« Une annĂ©e. 365 jours. Jâimagine, autant que lâon puisse lâimaginer sans le vivre, ce temps atrocement long pour qui vit avec lâomniprĂ©sence de la mort et de la destruction autour de soi, avec la menace de pĂ©rir sous un char, sous une bombe, avec lâangoisse dâune issue introuvable Ă la guerre qui sĂ©vit. Vladimir Poutine porte lâentiĂšre responsabilitĂ© du massacre du peuple ukrainien et de toutes les victimes quâil enrĂŽle dans sa folie. Notre solidaritĂ© doit ĂȘtre claire, volontaire, dĂ©terminĂ©e envers les Ukrainiens qui doivent pouvoir disposer dâeux-mĂȘmes. Elle doit Ă©galement sâaffirmer envers celles et ceux qui, en Russie, osent au nom de la justice et de la paix braver Poutine. Jâaimerais quâĂ gauche, mĂȘme sâil y a des divergences dâapproche sur les questions internationales, mĂȘme si nous sommes trĂšs concentrĂ©s sur le bras de fer engagĂ© sur les retraites, nous soyons capables de faire davantage entendre notre soutien.
Aussi fondamentale soit-elle, cette solidaritĂ© ne constitue Ă©videmment pas une solution au conflit. Nous le savons, vouloir la paix ne suffit pas Ă lâobtenir. Le chemin pour y parvenir concrĂštement nâa rien dâĂ©vident. Le dĂ©bat dĂ©mocratique, quasiment introuvable au Parlement depuis le dĂ©but du conflit, mĂ©riterait dâĂȘtre davantage dĂ©ployĂ©. Et ce dâautant quâagir pour mettre fin aux violences meurtriĂšres, aux souffrances des Ukrainiens, pour Ă©viter lâembrasement, suppose de sortir des partitions anciennes. Car cette guerre n'a rien Ă voir ni avec la guerre froide, ni avec les conflits prĂ©cĂ©dents. Le chemin pour dĂ©gager une issue juste et durable doit ĂȘtre inĂ©dit.
Depuis la guerre de CrimĂ©e en 1856, aucune guerre nâa Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e par des nĂ©gociations
Lâappel Ă la nĂ©gociation entre la Russie et lâUkraine, quâil mâest moi-mĂȘme arrivĂ© de brandir comme par rĂ©flexe, est Ă premiĂšre vue sĂ©duisante. Mais ayons conscience que, depuis la guerre de CrimĂ©e en 1856, aucune guerre nâa Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e par des nĂ©gociations entre les deux parties qui sâaffrontent. Et surtout, imagine-t-on sincĂšrement un face-Ă -face diplomatique entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelenski ? Câest Ă mon sens plutĂŽt du cĂŽtĂ© dâune rĂ©gulation globale, dâun rĂšglement opĂ©rĂ© par la communautĂ© internationale quâil faut porter nos efforts. Faire abandonner sa guerre Ă Poutine, voilĂ lâobjectif. Pour y parvenir, nous devons aider les Ukrainiens Ă tenir le choc militairement et parallĂšlement, faire monter la pression internationale. Cela suppose de ne pas nous enferrer, nous enfermer dans une opposition entre la Russie versus lâOccident et dâaller chercher le basculement des pays Ă©mergents, dont la pression sur Poutine peut devenir dĂ©terminante.
Au point de dĂ©part, souvenons-nous : une violation caractĂ©risĂ©e du droit international au service dâun projet impĂ©rialiste et rĂ©actionnaire. Nous nâavons pas voulu la voir venir alors que, depuis lâannexion de la CrimĂ©e en 2014, depuis lâintervention brutale en Syrie, nous aurions dĂ» prendre davantage au sĂ©rieux le projet poutinien. Pour affirmer son pouvoir politique Ă lâintĂ©rieur de la Russie, lâhomme fort du Kremlin utilise un ressort redoutable : restaurer la puissance russe en surfant sur la nostalgie de la Russie impĂ©riale, en misant sur une xĂ©nophobie et un virilisme exacerbĂ©.
TrĂšs vite, lâoffensive russe a Ă©chouĂ© sur le plan militaire. Contrairement aux rĂȘves de Poutine, Kiev nâa pas Ă©tĂ© Ă©crasĂ©e en trois jours. DĂšs mars dernier, nous savions que la conquĂȘte ne fonctionnerait pas. Câest dâailleurs la rĂšgle depuis 1945 oĂč les invasions ne vont jamais Ă leur terme. En Ukraine, mĂ» par des principes dĂ©mocratiques et aidĂ© par notre apport militaire, le faible a battu le fort. Ce fait frappant, impressionnant, rappelle les victoires de la dĂ©colonisation.
Pour combattre cette rĂ©sistance ukrainienne, Poutine a rĂ©pondu par une "terrorisation sociale" conduisant Ă des exactions criminelles, Ă Butcha, Izioum et ailleurs. Cette guerre sociale sâest mondialisĂ©e puisquâelle a trĂšs vite touchĂ© des secteurs Ă©conomiques menaçant tant de pays Ă travers le monde dans leur sĂ©curitĂ© alimentaire et Ă©nergĂ©tique. Les pays occidentaux, notamment, y ont participĂ© en faisant de l'exclusion de la Russie - de l'Ă©conomie mondiale, des Ă©changes, des finances, voire de la monnaie, mais aussi de la culture, du sport, des mĂ©dias... - un instrument inĂ©dit de pression. Il est faux de penser que cela n'a produit aucun effet. Le Kremlin y rĂ©pond par une tentative de contournement via les pays Ă©mergents et en misant sur l'effet boomerang des sanctions-exclusions qui, effectivement, grĂšvent les Ă©conomies des pays qui les pratiquent.
Poutine est en train de tirer dangereusement les enseignements de ses dĂ©faites militaires en changeant son discours et, comble du cynisme, en se prĂ©sentant devant le âSud Globalâ comme⊠la victime de l'hĂ©gĂ©monisme atlantiste. Il dit en substance : âjâai Ă©tĂ© agressĂ© et malmenĂ© par les armĂ©es occidentales qui veulent diriger le monde, donc soyez soudĂ©s avec moi contre leur impĂ©rialismeâ. HĂ©las, cette rhĂ©torique parle Ă bien des pays du Sud agacĂ©s par l'arrogance de lâOccident, par sa pratique âOtanienneâ de l'entre-soi, par le peu de considĂ©ration qui leur est accordĂ©e envers leur pratique diplomatique et leur capacitĂ© Ă exercer une pression pouvant conduire l'agresseur Ă abandonner... PlutĂŽt que de vouloir enrĂŽler ce âtiers-partiâ, il conviendrait de s'appuyer sur son apparent dĂ©sengagement pour lui permettre d'exercer une pression. Celle-ci pourrait venir du BrĂ©sil de Lula, de la Chine - qui n'est pas lâalliĂ©e inconditionnelle de Moscou et qui reste ambiguĂ« sur sa position vis-Ă -vis de lâUkraine - ou encore de l'Union africaine. Au fond, nous avons du mal Ă penser le monde, ses institutions, les solutions aux conflits internationaux en dehors des schĂ©mas issus de la guerre froide. Câest comme si nos pensĂ©es sây trouvaient engluĂ©es, nous enfermant dans deux formes de âcampismeâ, deux impasses : soit parce que la Russie Ă©tant notre ennemie, les Ătats-Unis deviendraient nos amis coĂ»te que coĂ»te ; soit parce que les Ătats-Unis Ă©tant une puissance impĂ©rialiste, la Russie pourrait ĂȘtre sinon une alliĂ©e de circonstance, au moins un Ătat Ă ne pas trop contrarier.
Les armes occidentales ne vaincront pas les armes russes, et rĂ©ciproquement. Câest ailleurs quâil faut aller chercher la solution. Celle-ci rĂ©side dans le respect du droit international et dans la construction dâun nouveau paradigme de sĂ©curitĂ© collective post-bipolaire. Si lâenjeu devient une guerre entre lâOccident et la Russie, le pire est devant nous. La pression, les puissances de persuasion pour que Poutine abandonne sont aujourdâhui Ă chercher en dehors des pays occidentaux. La mauvaise direction, câest le schĂ©ma binaire qui ferme et enferme les positions autant que le jeu diplomatique pourtant si indispensable : dâun cĂŽtĂ© la dĂ©mocratie, âle camp du bienâ, qui serait incarnĂ©e par lâOccident et de lâautre, le reste du monde apprĂ©hendĂ© comme un tout sous le prisme de la dictature, du âcamp du malâ. Avec dâautres, la France devrait encourager les pays qui restent crĂ©dibles auprĂšs des oreilles de toutes les parties Ă faire entendre la voix du droit et de la justice. Cette approche donnerait Ă voir que nous prenons enfin compte de la rĂ©alitĂ© du XXIe siĂšcle, celle dâun monde global, interconnectĂ© et interdĂ©pendant. Et que, loin de nous payer seulement de mots, nous nous donnons les moyens dâune stratĂ©gie concrĂšte pour aider les Ukrainiens et atteindre la paix. »
TRIBUNE. Clémentine Autain : « Pour que Poutine abandonne sa guerre en Ukraine »
Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis (LFI), membre de la commission des affaires étrangÚres, revient sur l'année de guerre qui vient de s'écouler entre la Russie et l'Ukraine. Elle appelle la France à « encourager les pays qui restent crédibles auprÚs des oreilles de toutes les parties à faire entendre la voix du droit et de la justice ».
