SAINT-VALENTIN EN TABLEAUX

 

Ces onze œuvres d’art n’ont pas attendu la Saint-Valentin pour célébrer l’amour

Sophie Cachon

De Gustave Courbet à Aloïse Corbaz en passant par Marc Chagall, l’amour a bien souvent inspiré les artistes à travers les époques. À l’occasion de la « fête des amoureux », nous avons sélectionné quelques œuvres qui racontent à leur façon l’amour. Sur la route d’Anacapri, de Gerda Wegener, par exemple. Quand ils se marient à Copenhague, en 1904, à la sortie de l’école des Beaux-Arts, Gerda Wegener est portraitiste et son époux, Einar, peintre paysagiste. Mais un jour où l’un de ses modèles lui fait faux bond, Gerda demande à Einar de poser pour elle habillé en femme. C’est la révélation. Dans la peau de son double, qu’il prénomme Lili, celui-ci découvre son identité féminine et décide de changer de sexe, avec l’aide de son épouse. Commence alors l’aventure d’une vie et d’une œuvre intimement confondues où, sous le pinceau de Gerda, Lili s’épanouit en belle jeune femme aux toilettes sophistiquées. Gerda elle-même se met souvent en scène au côté de son époux transgenre. En 1930, après une opération chirurgicale financée par Gerda, Lili devient physiquement et légalement une femme et prend le nom de Lili Ilse. Leur mariage est aussitôt annulé par les autorités. Lire la suite



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De Gustave Courbet à Aloïse Corbaz en passant par Marc Chagall, ces artistes ont été inspirés par l’amour à travers les époques. Notre sélection, à l’occasion de la “fête des amoureux”.

“Les Amants heureux”, de Gustave Courbet

« Les Amants heureux » (1844), de Gustave Courbet.

« Les Amants heureux » (1844), de Gustave Courbet.

Photo Alain Basset / Lyon MBA

En pleine campagne franc-comtoise, ils dansent, dans leur bulle, absents au monde, corps serrés, mains entrelacées, emportés par la musique et le bonheur d’être deux. Gustave Courbet, belle allure, 25 ans, se représente avec sa compagne d’alors, la rousse Virginie Binet, dont il aura un fils naturel quelques années plus tard. L’auteur de L’Origine du monde montre ici son génie à se mettre en scène et à célébrer l’éternel féminin. Une seconde version sur le même thème, presque jumelle, est conservée au musée du Petit-Palais à Paris.

► “Les Amants heureux”, ou “Les Amants dans la campagne, sentiments du jeune âge” (1844), de Gustave Courbet, au musée des Beaux-Arts de Lyon.

“Double portrait au verre de vin”, de Marc Chagall

« Double Portrait au verre de vin » (1917-1918), de Marc Chagall.

« Double Portrait au verre de vin » (1917-1918), de Marc Chagall.

Godong / Alamy Stock Photo

Jamais une œuvre n’aura si intensément célébré le coup de foudre, l’amour fantastique, le ravissement de la fusion parfaite entre deux êtres. Marc Chagall se représente ici juché sur les épaules de sa femme, Bella Rosenfeld, épousée en 1915, dans des couleurs d’une vivacité aussi intense que leurs sentiments. Toute la composition respire la gaieté, l’équilibre magique des êtres, jusqu’au verre de vin brandi par le marié et sa main espiègle sur l’œil de sa compagne. Plénitude, légèreté, avenir solaire, seule la mort de Bella, en 1944 lors de leur exil à New York durant la guerre, séparera ce merveilleux couple en apesanteur.

► Double portrait au verre de vin (1917-1918), de Marc Chagall (1887-1985), au Centre Pompidou.

“Psyché ranimée par le baiser de l’Amour”, d’Antonio Canova

« Psyché ranimée par le baiser de l’Amour », d’Antonio Canova.

« Psyché ranimée par le baiser de l’Amour », d’Antonio Canova.

Alamy Stock Photo

Il était une fois, selon un mythe de Platon, une princesse dénommée Psyché, si belle que la déesse de l’Amour, Aphrodite, l’expédie en enfer pour l’éloigner d’Eros, dieu de l’Amour, qui s’en est épris, bien décidée à ce qu’elle n’en revienne pas. Psyché est chargée de rapporter du pays des morts une boîte qu’elle ne doit pas ouvrir. Évidemment, la belle curieuse l’ouvre et tombe raide, condamnée à l’engourdissement pour la nuit des temps. C’était compter sans Eros, qui, d’un baiser d’amour sincère, la ranime. Le marbre blanc, au grain fin et lisse, l’harmonie du mouvement des bras expriment dans ce chef-d’œuvre exceptionnel de Canova un sentiment d’amour d’une grâce et d’une perfection rares.

► Psyché ranimée par le baiser de l’Amour (1787-1793), d’Antonio Canova (1757-1822), au musée du Louvre.

“Youyou et son épouse Tiy, règne d’Aménophis III”

« Youyou et son épouse Tiy  », règne d’Aménophis III, 1390-1352 av. J.-C..

« Youyou et son épouse Tiy  », règne d’Aménophis III, 1390-1352 av. J.-C..

Alamy Stock Photo

Ils s’aiment depuis trois mille cinq cents ans, date de leur rencontre en Égypte sous le règne d’Aménophis III (1403 à 1353 av. J.-C.), alors que Youyou travaillait comme inspecteur des finances du pharaon, comme indiqué sur le cartouche gravé sur le côté. Sa compagne, la belle Tiy, avec des seins ronds comme des pommes, à moitié cachés par son épaisse perruque, passe tendrement son bras droit dans le dos de son aimé. Il fait de même. Leur stèle funéraire, placée devant leur tombe, a été gravée dans du quartzite, une roche suffisamment solide pour durer l’éternité.

► Youyou et son épouse Tiy, règne d’Aménophis III, 1390-1352 av. J.-C., musée du Louvre.

“La Nuque de Misia”, d’Édouard Vuillard

« La Nuque de Misia » (1897-1899), d’Édouard Vuillard (1868-1940).

« La Nuque de Misia » (1897-1899), d’Édouard Vuillard (1868-1940).

Heritage Images / Getty Images

Écrit-elle une lettre, joue-t-elle du piano ? La « Belle Misia », comme elle était surnommée, est absorbée par son ouvrage. De son pinceau doux, Édouard Vuillard fait quasi sentir, dans cette scène intime, la douceur de la blouse en coton volantée, la mèche de cheveux sortie du chignon, la peau de pêche de l’épaule et le cou, surtout le cou, qui n’attend que le baiser une fois le pinceau posé. Jamais un artiste ne pourrait peindre aussi sensuellement une femme sans l’aimer passionnément. Ce qui est le cas de notre pilier de la bande des nabis, Vuillard, éperdument amoureux de la belle Misia Natanson, femme de son ami Thadée Natanson, créateur de La Revue blanche, qui fut l’égérie des peintres et des écrivains et fit tourner bien des têtes. Édouard Vuillard ne lui déclarera jamais sa flamme.

► La Nuque de Misia (1897-1899), Édouard Vuillard (1868-1940), collection privée.

“Les Époux Arnolfini”, de Jan Van Eyck

“Les Époux Arnolfini”, de Jan Van Eyck, 1434.

“Les Époux Arnolfini”, de Jan Van Eyck, 1434.

The National Gallery, London

Ces célèbres époux Arnolfini, un riche marchand toscan installé à Bruges et sa compagne, ont fait couler beaucoup d’encre. On a longtemps dit que le tableau représentait une cérémonie de mariage, cérémonie très discrète puisqu’il n’y a qu’eux et deux témoins, aperçus dans le miroir de sorcière sur le mur du fond. Est-ce parce que la femme est enceinte, sa main sur son ventre ? Mais l’est-elle vraiment ? La mode à l’époque prisait les robes bouffantes à taille haute. Et les socques abandonnées sur la gauche ? Quelqu’un est-il parti ? Des recherches ont révélé que le sieur Arnolfini n’était pas marié à l’époque. Était-il veuf ? Le tableau serait-il alors un hommage à son amour disparu, peut-être en couches ? Un tableau aussi mystérieux qu’envoûtant.

► Les Époux Arnolfini (1434), Jan Van Eyck (1390-1441), National Gallery, Londres.

“La Fiancée du vent”, d’Oskar Kokoschka

“La Fiancée du vent”, d’Oskar Kokoschka, 1913.

“La Fiancée du vent”, d’Oskar Kokoschka, 1913.

World History Archive / Alamy Stock Photo

Elle dort paisiblement, il ne trouve pas le sommeil, les mains nouées. Le tourbillon qui les emporte semble autant les protéger, tel un cocon, que les broyer dans un maelström terrifiant. À l’image de la relation entre la belle Alma Mahler, veuve du compositeur, pianiste, compositrice elle-même, et le peintre. Leur histoire prendra fin en 1914 après un an de passion orageuse. Terrassé, Kokoschka, enfant terrible de l’expressionnisme, qui commença sa carrière sous les auspices de Klimt, fixe dans cette toile poignante autant la force de la passion que la douleur de la rupture, dans des coups de pinceau torturés et des déclinaisons de bleu, couleur de la tristesse.

► La Fiancée du vent, 1913, Oskar Kokoschka (1886-1980), musée d’Art de Bâle.

“Sur la route d’Anacapri”, de Gerda Wegener

« Sur la route d’Anacapri », de Gerda Wegener.

« Sur la route d’Anacapri », de Gerda Wegener.

Alamy Stock Photo

Quand ils se marient à Copenhague, en 1904, à la sortie de l’école des Beaux-Arts, Gerda Wegener est portraitiste et son époux, Einar, peintre paysagiste. Mais un jour où l’un de ses modèles lui fait faux bond, Gerda demande à Einar de poser pour elle habillé en femme. C’est la révélation. Dans la peau de son double qu’il prénomme Lili, celui-ci découvre son identité féminine et décide de changer de sexe, avec l’aide de son épouse. Commence alors l’aventure d’une vie et d’une œuvre intimement confondues où, sous le pinceau de Gerda, Lili s’épanouit en belle jeune femme aux toilettes sophistiquées. Gerda elle-même se met souvent en scène aux côtés de son époux transgenre. En 1930, après une opération chirurgicale financée par Gerda, Lili devient physiquement et légalement une femme et prend le nom de Lili Ilse. Leur mariage est aussitôt annulé par les autorités.

► Sur la route d’Anacapri, 1922, Gerda Wegener.

“Deux jeunes femmes s’embrassant”, de Louis-Léopold Boilly

« Deux jeunes femmes s'embrassant » (1790-1794), de Louis-Léopold Boilly.

« Deux jeunes femmes s'embrassant » (1790-1794), de Louis-Léopold Boilly.

Alamy Stock Photo

Louis-Léopold Boilly, connu pour ses caricatures savoureuses et ses scènes de la vie parisienne pleines d’esprit, aimait aussi donner à voir par le trou de la serrure, sans voyeurisme ni vulgarité. Il représente ici l’un des premiers baisers lesbiens en peinture. La capeline et le manteau de la visiteuse en vert sont posés à la va-vite sur la desserte, deux verres ont été bus, des fleurs échangées. L’hôte, la robe blanche au décolleté déjà tombant, serre sa bien-aimée dans ses bras avec passion. Ce baiser aurait pu coûter sa tête à son auteur, dénoncé en 1794 par un de ses pairs pour obscénité et menacé, on ne plaisantait pas avec le régime révolutionnaire, de poursuites par la puritaine Société des arts. Boilly s’en sortira en dégainant ses nombreux dessins patriotiques. Les amoureuses, elles, sont retournées sous le manteau, comme les amours lesbiens dans la vraie vie.

► Deux jeunes femmes s’embrassant (1790-1794), Louis-Léopold Boilly (1761-1845), The Ramsbury Manor Foundation

“Les Amoureux”, d’Ernst Ludwig Kirchner

« Les Amoureux » (1921-1923), d’Ernst Ludwig Kirchner.

« Les Amoureux » (1921-1923), d’Ernst Ludwig Kirchner.

agefotostock / Alamy Stock Photo

Quand il se réfugie à Davos, en Suisse, en 1917, le peintre allemand Ernst Ludwig Kirchner, fondateur à Dresde du groupe Die Brücke, est une épave. Alcoolique, drogué, traumatisé par la Première Guerre mondiale, l’artiste, en profonde dépression nerveuse, ne peut plus peindre. L’air de la montagne le fera petit à petit renaître et sa production alpine éclate en couleurs pures extraordinaires. Comme ici, avec sa fidèle complice et amoureuse Nina Hard, danseuse, qui le retrouve l’été dans le petit chalet d’alpage qu’il loue en altitude. Là-haut, les amoureux évoluent comme en Océanie, pays qui inspire Kirchner. Nus ou en pagne, ils dansent dans l’herbe. Couleur pure, composition simple, primitive, bonheur retrouvé, le paradis prend fin quand l’Allemagne envahit l’Autriche en 1938, juste de l’autre côté de la montagne. Kirchner se suicide.

► Les Amoureux (1921-1923), Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938), Centre Pompidou.

“Napoléon III à Cherbourg”, d’Aloïse Corbaz

Napoléon III à Cherbourg, entre 1952 et 1954, d’Aloïse Corbaz.

Napoléon III à Cherbourg, entre 1952 et 1954, d’Aloïse Corbaz.

Photo Claude Bornand / Collection de l’Art Brut, Lausanne.

Aloïse Corbaz, dite Aloïse, est l’artiste la plus célèbre de l’art brut et l’amoureuse la plus fervente de l’art tout court. Schizophrène, internée à l’âge de 32 ans, l’artiste a passé sa vie à l’asile de la Rosière, en Suisse, où elle s’est passionnée pour le dessin et l’écriture, les deux souvent mêlés. Ses œuvres sur papier, des feuilles cousues ensemble, forment de grandes compositions faussement enfantines où crayons de couleur, mine de plomb, pétales ou feuilles (ici le géranium) ou papiers d’emballage collés créent une alchimie particulière, attirante. Inlassablement, Aloïse orchestre les amours d’héroïnes à la poitrine avantageuse, auxquelles elle s’identifie, et de chevaliers servants fringants. Son cœur bat pour des vedettes de cinéma ou des têtes couronnées, tel le Kaiser Guillaume II, côtoyé à la cour de Potsdam où elle fut gouvernante. Ici, Napoléon Bonaparte, brandebourgs et épaulettes impeccables, empoigne l’héroïne frémissante par derrière. Sensualité et exaltation canalisées sur papier.

► Napoléon III à Cherbourg (1952-1954), Aloïse Corbaz (1886-1964), collection de l’Art brut, Lausanne.


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