ARCHIVES

L’Œkoumène se plonge dans l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale et vous propose le parcours d’une carte pas comme les autres aux conditions de réalisation extra-ordinaires…
 
Années 40, l’Europe sombre dans une nouvelle guerre où se mêlent relents des conséquences d’une crise économique, idées de revanche et aversion de l’Autre.
Après la guerre éclair, les prisonniers sont très vite envoyés en Allemagne. Comme l’exige la convention de Genève sur les prisonniers de guerre, les officiers français sont transférés dans des camps spécifiques, les Offizierslager, les Oflags. Dont notamment celui Hoyerswerda (Saxe) au nord-est du pays.
 
Près de 6500 prisonniers officiers sont regroupés à l’oflag IV-D. Des hommes ayant fait souvent des études très poussées dans leur domaine. Des professeurs, des ingénieurs qui ne souhaitent qu’une seule chose : s’évader. Autant dire que faire garder par de simples soldats cette masse bourrée d’idées, et en plus capables de les réaliser, n’était pas chose simple quand la convention de Genève interdisait de les faire travailler. Une seule solution : les occuper. Se sont alors monté des ateliers de théâtre (avec représentation), de chant, de dessins, des cours de toutes sortes (assurés par les professeurs), chacun faisant dans sa spécialité… Bref, comme le diront bien après la guerre les survivants : si ce n’est la faim omniprésente, le froid mordant et la peur constante de la mort, on aurait pu être au Club Med.
Parmi ces officiers, neuf se sont réunis. Leur point commun ? Tous des passionnés de montagne, tous des alpinistes chevronnés inscrits au Club Alpin Français et surtout tous des amoureux d’une région chargée de souvenirs en cette terre étrangère : l’Oisans.
Sous la houlette du lieutenant Richarme, ingénieur géographe à l’Institut Géographique National, ils se lancent dans la réalisation d’une carte en relief, une maquette en trois dimensions représentant les paysages qu’ils aimaient tant admirer lors de leurs courses sur les plus hauts sommets des massifs.
 
Mais comment faire une carte lorsque l’on est prisonnier, loin de toute information de première main et des matières premières de base pour réaliser celle-ci ? C’est la Croix-Rouge qui va entrer en scène, envoyant des cartes d’Etat-major aux prisonniers par ses célèbres colis. Quant à la carte, elle sera faite de papier récupéré parmi les journaux des prisonniers.
Comment commencer ? Pas question de faire une grossière sculpture des massifs, il faut de l’exactitude, un modèle. Les ingénieurs de l’I.G.N le savent et reprennent les techniques qu’ils ont appliquées dans leurs métiers : la méthode du pantographe. Qu’est ce qu’un pantographe ? Le principe en est simple :
 P1050675
 
D’un côté une « pointe sèche » à laquelle on fait parcourir sur les courbes de niveau des cartes (à gauche), de l’autre une aiguille au chas retourné plantée dans de la glaise qui suit docilement le tracé de la pointe sèche. Pourquoi le chas de l’aiguille est-il retourné ? Car l’on y a glissé un fil. Et une fois la courbe de niveau terminée, on se retrouve avec une glaise sur laquelle est dessinée un chemin, exacte réplique de la courbe de niveau, et dans laquelle le fil est figé tout au long. Il ne reste plus qu’à tirer horizontalement sur celui-ci, avec beaucoup de délicatesse et de doigté, afin d’enlever la terre en trop. On se retrouve alors avec une marche d’escalier qui représente une courbe de niveau, la même que dans la réalité. Et on réitère l’opération pour les courbes suivantes. Sachant que la carte finale est composée de 16 blocs… Vous imaginez le travail de Titan accompli.
 
Bien, l’on a à présent une carte en escalier, qui suit scrupuleusement les courbes de niveau. Mais les montagnes n’étant pas une suite de pied de vaches, (et les amateurs de Modèles Numériques de Terrain en Système d’Information Géographie sont sensibilisés à ce problème) il faut lisser tout cela. C’est au tour d’un petit outil de l’ingénieur-céramiste du groupe de faire son apparition, le brunissoir. Résultat : une belle terre-glaise aux pentes douces ou abruptes selon le relief. La première étape est finie. Il est temps de passer à la suivante.
On entoure chaque carré de carte avec un coffre de bois dans lequel on coule du plâtre de moulage. Fin et dur, il ne se rétracte pas, il est solide et c'est indispensable pour la troisième étape.
Celle-ci consiste, une fois le moule de plâtre sec et dur (un « négatif » de la future carte), à y projeter de la pâte à papier : un mélange de papier broyé de colle et d’eau qui a dû demander quelques essais. Une pâte à papier peut être renforcée de tissu pour la rendre plus solide. Il ne reste plus qu’à attendre que cela sèche, et la carte est formée. Puis il faut la peindre. Comment ? En faisant appel à ses souvenirs, en s’aidant des premières photos couleurs (envoyées par la Croix-Rouge), ou de cartes postales.
 P1010829.JPG
La carte (à son emplacement en 2010)
 
Oui, mais nos officiers sont des personnes exigeantes et ils ajoutent une condition. Ils veulent voir les sommets, non pas de dessus, mais comme s’ils étaient sur les sentiers, en train d’admirer des panoramas à couper le souffle, avec le jeu des montagnes se cachant les unes les autres. Une problématique récurrente en géographie, notons-le. Ils vont alors construire un astucieux système de miroirs, utilisant la technique du périscope, que l’on peut orienter à loisir dans toutes les directions.
  P1010822
(la Barre des Ecrins, plus haut sommet du massif, -4102 mètres- vue dans le miroir)
 
A la fin du mois de novembre 1943, avec une température et un temps ressemblant beaucoup à celui que nous avons en ce moment, très froid et pluvieux, l’exposition est inaugurée au sein même du camp. Le résultat de sept mois de réalisations et de très nombreuses heures de labeurs.
 
Il est sûr que dans un environnement étranger, la vision de cette carte devait leur faire quitter pour quelques instants leurs tristes conditions de vie, les faire méditer, rêver… Et s’évader.
 P1010837.JPG
 
 
Mais, après tout, n’est ce pas la qualité des bonnes cartes ?
 
 



      Rapatriée par la Croix-Rouge à la fin de la guerre, exposée un temps au Ministère des Anciens Combattants, la carte a trouvé sa place définitive dans les locaux de la Maison du Parc des Ecrins de la Vallouise (Hautes Alpes).
Si vous passez dans le massif des Ecrins, faites y un crochet, c'est une belle et grande carte (2 mètres de côté) au 1/20 000ème de tout le massif et en plus historique !
 
Sources :
 
 
Je recherche des témoignages sur l’histoire de cette carte. Toutes les informations m’intéressent, n’hésitez-pas à me contacter !
 
« Le camp d’Elsterhorst, Rappel et commémoration », édité par le musée de la ville de Château d’Hoyerswerda
« Neue Hoyerswerdaer Geschichtshefte » N°10, 2007
Photos reprises des documents sur place.
A voir aussi : le site du parc national des Ecrins





P1050682.JPGP1050680.JPG
 
 
D.MONTAGNE
M1 Géographie/Environnement
Mots-clés : Maquette Ecrins, Carte Oisans, carte Ecrins 1/20000ème, Hoyerswerda, Oflag IV-D, Elsterhorst, Vallouise, Maison du parc de la Vallouise, réalisation oflag IV-D, oflag 4-D, carte oflag 4-D, carte oflag IV-D


Posts les plus consultés de ce blog

ALGÉRIE

ERNEST RENAN

GASTON LAGAFFE