CULTURE ET IDÉES PARTI PRIS

 

La Macronie au monde de la culture : sois subventionné et tais-toi

S’en prendre à la liberté de parole de la culture, ainsi que s’y emploie la ministre Rima Abdul-Malak pour satisfaire son employeur élyséen, c’est menacer un contre-pouvoir essentiel. C’est saper la démocratie au nom de l’autorité. Tel un Druon sous Pompidou.

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La ministre de la culture, Rima Abdul-Malak, prétend complaire à son patron : l’Élysée. Et elle voudrait qu’une telle attitude servile – qu’on appelle loyauté en politique – ruisselât davantage. Alors elle donne des gages en donnant des leçons, telle une cheffe régisseuse houspillant les troupes.

Nous avions eu droit à l’épisode de la 34e nuit des Molières, le 24 avril dernier. La ministre fut interpellée par deux artistes de la CGT, Toufan Manoutcheri, comédienne, et Lucie Astier, circassienne, à propos de la réforme des retraites et des protestations populaires qui s’ensuivaient.

« Les acteurs ne sont pas des chiens ! », lancèrent-elles en citant Gérard Philipe, avant de s’écrier : « Et vive les casserolades ! » Le tout non sans avoir reproché à la locataire de la Rue de Valois sa passivité : « Quand est-ce que vous allez vous décider à sortir de votre silence ? »

Qu’à cela ne tînt, quelque microphone miraculeusement mis à sa disposition permit à Rima Abdul-Malak de riposter, dans la foulée, de vive voix : « D’habitude, le rôle du ministre, c’est de rester assis à ne rien dire. Mais, là, c’est pas possible. »

© Destination Ciné

La presse d’industrie, conformiste et normative, applaudit à grands cris. La palme d’or revenant à Télérama : « Rima Abdul-Malak n’a pas flanché [...]. Elle a osé sortir de postures convenues [...]. Beau coup d’éclat [...]. Intervention courageuse, offensive [...]. Elle s’est levée dans la salle médusée pour répondre avec cran et panache. »

Observons que le mot « panache » fut aussitôt employé par l’Élysée, comme le notait Le Parisien dès le lendemain de la cérémonie des Molières, le 25 avril : « On ne manque pas de [le] souligner ce mardi dans l’entourage du président de la République. “Ça ne manquait pas de panache, estime-t-on. Elle a pris un vrai risque et aurait pu se faire huer, mais elle a été applaudie. C’est loin de l’image d’un secteur culturel qui en voudrait terriblement au gouvernement sur la politique menée ces dernières années.” »

Forte de son succès rencontré grâce au micro complice et à une presse complaisante, Rima Abdul-Malak a tenté de rejouer la scène, sur Twitter, samedi 27 mai au soir, à la suite du discours critique de la récipiendaire de la Palme d’or au titre qui fait tilt – Anatomie d’une chute : la cinéaste Justine Triet, vent debout contre la réforme des retraites et la répression gouvernementale à l’endroit du mouvement de protestation populaire « nié de façon choquante ».

La morale du gazouillis ministériel ? On ne mord pas dans la main qui vous nourrit, ne l’oublions pas. En attendant le renfort de la presse aux ordres, de petits faisans de la galaxie macronienne ont imprimé la cadence libérale-autoritariste sur les réseaux sociaux : ici Roland Lescure (qui a parlé d’« ingratitude »), là Prisca Thévenot (qui a fustigé une « rébellion de salon »)...

La palme revenant cette fois au député de la minorité présidentielle Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques : « Ce petit microcosme, biberonné aux aides publiques comme jamais, qui fustige une politique “néo-libérale” au Festival de Cannes. Il est peut-être temps d’arrêter de distribuer autant d’aides à ceux qui n’ont aucune conscience de ce qu’ils coûtent aux contribuables. »

La régression politique et démocratique s’avère patente, ainsi que le relève l’écrivain Nicolas Mathieu sur Instagram. L’argent public n’est pas celui du gouvernement, l’exécutif n’est pas un comité de direction et « la main qui nourrit les artistes n’est pas la vôtre. C’est celle de la communauté nationale ».

« Une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre »

Pour mesurer ce retour en arrière vers les ténèbres pompidoliennes que nous imposent le fringant président Macron et ses équipes sémillantes, il suffit de se souvenir d’un épisode intervenu voilà très exactement un demi-siècle, en mai 1973.

À l’époque, le ministre des affaires culturelles (il fut le dernier à porter ce titre malrucien), Maurice Druon, donna à l’Agence France-Presse un entretien dans lequel il prononça une phrase infâme devenue fameuse : « Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre devront choisir. »

Comme le montre la vidéo ci-dessous, Maurice Druon – co-auteur avec son oncle Joseph Kessel des paroles du Chant des partisans, à Londres, en mai 1943 –, allait justifier à la tribune de l’Assemblée nationale ses propos tenant du chantage : pas d’argent pour les contestataires, la culture ne saurait s’affranchir de la reconnaissance du ventre, nous saurons acheter le silence dans les rangs...

23 mai 1973 : déclaration de Maurice Druon, ministre des affaires culturelles, justifiant ses propos sur la sébile et le cocktail Molotov : « Que l'on ne compte pas sur moi pour subventionner les moyens d'expression pour lutter contre le pouvoir. » © INA Politique

Maurice Druon, interrogé à ce sujet voilà une quinzaine d'années pour « Jeux d’archives », une émission de France Culture, affirmait, l’œil encore reconnaissant à l’instance supérieure qui l’avait nommé, que le président Pompidou, en marge de l’entretien à l’AFP qui lui avait été soumis avant publication, inscrivit « très bien » au stylo rouge à propos de la fameuse petite phrase sur la sébile et le cocktail Molotov.

Rima Abdul-Malak, en service commandé – pour justifier auprès de son maître élyséen d’être passée du stade de conseillère au rang de ministre –, se « druonise » sous nos yeux. Anatomie d’une chute...

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