dimanche 28 août 2022

VERY GOOD BOWIE TRIP



Heroes reste sans doute la chanson la plus illustre signée et interprétée par David Bowie, sans doute le pinacle artistique d’une carrière qui s’est étendue sur un demi-siècle jusqu’à sa mort, il y a six ans déjà, en 2016. Oui, aujourd’hui, tout le monde ou presque connaît cette chanson, Heroes, par cœur.

Mais en 1977, il y a quarante-cinq ans, en France, ce n’était pas du tout le cas. En général, on n’entendait guère David Bowie à la radio. Et cette chanson, dans mon souvenir, pas du tout. David Bowie, alors âgé de trente ans, était une figure de ce que, dans la presse spécialisée, on appelait l’art rock, le rock à visée artistique, autre façon de désigner le rock avant-gardiste. Et dans ce domaine, celui qui avait co-écrit et chanté avec lui cette chanson, Heroes le musicien anglais Brian Eno, était une figure plus prestigieuse, et sans doute plus respectée, que celle de Bowie.

Que savait-on alors de David Bowie en France ? Le grand public, pas grand-chose. Bowie n’avait pas eu un seul tube chez nous. En ces temps reculés, une certaine critique rock donnait le ton. Certains de ses représentants les plus éminents, pas tous, étaient circonspects à son égard. Ils voyaient en lui ce qu’on appelait un faiseur. Un mot péjoratif, aujourd’hui tombé en désuétude. Un faiseur, quelqu’un de prêt à tout pour faire parler de lui, capable de recourir à toutes les astuces possibles et imaginables pour attirer sur lui les projecteurs. Un illusionniste au mauvais sens du terme. Quelqu’un qui fait, en somme, semblant d’être un artiste, et pour lequel la publicité est une fin en soi. Vaste controverse, qui traverse encore notre époque.

Sans doute faut-il rappeler que, vers le milieu des années soixante-dix, dans le rock au sens large, les phares du genre se prenaient très au sérieux et revendiquaient l’authenticité. Chez John Lennon, Pink Floyd, les Who, Cat Stevens ou encore Bob Marley, ça ne rigolait pas du tout. Beaucoup estimaient que le rôle de la musique était de transmettre un message social et politique. Voire de se fixer des objectifs révolutionnaires. Ou encore d’être le reflet d’une déchirante quête existentielle. Bon, il faut admettre que cette approche a été sérieusement minée dès le début des années soixante-dix. Parce que cette décennie que l’on présente rétrospectivement, aujourd’hui, comme l’âge d’or du rock dit classique ne fut pas que cela. Ce fut aussi l’âge des paillettes, de la futilité fière de l’être et de la dérision. Ce qu’on a pu appeler le glam rock.



Programmation musicale :

  • David Bowie : « Heroes - Single Version; 2014 Remaster » extrait de la compilation « Legacy (The Very Best of David Bowie, Deluxe) »

  • Davie Jones with the King Bees : « Liza Jane » extrait de la compilation David Bowie « Nothing Has Changed (The Best of David Bowie - Deluxe Edition) »

Davy Jones and the Lower Third :

  • Davy Jones and the Lower Third :  « You’ve Got a Habit of Leaving - 2014 Remaster » extrait de la compilation David Bowie « Nothing Has Changed (The Best of David Bowie - Deluxe Edition) »

  • « Can’t Help Thinking About Me » extrait de la compilation David Bowie « Nothing Has Changed (The Best of David Bowie - Deluxe Edition) »

David Bowie :

  • « The London Boys » extrait de la compilation « The Deram Anthology 1966-1968 »

  • « Silly Boy Blue » extrait de la compilation « The Deram Anthology 1966-1968 »

  • « Come and Buy My Toys » extrait de l’album « David Bowie »

  • « She’s Got Medals » extrait de la compilation « The Deram Anthology 1966-1968 »

  • « Love You Till Tuesday » extrait de la compilation « The Deram Anthology 1966-1968 »

  • « Space Oddity » extrait de l’album « David Bowie (aka Space Oddity) - 2015 Remaster »


En 1972, au sein de cette culture hippie dont David Bowie est imprégné, beaucoup considèrent le rock’n’roll des origines, celui d’Elvis, d’Eddie Cochran et de Little Richard, comme un plaisir infantile, régressif comme on dit. Certains s’en amusent, d’autres s’en moquent, d’autres encore y voient une relique attendrissante.

Le rock’n’roll, c’est de l’histoire, c’est passé. Beaucoup célèbrent alors le rock au sens large, une musique en pleine évolution, aux ambitions illimitées. 1972, c’est l’année de la parution de l’album de Pink Floyd, The Dark Side of the Moon. 



Mais il y en a qui décrochent et qui commencent à bâiller. Surtout parmi les plus jeunes.

Le premier à comprendre que les temps changent, dès 1971, c’est le grand ami de David Bowie, Marc Bolan avec son groupe T. Rex. Ses petites comptines de rock’n’roll-boogie, comme « Hot Love » ou le célèbre « Get It On » électrisent un très jeune public. Bolan a une certaine audace. ll retourne en arrière, il efface toute l’évolution des Beatles et revient au rock’n’roll des origines. Mais c’est une régression paradoxale, qui voit loin. Une régression prophétique. Bolan apporte autre chose. Il se maquille légèrement, il enfile sur scène des vestes pailletées et porte des chaussures à talons, évoquent quelque peu celles des aristocrates de la cour de Louis XIV, rehaussant ainsi sa petite taille, comme le fera Prince une dizaine d’années plus tard. Le visage, le corps même de Marc Bolan ont une apparence androgyne.

En ce tout début des années soixante-dix, ce qu’on appelle alors l’ambiguïté sexuelle est dans l’air du temps. Le rock s’en imprègne et les musiciens l’assument, à des degrés divers. L’année 1972 marque également l’apparition du groupe Roxy Music, dont le chanteur, Bryan Ferry met du fard à paupières et du brillant à lèvres. Lui et ses musiciens, surtout le très sérieux Brian Eno, le plus féminin de la bande, apparaissent sur scène avec des vestes en lamé ou à imprimé léopard, chaussés de talons pailletés, entre travestissement et opérette futuriste.

Ce mélange d’ambiguïté sexuelle et d’exagération kitsch était déjà présent, en germe, chez un des pionniers du rock’n’roll, Little Richard, un des modèles des Beatles et des Stones. Et de Bowie aussi. Maquillé, toujours coiffé d’une sorte de permanente, doté d’une voix suraiguë, Little Richard revendiquera d’ailleurs carrément le titre de, entre guillemets, "reine du rock’n’roll".

Alors, oui, en 1971, le rock’n’roll revient mais il présente un autre visage, très proche de l’auto-parodie. Ceux qui s’engagent dans la voie de ce rock’n’roll volontairement outrancier revendiquent une forme d’indétermination sexuelle, voire de bisexualité, qu’elle soit réelle ou fantasmée. Et aussi un amour de l’exagération, du kitsch de music-hall, embrassant une certaine forme de grotesque. Ce qu’on appellera le glam-rock, une esthétique d’où sortira, quelques années plus tard, le mouvement punk.

Programmation musicale :

David Bowie : « Suffragette City » extrait de l’album « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars - Remaster 2012 »

Mott the Hoople : « All the Young Dudes » extrait de l’album « All the Young Dudes »

David Bowie :

  • « Moonage Daydream » extrait de l’album « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars - Remaster 2012 »

  • « Five Years » extrait de l’album « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars - Remaster 2012 »

  • « Starman » extrait de l’album « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars - Remaster 2012 »

  • « Hang On to Yourself » extrait de l’album « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars - Remaster 2012 »

  • « John, I’m Only Dancing - Original Single Version, 2012 Remaster » extrait de la compilation « ChangesOneBowie »

  • « Ziggy Stardust » extrait de l’album « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars - Remaster 2012 »

  • « Rock’n’Roll Suicide » extrait de l’album « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars - Remaster 2012 »

  • « The Jean Genie » extrait de l’album « Aladdin Sane - 2013 Remaster »

  • « Drive-In Saturday » extrait de l’album « Aladdin Sane - 2013 Remaster »

  • « Aladdin Sane » extrait de l’album « Aladdin Sane - 2013 Remaster »


David Bowie dans « The Jean Genie », un de ses grands succès, britanniques et américains, de la fin de l’année 1972. Un blues boogie à l’insolente âpreté, où l’on respire une odeur urbaine de brûlé, comme industrielle.

David Bowie vient de sillonner pour la première fois de sa vie les États-Unis, lors de sa toute première tournée américaine, où il a mis en scène le personnage de Ziggy Stardust, le rocker androgyne, désaxé et dépravé.

Des impressions contradictoires l’ont traversé. Lui, l’anglais de condition modeste, bien élevé, sans grande instruction mais curieux de tout, débarque dans ce vaste pays, les États-Unis. Un pays vis-à-vis duquel les Européens, et particulièrement les ressortissants de l’ancienne puissance coloniale britannique, manifestent volontiers une attitude ambivalente. Un mélange de fascination et de dégoût.

Dans ces grandes villes, Bowie se retrouve projeté au cœur d’une société en pleine décadence, où tout s’écroule, où les instincts les plus bas et vils ne connaissent plus aucun frein. Et c’est justement ce qui le fascine. C’est sur ce territoire, particulièrement à New York et à Detroit, que les auteurs et musiciens qu’il vénère, Lou Reed et Iggy Pop, sont nés et ont prospéré.

C’est à New York qu’Andy Warhol a créé sa Factory, asile et atelier à ciel ouvert, où il attire et sublime toute une marginalité rejetée de partout. David Bowie a été le premier à transplanter ces fleurs vénéneuses et les cultiver loin de leur terre d’origine, en Europe. À leur offrir un écho international.

Sans Bowie et son manager, Tony DeFries, Lou Reed serait peut-être resté enterré comme comptable dans l’entreprise de son père, à Brooklyn. C’est grâce à Bowie que Lou Reed a pu enregistrer en 1972, à Londres, l’album Transformer, qui inclut la célèbre chanson « Walk on the Wild Side », le premier et sans doute le plus grand succès de sa carrière.



Quant à Iggy Pop, sans David Bowie, il aurait sans doute longtemps erré de squat en hôpital psychiatrique, demeurant, au mieux, l’objet d’un culte underground. L’amitié profonde qui a lié durablement David Bowie à Iggy Pop produira des fruits artistiques exceptionnels, c’est une autre histoire que je vous raconterai dans un épisode prochain.

Programmation musicale :

David Bowie :

  • « The Jean Genie » extrait de l’album « Aladdin Sane - 2013 Remaster »

  • « Sorrow » extrait de l’album « Pinups (2015 Remaster) »

  • « We Are the Dead » extrait de l’album « Diamond Dogs (2016 Remaster) »

  • « 1984 » extrait de l’album « Diamond Dogs (2016 Remaster) »

  • « Fame » extrait de l’album « Young Americans (2016 Remaster) »

  • « Golden Years » extrait de l’album « Station to Station - 2016 Remaster »

  • « Stay » extrait de l’album « Station to Station - 2016 Remaster »

  • « Wild Is the Wind » extrait de l’album « Station to Station - 2016 Remaster »


L’homme sans masque. L’homme sans émotion apparente, au visage inexpressif et qui, pourtant, de toute sa vie artistique, n’a jamais atteint la même puissance et la même profondeur.

Que se passe-t-il au début de l’année 1977 ? 

Eh bien le vent de la révolution punk est en train de se lever. Mais le punk rock, en tant que tel, n’intéresse pas du tout Bowie. Il n’y perçoit que la musique de sa jeunesse, en accéléré et en plus bruyant, ni plus ni moins. En revanche, il se sent parfaitement en phase avec le dégoût et le nihilisme. Au sein d’une minorité de jeunes Européens, les plus lucides, sans doute, court alors le sentiment qu’on est parvenu sinon à la fin de l’histoire, du moins à celle d’une histoire. Cette violente intuition, Bowie l’a, à sa façon, anticipée.

"Je ne peux pas m’empêcher", déclare alors Bowie, à un journaliste anglais de l’hebdomadaire Melody Maker, "de penser que tout est pratiquement fini". Cinq ans plus tôt, grâce à son personnage de Ziggy Stardust, il a annoncé une forme de chute, de décadence de nos sociétés occidentales. Ziggy se présentait comme un ange déchu, tombé sur Terre pour y prôner une espèce de dépravation généralisée, l’abandon aux instincts les plus vils, la fin d’un certain monde qui se voulait et se croyait encore naïvement digne et ordonné. Et contrairement aux hippies, Bowie a depuis longtemps perdu toute foi dans les utopies régénératrices. Il ne croit pas, loin de là, à l’avènement d’un nouvel âge de l’humanité, heureux et bienveillant. Il prédit plutôt, au contraire, un avenir déshumanisé.




Entraîné par son propre jeu, Bowie s’est laissé vampiriser par le personnage de Ziggy. Afin d’y échapper, David Bowie a cherché à se mettre en scène sous une autre apparence plus sobre, celle d’un personnage rétro, sorti d’un film muet des années 1920. Il apparaît alors dans des spectacles éclairés par des lumières blafardes, fruit de sa fascination pour le cinéma expressionniste allemand. Il devient le personnage du Thin White Duke, le duc pâle et frêle qui chante des mélodies soul avec un détachement aristocratique, exagérant à outrance une sorte de lyrisme théâtral.

Il revendique, je le cite, " la distanciation du théâtre brechtien ". Pour dire les choses simplement, il adopte une façon de chanter, de jouer et d’incarner quelque chose tout en montrant qu’il n’y croit pas, qu’il n’est pas dupe. Il appelle lui-même ce style de, je cite, " la soul en plastique ". Il est alors accompagné par un groupe multi-racial, trois Blancs et trois Noirs.

Je cite une interview donnée par David Bowie en 1976 à l’hebdomadaire de musique britannique Melody Maker, je cite : « Je n’ai jamais été un chanteur de rock’n’roll mais j’ai une certaine aptitude à fabriquer un personnage qui incarne un sentiment froid, sans émotion. Un personnage qui, je cite toujours, est sans doute une amplification de toutes les choses que je ressens vis-à-vis de moi-même. »

Comme l’a dit le pianiste anglais Roy Young, qui a participé à l’enregistrement de l’album Low, je le cite, « Bowie avait rêvé d’être célèbre, d’être le gars qu’on poursuit dans la rue, que tout le monde veut toucher et qui fait hurler les filles. Mais quand ça lui est arrivé, ça l’a dégoûté ».

Aux États-Unis, à New York puis à Los Angeles, Bowie est allé au bout de son rêve d’être une rock star internationale. Et la désillusion est grande.

Programmation musicale :

David Bowie : « Speed of Life » extrait de l’album « Low »

Iggy Pop : « Nightclubbing » extrait de l’album « The Idiot »

David Bowie :

  • « Sound and Vision » extrait de l’album « Low »

  • « Always Crashing in the Same Car » extrait de l’album « Low »

Iggy Pop : « Tonight » extrait de l’album « Lust for Life »

David Bowie :

  • « What in the World » extrait de l’album « Low »

  • « Sons of the Silent Age » extrait de l’album « Heroes »

  • « Warszawa » extrait de l’album « Low »

  • « The Secret Life of Arabia » extrait de l’album « Heroes »

  • « Heroes » extrait de l’album « Heroes »


David Bowie en pleine période après-punk dans cette chanson diffusée en 45 tours, en single, au printemps 1979, « Boys Keep Swinging ». Une chanson qui a été un tube à peu près partout en Europe, sauf en France, toujours rétive, voire méfiante envers le personnage insaisissable de David Bowie. Lequel fascine beaucoup mais reste encore, chez nous, en marge d’un succès grand public.

La chanson est extraite de l’album « Lodger », le troisième de ce qu’on a pu appeler, la trilogie berlinoise de Bowie, soit ses trois albums publiés entre 1977 et 1979, Low, Heroes et Lodger, donc. Une dénomination commode mais inexacte. Bien sûr, la musique de Bowie est alors fortement imprégnée par les découvertes et impressions qu’il a pu recueillir au cours de son séjour à Berlin Ouest. Mais enfin seul l’album « Heroes » a été effectivement réalisé au légendaire studio Hansa. Un studio en partie délabré, situé dans le quartier de Kreuzberg, qui bordait le mur. Quant à l’album Lodger, qui paraît au printemps 1979, Bowie et ses musiciens l’ont enregistré à l’été précédent en pleine canicule à Montreux au bord du lac de Genève, dans un studio aux pièces minuscules, non loin du manoir bâti sur les hauteurs de Lausanne où réside alors Bowie. Et c’est au très réputé studio Record Plant de New York, où Neil Young, Bruce Springsteen ou encore Patti Smith ont enregistré que Bowie et et ses collaborateurs terminent le travail.

Parmi eux, l’Anglais Brian Eno, je vous en ai déjà parlé, joue un rôle de premier plan. Sa présence dans Lodger est encore plus marquée que dans les deux albums précédents, Low et Heroes. Il faut rappeler que Brian Eno occupe alors une place unique. Historiquement, au sein d’un groupe de rock, il a été le premier à injecter en direct, sur une scène, des sons générés par une machinerie électronique, encore primitive. C’était en 1972, au sein du groupe Roxy Music. Les albums solo que Brian Eno a publiés ensuite, dans lesquels il chante ses propres chansons, se situent à un captivant point de rencontre entre une espèce de naïveté enfantine, ou primitive, et les expérimentations sonores de l’avant-garde.

C’est justement ce qui passionne Bowie, Il faut rappeler le contexte. La hantise de Bowie, c’est alors qu’on le prenne pour un ringard. Qu’on le mette dans le même sac que les musiciens de sa génération, les Led Zeppelin, Rolling Stones ou autres Pink Floyd.

On l’a oublié, voire minimisé depuis. Mais il y a plus de quarante ans, les punks ont descendu en flammes ceux qu’ils appellent des dinosaures et les musiciens de l’après punk les snobent. Beaucoup croient sérieusement que le temps de ces dinosaures ne reviendra plus. Alors David Bowie sent que, grâce à Brian Eno, il va pouvoir rester dans la course, continuer à créer la surprise

Programmation musicale :

David Bowie :

  • « Boys Keep Swinging » extrait de l’album « Lodger » (2017 Remaster)

  • « Look Back in Anger » extrait de l’album « Lodger » (2017 Remaster)

  • « Scary Monsters (and Super Creeps) » extrait de l’album « Scary Monsters (and Super Creeps) » (2017 Remaster)

  • « Fashion » extrait de l’album « Scary Monsters (and Super Creeps) » (2017 Remaster)

  • « Yassassin - Turkish for : Long Live » extrait de l’album album « Lodger » (2017 Remaster)

  • « Ashes to Ashes » extrait de l’album « Scary Monsters (and Super Creeps) » (2017 Remaster)

Queen : « Under Pressure » (featuring David Bowie) extrait de l’album « Hot Space »

David Bowie :

  • « Cat People (Putting Out Fire) » extrait de l’album « A New Career in a New Town (1977-1982) »

  • « The Drowned Girl (Vom Ertrunkenen Mädchen) » (2017 Remaster) extrait de l’album « A New Career in a New Town (1977-1982) »

  • « China Girl » extrait de l’album « Let’s Dance » (2018 Remaster)






Bon, bien sûr, tout le monde, ou presque, a reconnu la chanson la plus célèbre de David Bowie, le tube auquel il était impossible d’échapper à l’été 1983. Eh oui, « Let’s Dance », présent partout, à la radio, dans les discothèques, sur les plages.

Vous l’avez peut-être relevé, la version qu’on vient d’entendre n’est pas tout à fait la même que l’originale. Il s’agit en fait d’une orchestration récente, de cordes, adroitement greffée sur l’enregistrement initial. Un anachronisme, oui, mais pas un sacrilège.

Puisque cette réorchestration est l’œuvre de celui-là même qui, il y a près de quarante ans, avait contribué à créer, en studio, cette chanson illustre. J’ai nommé le réalisateur artistique new-yorkais Nile Rodgers. Même si vous ne le connaissez pas, en fait, si, forcément, vous le connaissez : Nile Rodgers a fait danser la terre entière grâce à des tubes, anciens, comme « Le Freak, c’est Chic », signé par son groupe Chic. Et puis, plus récemment, comme invité de marque, il a contribué au célèbre « Get Lucky » de Daft Punk.

David Bowie a dit de lui un jour : Nile Rodgers est le seul homme qui m’a persuadé de commencer une chanson directement par le refrain. Une formule qui résume tout le paradoxe de ce tube signé par David Bowie en 1983.

Ceux qui avaient été les tout premiers à capter le génie de David Bowie, comme le grand critique anglais Nick Kent, ont clamé leur consternation : « Mets tes chaussures roses et danse le blues », difficile, selon lui, de faire plus inepte. À lui comme d’ d’autres, « Let’s Dance » a paru totalement creux. Mais enfin ce n’est pas un avis qui a pesé bien lourd, une faible clameur isolée au milieu d’un concert de louanges. En revanche, les plus jeunes qui ne connaissaient rien à Bowie ont été transportés par cette chanson qui donnait envie de danser et d’être heureux, d’une façon peut-être nouvelle. Bowie apportait un souffle de grandeur, de majesté, même, qui avait de quoi les rendre fiers d’être jeunes.

La voix ample de Bowie, chantant à pleins poumons, en tout cas au début de la mélodie, avait de quoi vous exalter, vous faire sentir plus grand que vous ne l’étiez vraiment. Le clip de « Let’s Dance », tourné par le réalisateur anglais David Mallet, a aussi beaucoup marqué. Tout était encore magique en ce temps-là, on n’était pas blasé. Les images des musiciens étaient rares et elles fascinaient.




Quand on regarde, trente-neuf ans après, cette vidéo, il est toujours aussi difficile de savoir où l’on se trouve exactement. On parcourt de splendides paysages de montagnes et de forêts, à perte de vue. On pourrait se trouver en Afrique, en Amérique latine voire à Cuba. Sur les chemins marchent des gamines, des gamins du tiers-monde, à la peau cuivrée, maigres, pieds nus. On les retrouve ensuite dans les rues d’une grande ville moderne, exécutant des travaux de peine, au milieu d’une population blanche, bien habillée, vaquant à ses occupations en les ignorant. On suit deux d’entre eux, un garçon et une fille, à l’intérieur d’un bar perdu, un peu lépreux, dansant timidement. Dans un coin, appuyé contre un mur, David Bowie chante, une guitare électrique en bandoulière, flanqué d’un contrebassiste. Il a les cheveux peroxydés, porte une chemise claire et un large pantalon à pinces à la mode de ces années-là. Les clients assis au comptoir regardent les deux jeunes de travers, l’air de se demander ce qu’ils font là. Alors où sommes-nous ?

Eh bien en Australie. Dans un coin perdu de la Nouvelles-Galles du Sud, non loin du parc naturel de Warrumbungle. Ça se trouve à six heures de route au nord-est de Sydney, dans les terres. Il faut rappeler qu’alors David Bowie réside à Sydney une partie de l’année. Il a pu se rendre compte qu’en Australie il existe toute une population, les Aborigènes, qui sont en butte à une sorte de ségrégation ou d’apartheid. Ce qui l’a scandalisé. D’où son intention, je cite ses propos exacts, de " montrer une population moderne à laquelle on interdit de participer au monde moderne ".

Alors, tout le monde connaît « Let’s Dance », tout le monde a le sourire et monte le son du transistor quand démarrent ces vocalises, tout le monde connaît David Bowie comme on connaît Michael Jackson. Reste une question centrale. Comment David Bowie est-il parvenu à un tel succès universel ? Par quel tour de magie cet artiste qui a mis en scène la décadence, le mal-être et la froideur, qui a incarné, dans la sphère du rock, le sommet de la théâtralité, a-t-il fini par se confondre avec ce personnage de « Let’s Dance », naturel et décontracté, à la souriante élégance, universellement apprécié ? C’est assez mystérieux à première vue.






Programmation musicale :

David Bowie :

« Let’s Dance - Nile Rodgers’ String Version » single

« Loving the Alien - Single Version, 2002 Remaster » extrait de l’album « Best of Bowie »

« Blue Jean » extrait de l’album « Tonight » (2018 Remaster)

David Bowie, Pat Metheny Group : « This Is Not America - 2002 Remaster » extrait de l’album « Best of Bowie »

David Bowie • Trevor Jones : « As the World Falls Down » extrait de l’album « Labyrinth (From the Original Soundtrack of the Jim Henson Film) »

David Bowie : « Absolute Beginners - 2002 Remaster » single

Tin Machine : « Baby Universal » extrait de l’album « Tin Machine II »

David Bowie :

« Nite Flights - 2003 Remaster » extrait de l’album « Black Tie White Noise »

« Strangers When We Meet - Edit » extrait de l’album « Nothing Has Changed (The Best of David Bowie) »


Grâce à ses chansons des années quatre-vingt, les plus connues, "Let’s Dance", "Modern Love", Bowie s’était glissé dans la peau d’un chanteur populaire. Et presque banal. Un crooner chic et bronzé, cool et funky, tiré à quatre épingles, à l’universelle notoriété, aimé de tous. Beaucoup se seraient reposés sur de tels lauriers. Mais pas lui.

Comme Bowie allait le déclarer plus tard : "Comment fait Mick Jagger, à son âge, pour chanter Brown Sugar soir après soir ? Moi, dit-il, ça m’ennuierait à mourir".

Je vous l’ai raconté lors de l’épisode précédent. Pour ressusciter, artistiquement parlant, Bowie a choisi de descendre de son piédestal et même de briser sa statue. Il s’est pour ainsi dire miniaturisé, devenant le simple chanteur d’un bruyant groupe de rock baptisé Tin Machine. Un groupe qui, en 1989 puis en 1991, s’est produit dans de petites salles, faisant crépiter des sons grunge et industriels. Bowie a ensuite enregistré à New York un album de chansons au son à la fois moderne et jazzy. Un enregistrement qui l’a, d’une certaine façon, remis en selle.

Sa vie va alors prendre un tournant. Bowie, à quarante et quelques années, a rencontré la femme de sa vie, Iman. Un mannequin d’origine somalienne, de huit ans plus jeune que lui, déjà célèbre. Elle a notamment défilé pour Yves Saint-Laurent. Iman est issue d’une certaine élite, son père est ambassadeur et sa mère gynécologue. L’allure aristocratique et le charisme de cette femme ont subjugué Bowie, qui ne tarde pas à la demander en mariage. Aux noces, célébrées à Rome, en 1992, Bowie a invité son vieil ami londonien Brian Eno. Celui qui fut naguère le compagnon et l’artisan de ses aventures artistiques les plus expérimentales, à Berlin et ailleurs.




L’idée d’une nouvelle collaboration s’amorce ainsi entre les deux hommes. Ils vont tracer ensemble de nouvelles pistes, dont la première est un détour. Par les arts visuels. Eno fait participer Bowie à un projet destiné aux habitants de la ville de Sarajevo alors assiégée par l’armée serbe : quarante musiciens créent chacun une œuvre pour témoigner de leur solidarité. Bowie offre des dessins de Minotaure, une créature mythologique qui l’obsède. Mais est-ce un détour ?

David Bowie l’a dit et répété, sa grande ambition, jeune homme, était de devenir peintre. Il a même prétendu un jour que, s’il avait choisi de devenir chanteur, c’est tout simplement parce que ça rapportait bien plus. Son intérêt pour l’art n’a jamais faibli et, tout au long de sa vie, il ne cessera de dessiner et de peindre.

Programmation musicale :

David Bowie :

  • « I’m Deranged » extrait de l’album « 1. Outside (The Nathan Adler Diaries) »

  • « Little Wonder » extrait de l’album « Nothing Has Changed (The Best of David Bowie) »

  • « I’m Afraid of Americans - Nine Inch Nails V1 Edit Mix » extrait de l’album « Earthling (Expanded Edition) »

  • « Thursday’s Child » extrait de l’album « ‘hours…’ »

  • « Survive » extrait de l’album « ‘hours…’ »

  • « Cactus » extrait de l’album « Heathen »

  • « Everyone Says ‘Hi’ - Edit » extrait de l’album « Nothing Has Changed (The Best of David Bowie) »

  • « New Killer Star - Radio Edit » extrait de l’album « Nothing Has Changed (The Best of David Bowie) »

  • « Days » extrait de l’album « Reality »

  • « Try Some, Buy Some » extrait de l’album « Reality »




On le sait, en juin 2004, en plein concert, sur une scène du nord de l’Allemagne, David Bowie a été foudroyé par les premiers symptômes d’un infarctus, dont les séquelles n’ont, par chance, pas été trop lourdes. Beaucoup ont cru qu’une fois remis, il reprendrait vite les concerts et les tournées. Or il n’en a rien été.

À de très rares exceptions près, David Bowie s’est délibérément effacé de la vie publique. L’homme qui avait su si admirablement se mettre en scène est devenu l’homme invisible. Et cette absence même fut un événement. Il accomplit pourtant un dernier tour de magie : la théâtralisation de son ultime effacement, de sa mort elle-même.

J’ai été frappé par la pertinence d’une intuition dont Bowie s’est ouvert il y a près de vingt ans. Il répondait à une interview où on l’interrogeait sur le choix du titre qu’il avait donné à son album de 2003, Reality.

Je cite les propos étonnamment clairvoyants de David Bowie : « J’ai l’impression que la réalité est devenue une abstraction pour un si grand nombre de gens aujourd’hui. Les choses que l’on considérait comme des vérités ont disparu. On ne peut plus s’appuyer sur rien. Le savoir est mort. Seule existe l’interprétation des faits qui nous submergent jour après jour. On dirait qu’on a abandonné le savoir en route et qu’on est comme perdus en mer. Il n’y a plus rien à quoi s’accrocher et, évidemment, les circonstances politiques actuelles nous font dériver encore davantage. »

Que dire de Bowie après son accident cardiaque de juin 2004 ? Eh bien, comment dire ? Il change de peau. Il a beau annoncer dans un premier temps qu’il va se remettre en selle et repartir en tournée avec son groupe ou bien qu’il a encore deux projets d’album, dont un d’électro sous une identité masquée, rien ne verra jamais le jour. En fait, une autre vie l’attire.

Programmation musicale :

David Bowie :

  • « The Next Day » extrait de l’album « The Next Day »

  • « The Stars (Are Out Tonight) » extrait de l’album « The Next Day »

  • « You Feel So Lonely You Could Die » extrait de l’album « The Next Day »

  • « Where Are We Now » extrait de l’album « The Next Day »

  • « Toy (Your Turn to Drive) - Unplugged and Somewhat Slightly Electric Mix » extrait de l’album « Toy »

  • « Lazarus » extrait de l’album « Blackstar »

  • « I Can’t Give Everything Away » extrait de l’album « Blackstar »

  • « Shadow Man - Unplugged and Somewhat Slightly Electric Mix »

  • « Blackstar » extrait de l’album « Blackstar »

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