mardi 30 mai 2023

 CINÉMA FRANÇAIS

Le cinéma français est-il "biberonné aux aides publiques", comme le disent les critiques de Justine Triet ?

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L'une des principales ressources du cinéma français est une taxe sur les places

"Elle mord la main qui la nourrit", "ingratitude", "enfant gâtée" : voilà ce qu'on peut lire sur les réseaux sociaux chez des militants, voire des élus, en réaction au discours très engagé de la Palme d'Or. Mais son film, et le cinéma français en général, se font-ils "aux frais du contribuable" ?

C'est un discours qui a été massivement applaudi... dans le palais des festivals. Mais en-dehors, il a fait grincer de nombreuses dents. À commencer par la ministre de la Culture Rima Abdul Malak s'est dite "estomaquée par un discours injuste", le ministre chargé de l'Industrie Roland Lescure s'indignant de "l'ingratitude d'une profession que nous aidons tant", le député Karl Olive qui assure que "l'État nourrit la grande famille du 7ème Art", ou le maire de Cannes David Lisnard dénonçant "un discours d'enfant gâté [...] pour un film subventionné".

Au-delà de la formulation, qui a beaucoup fait réagir l'opposition (le socialiste Olivier Faure s'étonne ainsi dans un tweet que l'on "pense que quand on finance un film, on achète la conscience de ses auteurs"), il y a le fond : le cinéma est-il "biberonné aux aides publiques" comme le prétend Guillaume Kasbarian, un autre député macroniste ?

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"Dire que le cinéma français est subventionné, c'est un terme qui n'est pas approprié à ce système qu'on nous envie", explique ainsi Laurent Delmas sur France Inter. Pierre Lescure, président du Festival de Cannes de 2014 à 2022, ne dit pas autre chose. "Quoi que vous pensiez des propos de Justine Triet", demande-t-il sur Twitter, "cessez de parler d’argent public et renseignez-vous sur le CNC et son financement (sur son site)." Et effectivement, on y comprend vite que le financement du cinéma français n'a pas grand-chose à voir avec les impôts des Français.

Le CNC, un établissement public... mais autonome financièrement

Le CNC, c'est le Centre national du cinéma et de l'image, un établissement public créé par la loi du 25 octobre 1946, et c'est la principale source d'aide au cinéma français aujourd'hui (mais aussi à la création audiovisuelle en générale : séries, jeux vidéo, etc.). Les aides régionales, par exemple, ne représentent qu'une infime part du financement des films (1,7 % en 2013, par exemple).

Le CNC est placé sous l'autorité du ministère de la Culture mais est doté de l'autonomie financière : c'est-à-dire qu'il gère lui-même son budget, ressources et dépenses.

Un budget qui n'est pas financé par l'impôt, mais par des taxes spécifiques. La plus connue est la taxe spéciale additionnelle : quand vous achetez une place de cinéma, 10,72 % du prix du ticket vont au CNC, quel que soit le film. L'idée était d'ailleurs, dès la création, de financer le cinéma français avec ce que rapportent les films, y compris étrangers (et en particulier américains). Parmi les autres sources de revenus, on peut aussi citer la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision (bref, sur les chaînes de télévision), calculée en fonction des recettes publicitaires notamment : c'est celle qui rapporte le plus d'argent au CNC. Mais aussi la taxe sur les services vidéo physique ou en ligne (5,15 % prélevés sur les revenus liés à la vente de DVD, Blu-Ray, les services de VOD ou d'abonnement). L'argent du CNC vient donc des sociétés qui payent toutes ces taxes, pas des contribuables.

Ces trois taxes sont directement affectées au fonds de soutien du CNC. En 2020, elles ont rapporté 576,91 millions d'euros, soit beaucoup moins que les deux années précédentes. Elles sont revenues à la normale en 2022, avec 671,6 millions d'euros récoltés. Des ressources qui sont propres au CNC : seule exception récente, les dotations exceptionnelles de l'État en 2020 et 2021 dans le cadre de l'épidémie de Covid-19, pour un total de 322 millions d'euros sur deux ans.

À noter qu'au plus fort de la pandémie, l'État a également accepté de maintenir l'indemnisation des intermittents du spectacle après l'annulation par le gouvernement de tous les rassemblements culturels sur le territoire. Le statut d'intermittent est très présent, par nature, sur les tournages de cinéma. Cela ne constitue toutefois pas vraiment un véritable financement de la filière par l'État, ou alors de manière très indirecte.

Le fonds de soutien du CNC est financé très largement par les chaînes de télévision (près de 70 % des ressources en 2022), un peu moins par les ventes de vidéos ou d'abonnements en ligne (18,9 %) et enfin par une petite partie du prix de la place de cinéma (17,5 %).

Un budget géré par le CNC, et souvent bien géré : ironiquement, il est même arrivé qu'il récolte assez d'argent pour rendre l'État jaloux. En 2013 par exemple, le gouvernement avait prélevé 150 millions d'euros sur le fonds de roulement de l'organisme, pour "participer au redressement des comptes publics".

Les films qui marchent financent les autres

Comment le CNC dépense-t-il ensuite cet argent ? Le fonds de soutien apporte des aides de deux types : automatiques et sélectives. Les aides automatiques sont attribuées aux producteurs de cinéma français en fonction des entrées en salles de leurs films (plus un film a rapporté, moins il touche d'aides). Ils ne peuvent les toucher que si elles leur servent à financer un nouveau film. Les aides sélectives consistent, elles, le plus souvent à faire une avance sur recettes (dont une partie revient ensuite au CNC) à des projets sélectionnés par une commission, avant ou après leur réalisation. Cette commission est constituée de "personnalités d'horizons divers" : en 2020, la présidente était l'écrivaine Marie Darrieussecq ; en 2021, le producteur Stéphane Célérier.

Bien entendu, le cinéma français se finance aussi tout simplement par ce que les films rapportent en salles, par le marché international, ou par les ventes de droits ou de contenus vidéo... Globalement, il est donc faux de dire qu'il ne vit que d'aides publiques ou des impôts : le système de 1946 permet justement, pour en assurer l'indépendance vis-à-vis des gouvernements successifs, que le cinéma français soit surtout financé... par le cinéma.

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