Le vol du cercueil du maréchal Pétain à l'Île d'Yeu : un coup très bien monté
Dans la nuit du 18 au 19 février 1973, il y a cinquante ans, un commando de cinq hommes s'emparait du cercueil du maréchal Pétain, inhumé à l'Île d'Yeu (Vendée) en 1951. Minutieusement préparée, l'opération s'est déroulée sans accroc jusqu'au retour sur le continent où l'équipe est contrainte de dévoiler son jeu plus tôt que prévu. Le chef donne une conférence de presse en exigeant du président Pompidou l'assurance que le maréchal Pétain serait inhumé à Douaumont, sur le site de la bataille de Verdun, comme il l'avait souhaité.
Selon un sondage réalisé peu de temps avant par la Sofres, la majorité de l'opinion de l'époque aurait été favorable à ce transfert. Il n'aura pas lieu.
Récupéré au troisième jour de la cavale, le cercueil est renvoyé à l'Île d'Yeu et de nouveau inhumé dans son caveau vendéen.
C'est cette histoire que nous vous avons racontée la semaine dernière dans la rubrique Histoires d'Ouest et que vous pouvez retrouver ci-dessous.
Depuis la parution, un lecteur qui a participé au rapatriement du cercueil, nous a contactés pour rectifier l'information donnée par la télévision au moment de l'affaire. Contrairement à ce qui a été expliqué à l'époque, le cercueil du maréchal Pétain est parti de la région parisienne en hélicoptère Puma et s'est rendu directement à l'Île d'Yeu sans passer par Lann-Bihoué comme annoncé. Voilà pour la petite précision.
Olivier Renault et Didier Gourin, journalistes à Ouest-France
Lundi 19 février 1973. Il est environ 8 h 45 quand Jean Taraud pousse la porte du petit cimetière de Port-Joinville, sur l’Île d’Yeu (Vendée). Le fossoyeur, surnommé « Ratata », est chargé de l’entretien de la tombe du maréchal Pétain, déjà deux fois dégradée depuis la cérémonie d’inhumation du 25 juillet 1951.
En juillet 1953, des inconnus avaient piétiné l’inscription funéraire et recouvert la dalle d’inscriptions injurieuses. Le 11 novembre 1968, deux jeunes gens avaient arraché le ruban d’une couronne offerte par le général de Gaulle, alors président de la République. Ces profanations seront loin d’être les dernières.
On a volé le cercueil du maréchal Pétain
Comme il le fait quotidiennement, l’employé municipal jette un coup d’œil à la tombe du célèbre pensionnaire du cimetière, histoire de s’assurer que tout est en ordre. Un visiteur lambda n’y aurait sans doute vu que du feu mais « Ratata », lui, remarque immédiatement qu’il y a quelque chose qui cloche.
Le pourtour de la tombe a été ratissé et il n’y a aucune empreinte de pas dans le sable. Et ça, mon p’tit gars, au lendemain d’un week-end, ce serait du jamais vu. C’était tellement propre que j’en ai été stupéfait, confie le fossoyeur à Ouest-France, le jour de la disparition du cercueil. J’ai regardé de plus près et j’ai vu que la pierre avait été descellée. Elle était déplacée de plus d’un centimètre. Le travail de camouflage pour reboucher les trous faits était soigné mais visible.
Affolé, Jean Taraud alerte la brigade de gendarmerie voisine ainsi que le propriétaire de l’Hôtel des voyageurs, représentant de l’Association nationale pour la défense de la mémoire du Maréchal, sans se douter un instant que ce dernier en sait beaucoup plus qu’il ne le laisse paraître…
Un coup de fil au continent et le commandant Moulin, chef de la compagnie des Sables-d’Olonne, saute dans un hélicoptère en direction de l’île. Il demande l’autorisation de déplacer la dalle. Accordée ! Mais seulement en présence des autorités du Parquet. Messieurs Roger Hauret, procureur de la République, et Louis Calvet, juge d’instruction aux Sables-d’Olonne, descendent à leur tour du ciel et sont accueillis par les notables de l’île : le premier adjoint au maire, Jean Collinet, et une poignée de conseillers municipaux.
Il est maintenant 15 h 30. À l’aide de barres à mine, les employés de la commune se mettent à l’œuvre et déplacent la dalle de ciment sur la moitié du caveau. L’espace est suffisant pour permettre au gendarme Godard, un expert en relevé d’empreintes, de descendre dans le caveau. Alors ? C’est vide ! Le cercueil a disparu !
Une opération commando réussie
Là, ça devient sérieux. Les enquêteurs n’ont pas une minute à perdre. Les « ravisseurs » ont, au moins, un train d’avance et ce sont manifestement des pros. Combien sont-ils, d’après vous ? Quatre ? Cinq ? Peut-être six, estime-t-on sur-le-champ. Ce qui est certain c’est que l’opération a été très bien préparée et qu’elle ne manque pas d’audace. Arriver sur l’île incognito, faire jouer la dalle de ciment de nuit, dans un cimetière en bord de route, à proximité d’habitations, sur lequel donnent les fenêtres des étages de la gendarmerie qui se dresse à 150 mètres de là, exhumer un lourd cercueil de chêne, replacer la dalle, refaire les joints et repartir fissa par le bateau, c’est gonflé !
L’information ne reste pas longtemps confidentielle… Très vite, l’île d’Yeu, d’habitude tranquille en cette saison, est prise d’assaut. Ce ne sont plus les quais déserts, écrit Ouest-France. On se croirait aux approches de l’été, les hôtels regorgent de monde : presse, enquêteurs, ORTF, agences diverses étrangères, etc. etc.
Mais, côté enquête, pour le moment, rien de neuf. On a bien remarqué une estafette immatriculée dans le 92, ce week-end sur l’île. Mais il s’agit très probablement de marchands itinérants venus pour la foire du 16 février. Du moins, c’est ce que fait fuiter une « source proche de l’enquête ». Gardez tout de même cette information en mémoire. On ne sait jamais…
Les revendications des ravisseurs
Cela dit, un cercueil, ça ne passe pas inaperçu. Et les nombreux barrages mis en place sur les routes de France compliquent sérieusement la mission des ravisseurs qui préfèrent changer de stratégie.
Le chef, Hubert Massol, sort du bois et organise une conférence de presse au café Cristal, avenue de la Grande-Armée, à Paris, dans l’après-midi du 21 février. Ce n’est pas une date comme les autres, le 21. C’est l’anniversaire du début de la bataille de Verdun en 1916.
Le cercueil est en notre possession… annonce le chef du commando qui a « délivré la dépouille mortelle du maréchal Pétain », écrit Ouest-France. Nous le garderons jusqu’à ce que le président de la République nous fasse parvenir une lettre où il s’engage formellement à ce que le corps soit déposé dans une crypte des Invalides dans l’attente de la réhabilitation et du dépôt de ses cendres à Douaumont ».
Le mobile qui ne faisait guère de doute est confirmé : les « ravisseurs » souhaitaient exaucer le vœu du maréchal Pétain d’être inhumé à Douaumont, sur le site de la bataille de Verdun. Et, à l’époque, ils semblent avoir l’opinion avec eux. Selon un sondage de la Sofres, réalisé un an et demi plus tôt, le 14 septembre 1971, pour le journal Sud-Ouest, 72 % des personnes interrogées étaient favorables à la translation des cendres du maréchal Pétain à Douaumont, 11 % contre, et 17 % sans opinion.
Évidemment, Hubert Massol et sa moustache souriante qui n’étaient pas franchement en position de négocier, sont arrêtés juste après leurs déclarations et conduits au 36, quai des Orfèvres. C’est qu’on a quelques questions à leur poser…
Le cercueil est retrouvé
Il reste à mettre la main sur les membres du commando et à retrouver le cercueil du maréchal Pétain. Ce n’est plus qu’une question d’heures. Un peu après minuit, les policiers le retrouvent dans un garage parisien, dissimulé sous un tas de matelas. Et il est intact. On le recouvre d’un drapeau tricolore et ainsi revêtu et il est transporté à l’hôpital du Val-de-Grâce à 1 h 30 du matin. Nous sommes donc maintenant le 22 février. La télévision annonce que le cercueil est installé à bord d’un Mystère 20 à destination de la base de Lann-Bihoué d’où un hélicoptère le ramène à l’Île d’Yeu.
L’appel d’un lecteur qui a participé au rapatriement du cercueil sur l’Île d’Yeu nous permet aujourd’hui de corriger cet itinéraire. En réalité, le cercueil a été transporté par un hélicoptère Puma - escorté par un second dans lequel un neveu très éloigné du maréchal Pétain avait pris place - de l’Aviation légère de l’Armée de Terre (ALAT) du GALDIV 8 de Margny-lès-Compiègne depuis la région parisienne jusqu’à l’Île d’Yeu.
Le cercueil voyageur est replacé dans son caveau après une messe dite en présence d’un petit-neveu du maréchal Pétain et de nombreux habitants et officiels. Plusieurs gerbes ont été envoyées. L’une d’elles vient du président de la République, Georges Pompidou. Le 22 février, à 15 h, le caveau est de nouveau scellé.
Aucune poursuite judiciaire
Les quatre autres membres du « commando » sont identifiés. Parmi eux, se trouve un marbrier de Thiais, en région parisienne, Michel Dumas, qui racontera toute l’opération dans un livre paru chez Albin Michel, en 2004 : La permission du Maréchal, trois jours en maraude avec le cercueil de Pétain.
Avant de les embarquer dans l’aventure, le « cerveau », resté dans l’ombre, de ce coup minutieusement préparé, avait assuré aux membres de sa petite équipe qu’ils ne risquaient pas grand-chose. Un an de prison – probablement avec sursis – tout au plus. Ce ne sera même pas le cas.
Arrêtés. Placés en garde à vue puis remis en liberté, les cinq hommes n’ont fait l’objet d’aucune poursuite, l’État ayant décidé d’abandonner l’action publique. Ce qui est confirmé par la cour d’appel de Poitiers après la contestation d’une branche de descendants du maréchal Pétain. L’affaire est donc définitivement close le 27 avril 1976.
Que s’est-il réellement passé le 19 février ?
Dès le début de l’enquête, le procureur de la République, Roger Hauret, avait souligné la qualité de la préparation et de l’exécution de l’opération. Il semble, avait-il dit au journaliste d’Ouest-France, le 20 février, que l’on soit en présence d’un coup particulièrement bien monté et étudié dans ses moindres détails.
Ce coup, Michel Dumas en dévoile tous les secrets dans son livre paru trente ans après les faits. Voici l’histoire. Tout commence par un après-midi pluvieux de janvier 1973 quand maître Jean-Louis Tixier-Vignancour – le véritable « cerveau » de l’opération – pousse la porte du magasin funéraire du marbrier.
Ce n’est pas inhabituel car les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Après s’être renseigné sur l’art et la manière d’ouvrir un caveau, l’avocat propose à l’expert de participer à une folle opération : exhumer le corps du maréchal Pétain, enterré sur l’Île d’Yeu, et de le transporter à l’ossuaire de Douaumont afin d’exécuter ses dernières volontés..
Par défi plus que par opinion politique, Michel Dumas accepte. Mais à trois conditions : obtenir une attestation de la famille du maréchal Pétain autorisant l’exhumation ainsi que l’assurance que le cercueil ne serait pas ouvert et la promesse qu’il ne serait pas déplacé si son état ne le permettait pas.
Plus tard, il exigera également qu’aucun des membres du commando ne soit armé. Me Tixier-Vignancour accepte et, quelques jours plus tard, remet à sa recrue une lettre qu’il me dit être de la famille de Philippe Pétain qui approuvait sans réserve l’exhumation et le transfert du corps du Maréchal à Douaumont.
Un plan sans accroc
Le 18 février 1973, au soir, quatre hommes du « gang », dont Hubert Massol et Michel Dumas, arrivent au port de Fromentine dans la voiture de Me Tixier-Vignancour, via Le Mans et Angers (entre lesquels ils font une pause) puis Nantes.
La camionnette transportant le matériel nécessaire à l’opération est déjà sur l’île depuis quelques jours. Elle y a été conduite par une commerçante de prêt-à-porter et un membre du commando. Vous vous souvenez de la camionnette immatriculée dans le 92 ? C’était elle !
Le commando laisse la puissante conduite intérieure couleur sable sur le continent, embarque pour l’île d’Yeu et se rend à l’Hôtel des voyageurs où ils sont accueillis par le propriétaire, dans le secret de l’opération.
Ils y dînent, y dorment quelques heures puis, à minuit, les cinq hommes grimpent dans l’estafette et se rendent au cimetière. Après une heure de travail et quelques frayeurs (un chien qui aboie, une lumière qui s’allume…) le cercueil est embarqué dans le véhicule.
Michel Dumas nettoie la tombe et ratisse le sable autour afin de faire disparaître nos traces et les éclats de ciment que l’énergique coup de barre à mine du chef avait éparpillés sur le sol.
Retour sur le continent
Les cinq hommes rentrent alors à l’Hôtel des voyageurs. Ils y prennent une coupe de champagne, puis embarquent à Port Joinville avec l’estafette, à 4 h 45. Une fois sur le continent, trois membres du commando prennent place dans la voiture et deux autres dont Michel Dumas, embarquent dans l’estafette.
Alors qu’il pensait filer d’une traite à Douaumont, le marbrier découvre qu’une étape est prévue dans un château vendéen où le convoi attendra plusieurs heures l’arrivée d’un contact qui ne se présentera jamais.
Ces heures d’attente pour rien compliquent l’opération car le soleil se lève et la course contre la montre est lancée. Le commando reprend finalement la route en direction de Douaumont. Mais, à Paris, il fait une autre pause chez une huile parisienne qui tient à féliciter ses « héros ». Michel Dumas avoue dans son ouvrage ne pas avoir compris cette décision qui les mettait une nouvelle fois en difficulté.
Nous sommes toujours le 19 février. L’après-midi est déjà avancé. Le commando a repris la route en direction de Douaumont sans savoir que le vol a été découvert et que les autorités – jusqu’à l’Élysée – sont au courant. Ils ont quitté Paris depuis longtemps quand la voiture de tête fait signe à l’estafette de s’arrêter.
Le chef a la radio dans son véhicule et il a entendu que le vol du cercueil a été découvert. Il faut faire demi-tour. On rentre à Paris. Un immense filet se tendait et la question était de savoir si nous parviendrions à passer au travers des mailles, écrit Michel Dumas. Après plusieurs arrêts, la camionnette est conduite dans un garage à Saint-Ouen où elle est découverte par les enquêteurs, un peu après minuit.