Dans la rubrique Histoires d'Ouest, on peut revivre le terrible débarquement oublié de Dieppe.
Il a permis de préparer le 6 juin 1944 : le débarquement de Dieppe plus connu au Canada qu’en France
L’association Jubilée-Dieppe préserve la mémoire de l’opération des Alliés du 19 août 1942. En août prochain, on célèbrera son 80e anniversaire.
C’est un débarquement dont on ne parle guère. Il est vrai que son ampleur n’a rien à voir avec celui du 6 juin 1944. Il y a bientôt quatre-vingts ans, le 19 août 1942, 6 000 soldats alliés, essentiellement canadiens, débarquent à Dieppe (Seine-Maritime). Il s’agit de détruire des défenses allemandes. L’opération Jubilée est un échec mais les leçons qui en seront tirées seront précieuses pour organiser deux ans plus tard le 6 juin sur les plages normandes.
À Dieppe (Seine-Maritime), l’association Jubilée-Dieppe préserve le souvenir de raid du 19 août 1942. Elle a la charge d’un musée qui retrace cet épisode peu connu de la Seconde Guerre mondiale. Marcel Diologent, vice-président de l’association, rappelle combien la mémoire de ce raid des Alliés est très forte au Canada dont venaient le plus grand nombre de soldats engagés à Dieppe.
Lorsque l’on évoque la Seconde Guerre mondiale, cette opération Jubilée à Dieppe reste plutôt dans l’ombre ?
Elle est assez méconnue en France, mais au Canada, lorsque vous dites que vous venez de Dieppe… Bien sûr, ce fut une défaite pour les Alliés mais on en a tiré des leçons pour organiser et préparer le Débarquement du 6 juin 1944. Par exemple, alors qu’ils n’avaient pas été prévus pour cette opération Jubilée, des parachutages importants seront organisés pour le D-Day afin de créer une diversion au sein des défenses allemandes.
À notre musée de Dieppe, nous faisons de belles rencontres. Je me souviens, par exemple, d’une jeune femme canadienne qui était venue le visiter. Son grand-père avait trouvé la mort ici mais sa grand-mère ne voulait jamais lui en parler. Avec elle, je suis allé jusqu’au Mur des disparus où ont été inscrits les noms de toutes les victimes et je lui ai montré le nom de son grand-père. Il y a aussi ces représentants d’Amérindiens du Canada venus nous apporter des plumes d’aigle qui étaient portées depuis cinq générations. Les familles des soldats canadiens viennent ici car pour elles, c’est un lieu de pèlerinage. Lorsque nous regardons notre livre d’or, nous nous rendons compte que nous recevons au musée des visiteurs d’une bonne trentaine de pays différents.
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Quelles explications ont pu être avancées au fil du temps pour expliquer l’organisation d’une telle opération militaire au résultat de toute façon très incertain ?
Jubilée fut une opération militaire importante, mais, franchement, elle ne pouvait pas aboutir. Elle ne devait durer que quelques heures. On a pu évoquer les pressions de Staline pour pousser les Alliés à ouvrir un second front à l’Ouest et soulager ainsi l’armée russe qui se battait contre Hitler. Mais les industries d’armement américaines n’étaient pas encore prêtes pour soutenir un vaste débarquement. Récemment, on a aussi parlé d’une tentative des Alliés pour récupérer une machine Enigma (utilisée par les Allemands pour chiffrer leurs messages).
Comment faites-vous pour entretenir cette mémoire de l’opération Jubilée ?
Nous nous efforçons de mener un travail avec les scolaires. Et puis, notre musée l’occasion est pour les gens de découvrir cette page de la Seconde Guerre mondiale qui apparaît peu dans les livres d’Histoire. Il y aura aussi cette année le 80e anniversaire avec de nombreuses manifestations.
C’est un vieux soldat dont l’uniforme est constellé de décorations. Il a reçu la Légion d’honneur, bien sûr. Il a aussi été fait citoyen d’honneur de Dieppe. C’est dans la ville portuaire de Seine-Maritime que le Canadien Jacques Nadeau débarqua le 19 août 1942, un peu moins de deux ans avant le 6 juin 1944 dont on va célébrer dans deux jours le 78e anniversaire.
Lorsque Jacques Nadeau décède au début de l’année 2017, il a 95 ans. C’est l’un des derniers témoins de ce débarquement de Dieppe, en réalité plus un raid, l’opération Jubilée, organisé par les Alliés. Il est encore bien trop tôt pour envisager un gigantesque débarquement et reprendre pied sur le continent européen. Ce sera dans un peu moins de deux ans.
En attendant, ce raid de Dieppe déploie des moyens impressionnants avec 6 000 soldats, dont 5 000 Canadiens, 250 navires et plus de huit cents avions. Il s’agit pour les Alliés de détruire les solides défenses allemandes construites tout au long de la mer, d’infliger le plus de pertes à l’ennemi et de s’en retourner par bateau. C’est une sorte de petit débarquement avant l’heure, limité dans le temps, qui doit permettre d’évaluer tout le dispositif allemand construit sur les côtes face à la Grande-Bretagne.
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Un désastre humain et matériel
Seulement, l’opération Jubilée tourne au fiasco pour plein de raisons. L’effet de surprise ne joue pas, le matériel déployé n’est pas vraiment adapté avec des chars qui n’avancent pas sur les plages de galets, tandis que la coordination chez les Alliés entre les forces terrestres, aériennes et maritimes connaît des ratés. Rien ne marche comme prévu et l’opération Jubilée se solde pour les Alliés par un désastre : 1 197 tués, près de 2000 prisonniers, 34 navires et 106 avions perdus. Les chars après avoir parcouru la plage en tous sens sous un feu meurtrier sont restés sur place
, décrit quelques jours plus l’Ouest-Eclair (l’ancêtre d’Ouest-France).
Fait prisonnier le 19 août 1942, Jacques Nadeau passa le reste de la guerre dans un camp de prisonniers en Pologne. « Toute sa vie, il a témoigné de l’opération Jubilée. Il est venu à vingt-cinq reprises à Dieppe évoquer la mémoire des 1 200 hommes tombés lors de ce raid sanglant », souligne Ouest-France dans son édition du 3 février 2017 en annonçant le décès du vieux soldat.
Ce raid de Dieppe n’a sans doute pas la place qu’il mérite dans les livres d’Histoire. Il reste encore peu connu au-delà de la Seine-Maritime alors qu’il a contribué à la préparation du Débarquement du 6 juin 1944. Au-delà de l’échec militaire, les enseignements tirés de l’opération Jubilée sont nombreux et guideront les états-majors alliés qui songent déjà, avec une opération militaire gigantesque, à reconquérir l’Europe.
« Un anniversaire oublié : Dieppe »
Après Dieppe, ils savent qu’il faudra débarquer sur des plages de sable et, avant cela, pilonner depuis la mer et le ciel les défenses allemandes. Ils prennent conscience d’améliorer les communications entre toutes les forces engagées, sur terre, sur mer et dans les airs. Du matériel beaucoup plus adapté sera aussi indispensable. Ils constatent encore qu’il est trop difficile de prendre d’assaut un port. Un peu moins de deux ans plus tard, ce sera le 6 juin 1944 qui s’appuiera notamment sur la construction du port artificiel d’Arromanches (Manche) pour apporter aux troupes débarquées tout le matériel nécessaire à une armée en campagne.
Les leçons du raid de Dieppe auront été bien utiles. Mais il reste cet oubli. Un anniversaire oublié : Dieppe
, déplore ainsi Ouest-France dans son édition du 18 août 1956 en racontant l’histoire de l’opération Jubilée : Sur la plage du Puys, les barges d’assaut furent prises sous un violent feu d’artillerie et d’armes automatiques. L’effet de surprise ayant raté, il s’ensuivit une véritable boucherie, l’une des plus meurtrières peut-être de toute la guerre.
Pourtant, à Dieppe, le souvenir a été entretenu. Quelques années plus tôt, en 1949, le journal évoque la commémoration du raid : La nuit dernière, trente-deux soldats survivants du raid et les anciens combattants prisonniers de guerre ont monté une garde d’honneur au cimetière des Vertus où reposent mille héros alliés.
Quant à la propagande allemande, elle utilisera bien sûr l’échec de l’opération Jubilée. Pour elle, c’était bien la preuve qu’un débarquement venant de la mer serait voué à l’échec à cause des troupes massées sur le littoral et des fortifications construites face à la mer. Même avec un déploiement de forces importantes, il est désormais prouvé qu’il est absolument vain de vouloir débarquer sur les côtes européennes de l’Occident, telles que les Allemands les ont aménagées et telles qu’ils les occupent stratégiquement
, affirme-t-elle. Sauf que moins de deux ans plus tard, ce sera le D-Day et le début de la libération de la France et de l’Europe.