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Découvrez Marie-Antoinette et Mozart, une histoire, la nouvelle inédite de Laure Dautriche

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Laure Dautriche Tallandier

EXCLUSIF - Chaque semaine, Le Figaro Magazine publie une nouvelle inédite d’un écrivain. Cette semaine, c’est au tour de Laure Dautriche.


Le dernier livre paru de Laure Dautriche est Paganini, le violoniste du diable (Tallandier).

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Monsieur Mozart, cela fait quinze ans que nous nous sommes vus. À Vienne, n’est-ce pas?, demande Marie-Antoinette.

Oui, Votre Majesté, répond Mozart. Vous aviez 7 ans et moi 6. J’étais venu jouer du clavecin à la Cour. Mon père m’a raconté que j’avais glissé ce jour-là sur le parquet trop ciré.

Au printemps 1778, Wolfgang Amadeus Mozart est de retour à Paris. Il s’est installé rue de Cléry avec sa sœur, Maria Anna, dans un deux-pièces sombre donnant sur une courette. Mais c’est une rue propre où logent les gens de qualité. À 22 ans, Mozart espère développer sa carrière de compositeur qui a débuté fébrilement. Paris est à ses yeux la seule ville où l’on peut gagner de l’argent avec les honneurs. Il est persuadé que toutes les portes vont s’ouvrir sans qu’il ait à faire le moindre effort. N’est-il pas Mozart, après tout?

Le musicien arrive à Paris sans lettre de recommandation, sans rendez-vous dans les théâtres parisiens ni invitation à des dîners mondains. Mais il n’est plus l’enfant prodige qui subjuguait tout le monde lors de ses voyages en Europe. Paris ne l’attend pas. Son nom évoque tout juste un vague souvenir aux mélomanes français.

Inquiet, son père, Leopold, lui a conseillé de contacter celle qui est devenue la reine de France. «Ce n’est pas nécessaire», a répondu Wolfgang avant de se raviser. Il a fini par rédiger une lettre qui a su retenir l’attention de Marie-Antoinette. Il y parle joliment de la ville de Vienne et de son goût pour la culture française. Au mois de mai 1778, Mozart est donc reçu à Versailles par la souveraine:

Ce que nous vous offrons, monsieur Mozart, c’est un poste d’organiste à la Chapelle royale de Versailles.

Pardonnez-moi, mais je veux être davantage qu’un interprète. Ma tête bouillonne. J’ai tant de symphonies à faire entendre. Vous avez soutenu plusieurs compositeurs étrangers en France, dont Gluck qui est allemand comme moi. Me feriez-vous l’honneur d’assister à l’un de mes concerts à Paris?

Mozart sait aussi parfaitement que ce n’est plus à Versailles que l’on fait carrière comme musicien, mais à Paris.

Quinze jours plus tard, Marie-Antoinette, resplendissante dans une robe dorée, prend place dans la grande salle du Salon des Suisses au palais des Tuileries. Par sa seule présence et ses applaudissements un soir de première, la reine peut faire d’une œuvre un succès. Mozart espère beaucoup, mais il n’est pas au mieux de sa forme. Il s’est déjà fait son idée sur les orchestres français. Qu’ils sont mauvais! Ils ne travaillent pas assez! Pendant la répétition, courroucé, Mozart a même failli arracher son instrument au premier violon de l’orchestre pour jouer à sa place.

Ce soir de mai 1778, Mozart donne sa Symphonie en ré majeur et un concerto pour piano qu’il vient de composer. Il dirige l’orchestre de son pianoforte. Marie-Antoinette n’a pas une grande culture musicale, mais elle a du flair. Elle sent les œuvres qui vont séduire. Ce soir-là, tout la ravit, comme la manière dont Mozart fait chanter le piano. La mélodie n’est pas le seul intérêt. La partition est bourrée de coups de théâtre. Les suspensions s’enchaînent les unes aux autres sans conclusion harmonique. Quant à la partie de piano, quelle audace! Le soliste entre à la première seconde, sans attendre l’habituelle introduction de l’orchestre. Quelques mesures plus loin, le piano passe de l’extrême grave à l’extrême aigu en une seule note. Maria Anna, assise au huitième rang, reconnaît la force de son frère: à partir de presque rien, Mozart est capable d’écrire une musique qui surpasse celle des autres. La création ne s’apprend pas, c’est quelque chose qui vous habite, pense Marie-Antoinette. La reine, saisie par cette grâce, applaudit la première, puis la salle ovationne le jeune compositeur.

Dans les coulisses, les aristocrates le congratulent. Le duc de Guînes lui demande de composer pour sa fille un délicieux Concerto pour flûte et harpe. Les éditeurs français publient ses œuvres. C’est décidé, Mozart va rester à Paris. De toute façon, il n’a pas d’avenir à Vienne, les postes rémunérateurs sont pris. Bientôt, sensible aux œuvres de Beaumarchais, le musicien noircira les premières pages de son opéra Les Noces de Figaro.