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Il y a soixante ans, le 4 août 1962 précisément, la comédienne américaine était retrouvée morte. Marilyn Monroe, une victime de Hollywood.
Flash-back.
MARYLIN EST MORTE
Un dimanche d’août, une comédienne est morte à Hollywood. À travers le monde, la stupeur fait place à la pitié. Loin de la juger ; de la condamner, on la plaint. Et si nous nous demandons : « À qui la faute ? » c’est parce qu’aux yeux de tous, Marilyn Monroe est d’abord une victime.
Une victime.
Voilà un mot qui devrait avoir une profonde résonance dans les sensibilités chrétiennes. Car, s’il nous était permis de déchiffrer nos destinées avec le regard de Dieu, peut-être verrions-nous qu’il n’y a pas trente-six manières de vivre sa vie. Peut-être n’y a-t-il après tout que deux races d’êtres : ceux qui donnent et ceux qui prennent. Peut-être nos existences, obscures ou brillantes, se partageraient mieux sous la lumière du Calvaire : il n’y a, de par le monde, que des victimes et des bourreaux.
« Marilyn est une victime inutile, son sacrifice est absurde » diront les sages, les économes et les tièdes. Mais nous savons, nous, qu’il n’y a pas de sacrifice inutile. Nous savons que nous aimons Marilyn parce qu’elle avait tout donné à son métier, à son art, au spectacle. Vocation ambiguë entre toutes : on peut se donner en spectacle. Ou se donner au spectacle. Il y a les vedettes qui prêtent leur peau ou qui la vendent. Et celles qui la donnent. Souvent, on commence par se vendre et l’on découvre, trop tard, qu’on ne s’appartient plus. C’est le propre des enfants, des poètes et des artisans de jouer ainsi avec un feu qui ne pardonne pas. Le public ne s’y est pas trompé, qui respecte et redoute ce feu : ce feu est sacré. Le domaine de l’art et du spectacle est peut-être le dernier refuge du sacré, pour un monde qui croit avoir tué Dieu.
Marilyn, femme-enfant, victime d’un art qui dévore les corps et les âmes, vous rejoindrez dans notre mémoire et notre compassion ces autres enfants perdus que nous aimons : Lola Montes et la petite Mouchette de Bernanos. « Que Dieu vous accueille en sa douce pitié ».
– Jean Collet
À QUI LA FAUTE ? Tuée par le star-system ?
Le dernier grand mythe d’Hollywood est détruit. Marilyn Monroe est morte, au faîte de la gloire, seule dans sa somptueuse villa de Los Angeles. Un suicide qui est peut-être un accident ? Un accident qui est peut-être un suicide ? Qu’importe. Ce qui est plus grave que ce geste désespéré ou inconscient de l’actrice absorbant une trop forte dose de tranquillisant, c’est le processus qui l’a menée là. Marilyn Monroe est morte victime d’Hollywood.
Dès les débuts du cinéma muet, Hollywood avait fabriqué ces vedettes chargées d’incarner l’amour ou l’érotisme, ces symboles que les foules venaient admirer sur les écrans. Le « Star-system » est né là-bas avec le cinéma. On lance une vedette comme une marque de dentifrice ou un produit de beauté. Si le public suit, l’affaire est faite.
Marcher droit ou périr
La vedette a sa légende (Garbo la mystérieuse en reste l’archétype), elle est à la fois proche et inaccessible. Sa vie privée ne doit pas avoir de secrets pour ses admirateurs. La vedette est une marchandise. Elle a sa cote à la bourse des producteurs. Elle représente un capital dont les revenus doivent être calculés d’avance. Une fois prise dans l’engrenage, elle n’est plus libre. Le sort d’un film qui est le plus souvent une super-production repose sur elle. Elle doit marcher droit ou périr. Hollywood est cruel. Lorsque la vedette accède au mythe et que ce mythe passe, elle n’a que deux ressources : vieillir oubliée (et cela donne Gloria Swanson dans Sunset Boulevard) ou disparaître (et c’est le destin de Marilyn).
Marilyn Monroe est apparue à Hollywood au moment où les producteurs américains, après une période de misogynie forcenée, pensaient qu’il fallait créer un nouveau mythe. Les vamps d’autrefois n’étaient plus de saison ni les femmes fatales et frigides des films noirs. Marilyn Monroe n’était alors qu’une petite cover-girl ayant tenu de petits rôles dans quelques films. Brusquement, on découvrit qu’elle avait posé, nue, autrefois, pour un photographe. 50 dollars pour deux clichés que le photographe avait revendu 900 dollars à deux compagnies de calendriers.
Ces photos de calendriers sont à l’origine du fabuleux contrat que la « Fox » offrit à la starlette. Six millions de Marilyn nue étaient accrochés aux murs des usines ou des bureaux. L’ère de la pin-up girl semblait revenir. Le public avait déjà adopté un symbole sexuel que le cinéma n’avait plus qu’à perfectionner. Mais n’oublions pas ces mots terribles de Marilyn expliquant pourquoi elle avait consenti à poser : « J’avais besoin d’argent… » L’aliénation était commencée.
Pour Hollywood, un corps et rien d’autre
« Quelle responsabilité d’être un symbole sexuel » dira-t-elle plus tard, comprenant, parce qu’elle était intelligente, ce qu’on avait fait d’elle. Pour Hollywood, Marilyn était un corps et rien d’autre. On lui fabriqua des personnages de bonne fille un peu bête portant des pullovers collants, des jupes étroites. Son fameux déhanchement fut exploité jusqu’à la limite de l’indécence par les caméras. Sa bouche, sa poitrine furent mises en valeur. Une seule fois, elle devait jouer un rôle de vamp classique, dans Niagara (1952) et le technicolor vint augmenter ses attraits. L’argent tombait dans les caisses des producteurs. Marilyn était riche, célèbre, désirée. On lui avait fabriqué sa légende. Sa vie se racontait comme un roman-feuilleton : une mère folle, une enfance malheureuse et souillée par le désir d’un homme, des complexes résultant de ce traumatisme, un premier mariage conclu hâtivement et bientôt rompu, un second un peu tapageur lorsqu’elle devint vedette, parce qu’une vedette, à Hollywood, doit avoir une vie privée tapageuse ; elle fut ouvrière d’usine, figurante, etc.
Tout au long de sa carrière, la légende la suivra. Qu’on se souvienne du tournage du Milliardaire et des échos des journaux spécialisés. Il fallait qu’elle restât fidèle à une certaine idée que le public avait d’elle. Pendant cinq ans, elle avait été la femme-objet idéale du cinéma américain.
Quelque chose a craqué
Et, un jour, elle avait « trahi » sa vocation forcée. Elle était partie pour New York, elle avait prouvé qu’elle pouvait être une vraie comédienne, elle avait épousé Arthur Miller. Hollywood n’avait que faire d’une Marilyn « intellectuelle ». Ses trois derniers films qui n’obéissaient plus à la formule consacrée, avaient été des demi-réussites. Avertissement aux financiers.
On comptait beaucoup sur le film qu’elle avait entrepris avec George Cukor, Quelque chose doit craquer, pour relancer la Marilyn cocasse et quelque peu grivoise d’autrefois. Quelque chose a craqué, en effet.
Cette actrice qui s’était épuisée à lutter pour reconquérir sa dignité de femme, pour qu’on reconnût enfin qu’il y avait une âme dans ce corps proposé en pâture aux foules, est morte aujourd’hui. Mais la légende continue. Marilyn Monroe, à peine connu le triste événement, est devenue la pauvre fille qu’on plaint, parce qu’elle n’a pas été heureuse dans sa vie privée. L’argent ni la gloire ne font le bonheur. À Hollywood, on s’en lave les mains. Si le public pleure sur Marilyn, il ne songera pas à juger les vrais coupables. Détail atroce et encore symbolique : il ne se trouvait personne après la mort de Marilyn Monroe pour venir réclamer son corps. Ce
corps qui ne servait plus à rien, désormais.
– Jacques Siclier
LA CARRIÈRE D’UNE COMÉDIENNE
La mort brutale de Marylin Monroe, qui nous a tous placés dans un état de consternation incrédule, a déjà provoqué des torrents de commentaires. Comme beaucoup de stars consacrées, elle est entrée à Hollywood par la petite porte, tournant ça et là des petits rôles dans des films sans importance où seule comptait sa plastique. Ses premiers rôles l’assimilaient simplement à une femme-objet excitante, offerte, désirable. Les chroniqueurs américains l’avaient d’ailleurs surnommée, non sans un certain mépris « the doll » (la poupée).
Dans Eve de J.-L. Mankewicz elle personnifiait l’arrivisme ; dans Quand la ville dort de John Huston, c’était une jeune femme niaise, livrée à l’appétit d’un vieux monsieur. Marilyn Monroe n’était alors qu’une vamp sans cervelle et les spectateurs « l’appréciaient » comme telle.
Puis vint la révélation de Bus stop (Arrêt d’autobus), le film de Joshua Logan, qui dégageait enfin la personnalité de la comédienne en donnant à son personnage une dimension humaine et pathétique étonnante : en route pour Hollywood, la starlette humiliée, enlaidie par le fard, ne demandait qu’un peu d’amour et de respect. Consciemment ou inconsciemment méprisée par les hommes, elle allait accéder à la dignité. D’objet elle devient personne.
Cet aspect de la carrière cinématographique de Marilyn Monroe s’est trouvé magnifié dans le dernier film qu’elle a tourné : Les Misfits de John Huston sur un scénario d’Arthur Miller. Cette œuvre imparfaite et passionnante est un hymne lucide à la femme, une reconnaissance émue de ses qualités fondamentales. Pitoyable, égarée, mais extraordinairement vivante, Marilyn Monroe s’est révélée dans ce film la comédienne sensible et touchante qu’elle s’était consciencieusement efforcée de devenir. Au-delà d’une performance d’actrice, c’est un peu l’âme du personnage qui nous est apparue. Grâce à Arthur Miller, les spectateurs distraits ont enfin jeté sur Marilyn Monroe un regard empreint de respect, de bonté, et d’admiration.
– Gilbert Salachas
Parce que le public paye sa place au cinéma, il estime souvent qu’il a le droit de s’approprier la star qui est là, sur l’écran. La presse a tellement écrit que Marilyn recevait des millions et des millions pour être regardée que le spectateur se sent dans son droit. À quel moment le poids de tous ces regards a-t-il fait perdre à Marilyn Monroe ce respect d’elle-même sans lequel aucune vie n’est possible ?
« Nous formulons l’expression de notre profonde pitié, écrit l’Osservatore Romano à propos de la mort de Marilyn Monroe. Nous espérons – poursuit le journal – que, dans la solitude désespérée de cette pauvre femme, quelqu’un a été présent au dernier moment, quelqu’un qui pendant sa vie fut lointain et que l’espérance et la paix ont souri à la mourante.
Cette mort, poursuit l’Osservatore Romano, ne semble pas avoir inspiré une méditation sincère, ni surtout la réserve que la mort doit commander à des gens un peu civilisés, sous quelque Ciel qu’ils vivent. »
De son côté, Radio-Vatican déclare que la mort de Marilyn Monroe atteint les limites extrêmes de la tristesse : « L’homme est capable d’affronter les plus sévères et tragiques mutilations physiques – ajoute Radio-Vatican – afin de sauver sa vie. Il faudrait avoir le même courage pour sauver sa vie morale et suivre son propre chemin lorsqu’on sent qu’ailleurs on suffoque. Nous avons aussi une âme à sauver. »