « une start-up nation » et il a fait école : Olivier Véran, pendant qu’il nous bassinait avec des conseils d’hygiène élémentaire pendant le Covid, n’a pas pu trouver un autre mot que « cluster ».

Aujourd'hui que cette langue est en plein déclin, ce qui m'attriste le plus, c'est de constater que les Français n'ont pas l'air d'en souffrir

Le philosophe Cioran, roumain converti au français

Un rapport de l’Académie française a relevé tous les manquements qui contreviennent à la loi Toubon de la part des responsables des institutions de la République. De la carte d’identité traduite en anglais, de « Sorbonne université » à « Lorraine aéroport » (syntaxe anglaise) aux niaiseries régionales « Sarthe Me Up », « Oh My Lot », c’est un accablant florilège de notre soumission au franglais. Une abdication qui nous mène tout droit, si on ne réagit pas (je crains hélas qu’il ne soit trop tard) à devenir, comme tant d’autres pays sous-développés, une province « gallo-ricaine » pour employer la si juste expression de Régis Debray. Désastre d’une langue qui aura pour corollaire la fin de la civilisation française puisque leurs destins sont liés.

Le général de Gaulle doit bouillir dans sa tombe lui qui, déjà, se désespérait en 1962 de cette corruption galopante, écrivant à son ministre des Armées, Pierre Messmer, de veiller dans les services de l’État « à éviter un emploi excessif de la terminologie anglo-saxonne chaque fois qu’un vocable français peut être employé, (et il soulignait) c’est-à-dire dans tous les cas ». Quelques années plus tard, le philosophe Cioran, roumain converti au français, s’exclamait, désespéré : « Aujourd’hui que cette langue est en plein déclin, ce qui m’attriste le plus, c’est de constater que les Français n’ont pas l’air d’en souffrir. Et c’est moi, rebut des Balkans, qui me désole de la voir sombrer. Eh bien, je coulerai, inconsolable, avec elle. »

Belle initiative, digne de Tartuffe, de mettre la langue française dans un musée pour ne pas avoir à se préoccuper de sa lente destruction à laquelle on a soi-même participé.

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