L’an passé à la même période, la presse du monde entier vantait la défense héroïque de la ville ukrainienne de Bakhmout face aux assauts répétés du groupe Wagner. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, en visite à Washington pour la première fois depuis le début du conflit, était reçu en grande pompe et on s’interrogeait sur le moral de la population russe face aux échecs de son armée.
Un an plus tard, le conflit est toujours là, mais la situation a bien changé. Sur le terrain déjà, l’armée ukrainienne est tenue en échec par les forces de Vladimir Poutine, qui regagnent du terrain dans l’est du pays. « Ces grignotages commencent à être significatifs », s’inquiétait récemment dans Le Parisien-Aujourd’hui en France Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Et gare à ce qu’ils ne se transforment en percée décisive. Avec l’arrivée de l’hiver, l’état-major russe pourrait profiter du gel des sols pour intensifier ses offensives.
Vers de nouveaux bombardements massifs ?
L’hiver dernier, les Russes s’étaient lancés dans une intense campagne de bombardements des infrastructures énergétiques, dans le but de plonger la population civile dans le froid et dans le noir. Tout porte à croire que le même scénario se répétera cette année. Ces dernières semaines, les défenses antiaériennes ukrainiennes ont d’ailleurs repoussé quasiment toutes les nuits des attaques de drones et de missiles russes.
À Kiev, on s’interroge. L’hiver 2023-2024 sera-t-il aussi doux et clément que le dernier ? Les infrastructures énergétiques du pays (dont 60 % étaient endommagées fin août, selon un rapport d’Électriciens sans frontières et du groupe URD) tiendront-elles le choc d’une nouvelle campagne de bombardements russes ?
« Une partie importante de la résilience face à l’hiver dépendra surtout des livraisons des systèmes de défense antiaérienne par les alliés occidentaux », répond ce rapport. Or, les envois d’armes occidentales diminuent en même temps que le soutien à l’Ukraine s’étiole. Plus que le sursaut russe sur le terrain, ou la guerre de la peur menée par les drones, la première menace pour l’Ukraine reste d’ailleurs « l’incapacité occidentale à livrer des armes en quantité suffisante », selon Denys Kolesnyk, consultant spécialiste des questions de sécurité et de défense en Europe centrale et orientale.
La décision du congrès américain, tournant de l’hiver
De l’avis des experts, la décision du congrès américain d’allouer ou non une nouvelle aide militaire de 60 milliards de dollars (près de 56 milliards d’euros) à Kiev d’ici la fin de l’année pourrait être le plus gros enjeu de cet hiver pour les Ukrainiens, car cela conditionnerait la suite de la guerre.
« Les Occidentaux ont, dès le début, appréhendé cette guerre comme une crise, une guerre régionale. Ils ont d’ailleurs œuvré pour la contenir en livrant assez d’armes pour que l’Ukraine préserve son indépendance, mais pas plus, et en lui interdisant de frapper la Russie. Mais il faut comprendre qu’il s’agit d’un conflit à grande échelle, qui dépasse la guerre russo-ukrainienne », regrette Denys Kolesnyk.
« Il est naturel qu’il y ait des interrogations près de deux ans après le début de cette guerre », tempérait ce mercredi une source diplomatique française. « Tout le monde comprend qu’on est dans une période à risques, mais je ne vois pas de défaitisme à Bruxelles ou à l’Otan. »
« L’union sacrée autour du président est terminée »
Les doutes qui tourmentent les alliés de Kiev se seraient même propagés à l’entourage de Volodymyr Zelensky. Dans une interview accordée à l’édition suisse de 20 Minutes, le maire de Kiev, Vitali Klitschko, a récemment critiqué le président ukrainien, lui reprochant notamment de ne pas avoir vu l’invasion russe venir au cours de l’hiver 2021-2022. La récente sortie médiatique du chef d’état-major des armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny, qui a reconnu dans un entretien au magazine britannique The Economist que les deux camps se trouvaient dans une impasse, n’aurait également pas plu à au dirigeant au sweat kaki.
« L’union sacrée autour du président que l’on a pu voir au début de la guerre est terminée », décrypte Ulrich Bounat, analyste géopolitique et auteur de « La guerre hybride en Ukraine, quelles perspectives ? » (Editions du Cygne). « Cela est certainement dû à l’usure de la guerre et l’absence de résultats de la contre-offensive même si les médias accentuent le trait et qu’ils ne sont pas non plus à couteaux tirés. »
Les semaines à venir s’annoncent donc cruciales pour Kiev, qui devra tenter de se replacer au centre de l’agenda médiatique et relever le défi posé par les Russes sur le terrain. Zelensky l’a d’ailleurs bien compris. « L’hiver dans son ensemble est une nouvelle phase de guerre », a-t-il déclaré lors d’un entretien à l’agence de presse américaine Associated Press.