mardi 11 avril 2023

Les autres ne pensent pas comme nous





 La diplomatie est un sport de combat

Un ancien diplomate français donne une leçon de politique internationale à ses successeurs.

La diplomatie est un sport de combat
Maurice Gourdault-Montagne, Ambassadeur de France, Soiree francaise du cinema, Berlin, le 10 février 2014 IRC/WENN.COM/SIPA sipausa31271288_000040

Cette année voit le vingtième anniversaire du discours historique de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est l’occasion de lire le livre récent de Maurice Gourdault-Montagne, à cette époque Conseiller diplomatique du président Chirac. Celui qui a eu une carrière diplomatique des plus distinguées rend hommage aux architectes de la politique étrangère de la France d’alors et passe en revue plusieurs décennies passées dans les coulisses du pouvoir et les ambassades.


Ambassadeur de France au Japon, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Chine, on pouvait craindre en parcourant les 396 pages de Les autres ne pensent pas comme nous de Maurice Gourdault-Montagne un propos diplomatique poli, ménageant les susceptibilités des uns et des autres. En préambule pourtant, l’auteur prévient : « il faut savoir s’affirmer ». La diplomatie n’est pas – seulement – une partie de gala : « Loin de l’image d’Épinal renvoyée par les voyages officiels, le ballet diplomatique des limousines et les communiqués sans saveur, la vie internationale est rude, la compétition âpre, les sentiments inexistants. S’en tenir à des amabilités pour ne pas envenimer la situation, s’effacer devant la force, la mauvaise foi ou la brutalité se révèle tôt ou tard contre-productif ». 

Distribution des points

Maurice Gourdault-Montagne passe en revue les présidents qu’il a servis, de Giscard à Macron, et les ministres des Affaires étrangères. Évidemment, les deux grands hommes du livre sont Jacques Chirac et Dominique de Villepin. De ce dernier, ancien camarade de Sciences Po, il dit : « En d’autres siècles, il aurait été un condottiere, un capitaine corsaire ou un maréchal de Napoléon, de préférence pendant les Cent-Jours, quand l’entreprise devint impossible ». Et : « Villepin reste un personnage à part, plus littéraire que politique, plus combattant que négociateur, guidé par ses intuitions, évacuant le confort des certitudes ». Pour les prédécesseurs et les successeurs, le ton reste aimable mais moins dithyrambique. Croisé rapidement quand le jeune Gourdault-Montagne faisait ses premières gammes au Quai d’Orsay, Giscard n’échappe pas à une petite égratignure quant à son choix d’accueillir l’ayatollah Khomeiny en France : « Le seul cadeau que nous ayons reçu de Khomeiny est d’avoir baptisé « rue Neauphle-le-Château » l’artère où se trouve notre ambassade à Téhéran ». Les portraits défilent. Mitterrand : « Il émanait de sa personne, quoi qu’il fût de petite taille, une autorité naturelle, une allure souveraine qui reste aujourd’hui encore gravée dans ma mémoire. Je connaissais évidemment les controverses dont il faisait l’objet dans la vie politique nationale, mais il était le président de la République. Le jeune diplomate que j’étais fut tout impressionné ». Sarkozy : « Homme au contact facile, à la personnalité ouverte, voire chaleureuse, mais aux réactions parfois imprévisibles et dont il était parfois difficile de cerner les véritables attentes ». Entre ce qu’il y à faire et à ne pas faire pour un Président de la République, la nuance est subtile : Gourdault-Montagne reproche à Sarkozy d’en avoir trop fait face à Pékin avant les Jeux olympiques de 2008, en recevant le dalaï-lama, ce qui a compliqué un temps les relations entre la France et la Chine, mais aussi à Macron de ne pas en avoir fait assez en Inde, oubliant de se rendre à la grande mosquée de Dehli, geste qui aurait été fort à un moment où la population musulmane (une minorité de 175 millions d’habitants) est visée par une politique d’ « hindouïsation » sous l’égide du premier ministre, Narendra Modi.

Directeur de cabinet à Matignon de 1995 à 1997, Gourdault-Montagne revient aussi sur les débuts difficiles du premier mandat de Jacques Chirac, la quasi-exclusion des Balladuriens du gouvernement Juppé, l’inexpérience de certains ministres : « Le gouvernement est faible, manquant de personnalités d’envergure, et trop inexpérimenté. Sur les quarante ministres qui le composent, trente le sont pour la première fois et font leur apprentissage dans un contexte tendu qui ne laisse aucune place à l’amateurisme. Le jour où je suis obligé d’exiger fermement d’une secrétaire d’État qu’elle n’aille pas manifester dans la rue, les bras m’en tombent… ». La dissolution arrive bien vite. Rétrospectivement, ce ne fut pas l’idée de cette fin de siècle. Les rieurs en firent des tonnes, Charles Pasqua le premier : « Chirac vient d’inventer le septennat de deux ans ». Gourdault-Montagne relativise cependant : « Les cycles démocratiques vont et viennent, ils font la vie d’une nation, et sont des alternances nécessaires à la respiration de la démocratie. Chirac a toujours considéré que « donner la parole au peuple » n’était en rien une faute ». Une phrase qui prend une résonnance particulière en ce printemps 2023…

Atlas mondial des mentalités

La suite est encore plus intéressante quand on quitte la tambouille politique nationale pour suivre les suivre les aventures de l’ambassadeur, d’abord nommé au Japon. Le livre devient presque un atlas mondial des mentalités. L’auteur, conscient que « les Allemands ne sont pas des Français qui parlent français », essaie de saisir la psychologie des nations avec lesquelles il est en contact. En Allemagne, où il est en poste de 2011 à 2014, il décrit un pays encore imprégné par le sentiment de culpabilité, qui explique bien des choses, y compris son renoncement au nucléaire. Du Royaume-Uni – une fois passées les vexations offertes par le camp Blair lors de l’épisode irakien – Gourdault-Montagne semble avoir apprécié lors de son séjour à Londres le mélange de pompe monarchique, d’humour pince-sans-rire et d’esprit punk ; il semble aussi admirer le dynamisme culturel (« Je veux également dire un mot de l’importance de la scène musicale anglaise qui, de la comédie à l’art lyrique, est d’une exceptionnelle vitalité. Au-delà de ce constat, que chacun peut faire, c’est le modèle économique, quasi exclusivement privé, sur lequel repose cette industrie du spectacle, qui est remarquable ») et la capacité à faire vivre ensemble des communautés sans modèle assimilationniste à la française. Le diplomate arrive à dépeindre aussi de quelle façon les autres nous perçoivent. Il tente de nous mettre dans la tête d’Angela Merkel quand celle-ci est confrontée aux Français : « Je voyais que Sarkozy incarnait aux yeux de Mme Merkel le caractère imprévisible des Français, cette capacité d’improvisation qui exaspère les Allemands, mais qu’ils nous envient parfois secrètement, tant elle permet de s’adapter aux événements ». « Pour l’ancienne chancelière et les Allemands en général, [Emmanuel Macron] incarne l’archétype d’un esprit français, brillant, mais selon eux, parfois trop ardent, plus soucieux de lyrisme que de réalisme ». Concernant la Chine et sa volonté de récupérer Taiwan, Gourdault-Montagne propose une comparaison audacieuse : et si à côté de la France métropolitaine libérée en 1944 il était resté une Corse sur laquelle se serait replié le régime de Vichy ? MGM évite de trop tomber dans la logique chinoise et nuance tout de suite en rappelant que Tchang Kaï-chek, avant de se replier sur Taiwan, avait lutté contre l’occupant japonais en Chine continentale.

Au temps béni du chiraquisme 

Le livre de Gourdault-Montagne nous replonge une vingtaine d’années en arrière, au temps de la splendeur de la politique étrangère de Chirac. On pourrait définir le chiraquisme international comme un néo-gaulliste, avec une attitude réaliste, reconnaissant des États plutôt que des régimes, davantage sensible à la stabilité internationale qu’au devoir d’ingérence ; sans toutefois renoncer aux « valeurs » et faisant grand cas du rôle des instances internationales, là où de Gaulle ne voyait en elles que des « machins ». Le livre revient évidemment sur le bras de fer franco-américain de 2003 et la construction du non français. L’auteur glisse non sans malice qu’après cet épisode irakien, l’administration Bush et Condoleezza Rice en tête « étaient devenu[e]s plus attenti[ve]s aux analyses de Chirac et de la France ». Ce fut aussi le temps de l’axe Paris-Berlin-Moscou, quand Chirac, Schröder et Poutine tenaient des conférences de presse ensemble contre la guerre en Irak. Le diplomate heurtera les âmes sensibles, qui regarderont les événements de 2003 avec les lunettes de 2022, quand ils liront le passage sur les parties de pêche de Gourdault-Montagne avec son homologue russe, Igor Chouvalov. Il fut même question que la Russie intégrât la France et l’Allemagne parmi les actionnaires d’EADS. Ce fut l’époque, post 11-Septembre, où Jacques Chirac proposa une alliance des civilisations, aux côtés du premier ministre espagnol José Zapatero et de… Recep Erdogan ! Ce dernier n’avait pas encore la prétention d’être le grand sultan de la Méditerranée orientale. On en vient à se demander si, en perdant Jacques Chirac en 2007 (et surtout avec lui, une certaine voix, originale, de la France), l’ordre du monde n’a pas perdu un facteur de sa stabilité, et si l’appétit des despotes au marge de l’Europe n’en a pas été réveillé.



 à des fins de coexistence et d’élargissement de son horizon n’a rien à voir avec la volonté de dominer »), et une de Fernand Braudel (« Sans le poids du passé, l’Histoire n’est qu’une péripétie »). En quoi ces citations résument-elles les différents aspects de votre livre ? 

À la réflexion, j’aurais pu mettre ces citations dans un ordre différent, en plaçant celle d’Edward Saïd en tête. Cette citation souligne, à raison, que la démarche qui convenait hier ne peut plus  avoir cours aujourd’hui face à la reconfiguration de l’ordre international et face au déplacement de ses principaux centres de gravité. L’Europe continue certes d’avoir un rôle majeur dans les développements du monde, en particulier par sa force économique et scientifique ainsi que son soft power, mais la dynamique du monde est moins déterminée aujourd’hui en Europe qu’ailleurs. 

Cela nous oblige à voir les choses autrement : il faut entrer dans la tête des décideurs de demain, en cherchant à les comprendre, sans vouloir imposer son modèle. Comprendre, donc, sans vouloir dominer, avec l’humilité et l’ouverture d’esprit nécessaires pour trouver ces « points de passage » qui permettent la coexistence et la coopération. La diplomatie de demain sera ainsi définie plus que jamais par l’art de trouver des ponts, ou de mettre des coupe-feux lorsque cela sera nécessaire, pour prévenir l’émergence de risques nouveaux. 

Il faut entrer dans la tête des décideurs de demain, en cherchant à les comprendre, sans vouloir imposer son modèle. Comprendre, donc, sans vouloir dominer, avec l’humilité et l’ouverture d’esprit nécessaires pour trouver ces « points de passage » qui permettent la coexistence et la coopération.

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

L’Histoire est également présente dans ce livre parce qu’elle joue un rôle fondamental. Je pense  que nous nous trouvons dans une époque où l’on voit ressurgir les “sillons profonds de l’Histoire”. C’est cela que l’on voit aujourd’hui dans la politique extérieure de la Russie, ou dans le néo-ottomanisme assumé de la Turquie du président Erdogan. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Quai d’Orsay a souhaité introduire à l’Institut diplomatique des cours sur ce qu’était la politique étrangère ottomane en Méditerranée et en Asie centrale ou encore la continuité de la politique étrangère russe. Ces réminiscences ne sont pas conjoncturelles : par exemple, la politique russe d’aujourd’hui est proprement impériale. Je suis d’accord avec la formule de Zaki Laïdi, pour qui le principal défi est de voir quand les Russes parviendront à passer d’une politique étrangère impériale à une politique étrangère nationale

Je cite aussi le général de Gaulle, enfin, parce que je suis convaincu qu’il faut continuer à écouter et méditer ses grandes conférences de presse des années 1960, sur l’Allemagne, la Chine, le Moyen-Orient, l’Algérie, qui cadrent les grands sujets de la politique étrangère française de l’époque. Ces conférences sont fondatrices. Et elles nous font garder à l’esprit que la diplomatie, ce sont des codes ; des codes et des conventions qui habillent la réalité pour pouvoir traiter les enjeux à plusieurs avec des règles du jeu. 

La diplomatie, ce sont des codes ; des codes et des conventions qui habillent la réalité.

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

J’ai hésité à mettre en exergue une dernière citation de Kishore Mahbubani, mentionnée à la fin de l’ouvrage. Celui-ci souligne que « la parenthèse de domination occidentale du monde, qui a duré 400 ans, est en train de se refermer  ». Cela ne signifie aucunement que l’Europe, l’Occident et la France en particulier verraient leur corpus de valeurs s’éroder et disparaître. Il s’agit là de notre carcan, de notre ossature, c’est ce que nous avons développé de siècles en siècles depuis les Lumières. Ce que l’on observe aujourd’hui n’est pas un reflux ; il s’agit plutôt d’un réalignement, et du recalibrage de la place de chacun. 

Vous alertez, dans les premières pages de votre livre, contre les risques d’une politique étrangère qui sous-estimerait le poids des émotions et des passions des peuples. Vous prenez l’exemple du conflit ukrainien, en soulignant que les mémoires polonaise, baltes, russe, allemande ou française divergent quant à leur perception de la menace posée par la Russie. Comment parvenir à une synthèse sur laquelle ancrer un ordre sécuritaire durable, par-delà la divergence des mémoires ? Avez-vous d’autres exemples, hors des cas européens, de conflits où la singularité des émotions des peuples a été selon vous sous-estimée ?  

Je pense que cette singularité des mémoires est à la fois sous-estimée et surestimée. Gardons à l’esprit que l’on agit toujours et jusqu’à un certain point, selon ses émotions. Les relations internationales doivent ainsi composer avec ce que le professeur d’histoire à Cambridge, Julian Jackson, nomme la “mémoire émotionnelle collective des peuples”. 

Je me souviens lui avoir demandé lors d’une conversation pourquoi il avait fait le choix de rédiger un livre portant spécifiquement sur l’histoire de la résistance française à l’occupation et au régime de Vichy. Il m’avait répondu qu’un tel projet lui semblait nécessaire parce que les Britanniques n’ont pas de conscience intime de ce qu’est la vie sous une occupation étrangère. Ils ont certes gardé dans leur histoire le souvenir théorique de l’invasion normande de 1066 et de l’occupation du pays par Guillaume le Conquérant ! mais ils n’ont plus eu d’expérience semblable par la suite, alors qu’il s’agit d’une réalité qui a marqué l’histoire de tous les pays continentaux encore récemment. 

Or, une telle approche des différences de perception me semble devenir absolument essentielle lorsque des Etats doivent discuter de questions de sécurité. Il faut avoir à l’esprit que le fait de se poser des questions de sécurité est légitime. Il s’agit d’un sujet dont il faut parler constamment avec ses voisins, afin de prévenir le pire. 

Prenez l’exemple des questions de sécurité que la Russie, après avoir annexé la Crimée et envahi le Donbass et lancé plusieurs avertissements, a voulu poser fin 2021, en demandant, de façon certes absolument outrancière et en massant des troupes à la frontière de l’Ukraine, selon la pratique de crise du temps de la guerre froide, que l’OTAN retourne aux frontières qui étaient les siennes avant l’élargissement de 1997. Ces exigences étaient inacceptables, mais cela signifie-t-il pour autant que la perception de la Russie selon laquelle la sécurité de ses frontières n’était pas assurée ne devait pas être prise en compte et négociées en fonction des réalités ? La question de la sécurité globale dans le centre de l’Europe ressurgira après la guerre et il faudra la traiter.    

Sur la question de l’importance des perceptions, l’exemple de la Chine est également très parlant. Du point de vue chinois, le retour de la Chine au centre de l’ordre international fait suite à ce qu’ils appellent « les cent ans d’humiliation ». Les nationalistes chinois peuvent certes user, de façon instrumentale, de propos revanchistes pour mobiliser la population de temps à autres contre l’extérieur ; mais une telle démarche vient en reflet du souvenir collectif des pillages et de la dévastation provoqués par les expéditions franco-anglaises dans ce pays au XIXème siècle et au-delà. Ces évènements ont laissé dans la mémoire collective chinoise des traces indélébiles. Je l’écris dans l’ouvrage : si nous devions changer de perspective, c’est-à-dire imaginer que Versailles ou le Louvre avaient été pillés par des puissances extérieures, il est clair que nous nous en souviendrions vivement cent ans après. 

Si nous devions changer de perspective, c’est-à-dire imaginer que Versailles ou le Louvre avaient été pillés par des puissances extérieures, il est clair que nous nous en souviendrions vivement cent ans après. 

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

Quant au fait de savoir si cette part émotive dans la réaction des peuples est mieux prise en compte par les tenants du réalisme ou de l’idéalisme – question que j’aborde dans l’ouvrage – il s’agit là d’un sujet complexe. L’idéalisme renvoie par définition à des valeurs ; tandis que le réalisme renvoie à la nature des choses. L’émotion est un facteur additionnel que la politique extérieure doit prendre en compte. La singularité du travail diplomatique nécessite, pour dire les choses simplement, de faire la part des choses. 

Une particularité de votre livre est qu’il touche à la fois à la politique intérieure et à la politique extérieure. On le voit dans certaines pages dédiées à l’Algérie et lorsque vous évoquez le choix de plusieurs de vos aïeux d’avoir dédié leur vie à la politique. Comment avez-vous conçu cet ouvrage : l’avez-vous envisagé comme un essai, comme des mémoires, ou une réflexion plus générale sur la conception de la politique étrangère ? 

Comme je le précise dans la préface, je n’ai jamais pris aucune note sur mon travail au cours de ma vie. Le diplomate a cette particularité d’être constamment à l’affût de ce qu’il observe pour en rendre compte à son gouvernement. Cela prend du temps, d’autant plus que s’y ajoute, lorsque vous êtes ambassadeur, un travail de management de vos équipes et de représentation constante, c’est-à-dire de présence partout où la présence de la France doit être vue, y compris là où on ne l’attend pas car les opinions locales y sont sensibles. Et cela laisse peu de temps pour soi. 

Dans l’ensemble, je dirais que je n’ai pas voulu faire ce livre en adoptant le ton des mémoires, où je détaillerais mes souvenirs en les retranscrivant de façon linéaire. Et pour cela ce livre a été conçu comme une série de conversations d’après-dîner. J’ai avant tout voulu relater ce à quoi j’ai pu assister ou participer activement comme ambassadeur ou au cœur de Matignon et à l’Elysée et au cours de mes expériences en cabinet, dans des lieux de la décision politique.

Ces expériences m’ont également permis de voir l’imbrication étroite qui existe entre la politique extérieure et la politique intérieure. Je l’explique lorsque je reviens sur les spécificités de la diplomatie menée en temps de cohabitation, où, pour des raisons de compétition en politique intérieure, la politique extérieure court constamment le risque d’être instrumentalisée.

En quoi l’époque que nous traversons représente-t-elle un point de bascule — vous la comparez dans votre livre à la Renaissance — et quelles conclusions en tirer s’agissant de la pratique de la diplomatie ?

Nous sommes dans une période de vertige : nous nous trouvons face à des transformations technologiques dont les conséquences sont inimaginables. Je compare les bouleversements du début du XXI ème siècle à ceux que l’Europe a connus entre la fin du XVème siècle et le début du XVIème siècle. 

Nous sommes dans une période de vertige. Je compare les bouleversements du début du XXI ème siècle à ceux que l’Europe a connus entre la fin du XVème siècle et le début du XVIème siècle. 

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

Pour les gens de ma génération, c’est comme si nous étions nés au Haut Moyen-Age, et que nous nous retrouvions soudain en pleine Renaissance, en un siècle de bouleversement artistique, intellectuel et technologique, un moment où il y a aussi un élargissement de l’espace avec la découverte de l’Amérique. Comme on sait, dans le monde d’alors, en Europe, une première forme de connectivité avait permis, grâce à l’imprimerie, une multiplication des échanges. C’est grâce à cette technique que des esprits comme Erasme et Luther ont pu correspondre, au-delà des contraintes imposées par la distance et la géographie. Et aujourd’hui l’espace aussi s’est élargi avec le cyber et bientôt le métavers. 

On observe un parallèle avec les temps d’aujourd’hui : grâce au progrès technologique, des gens qui n’auraient jamais pu échanger auparavant correspondent au quotidien. L’ingénieur, l’intellectuel, l’artiste, le travailleur manuel et diverses générations, échangent de façon instantanée et sans discrimination sur les réseaux sociaux. L’impact social est considérable.  On peut filer la métaphore en disant que nous sommes en 15221, au milieu de ce foisonnement intellectuel qui a permis la circulation des idées et qui remet en cause les modèles du passé y compris dans les relations internationales. 

On peut filer la métaphore en disant que nous sommes en 1522[1], au milieu de ce foisonnement intellectuel qui a permis la circulation des idées et qui remet en cause les modèles du passé y compris dans les relations internationales. 

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

Je reprends dans l’ouvrage une simple observation tirée de l’histoire de la Renaissance : si l’imprimerie permet au début du XVIème siècle cet essor intellectuel, on assiste un peu plus tard aux guerres de religion et à un déchainement de violence. Je pense que ce à quoi nous assistons aujourd’hui annonce des bouleversements d’une autre nature, peut-être encore plus grands et sans doute violents, mais je ne peux bien sûr, prédire la forme que prendront de telles évolutions. 

Quelles conséquences en tirer et quel impact pour la diplomatie de demain ? Gardons à l’esprit que les années 1520, c’est également le camp du Drap d’Or, la rencontre entre le roi François Ier et Henri VIII près de Calais, date à partir de laquelle on observe la création d’un corps d’ambassadeur permanents donc de nouvelles méthodes de travail, de coopération, d’échange, de traitement des crises. Je pense que comme hier, les changements d’aujourd’hui auront un impact essentiel sur le travail diplomatique. En déterminer l’étendue demeure une tâche difficile, car les mouvements que l’on observe dans le monde sont plus contraires que jamais. 

En effet, l’on voit aujourd’hui, d’une part, l’essor d’une globalisation qui progresse par la connectivité, au sein de laquelle les gens vont continuer à échanger. Et l’on constate, d’autre part, la montée d’un repli sur soi, le retour des langues vernaculaires et des particularismes. 

Dans cet espace mondial, subsistent des “cocons” qui ont leurs spécificités. C’est là un phénomène qui transforme le travail diplomatique : il faut trouver des gens qui savent aller d’un cocon à un autre, dans des terrains où la seule connaissance du globish ne suffit pas. Dans le monde de demain, il n’y a pas pour ainsi dire de village global ; il y a en revanche, des villages dans la globalité. 

il faut trouver des gens qui savent aller d’un cocon à un autre, dans des terrains où la seule connaissance du globish ne suffit pas. Dans le monde de demain, il n’y a pas pour ainsi dire de village global ; il y a en revanche, des villages dans la globalité. 

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

Face à ces bouleversements, on retrouve une sensation de vertige parce que dans ce contexte nouveau, on assiste chez les pays émergents à la résurgence des rêves d’empire, des clientélismes, des particularismes et des zones d’influence qui peut faire craindre l’affrontement permanent de systèmes et de visions du droit international concurrents et de remise en cause pérenne des règles du jeu multilatéral. 

Prenez l’exemple de la politique chinoise des Nouvelles routes de la Soie qui met en oeuvre un ordre multilatéral concurrent su système onusien, ou la tentation des Etats-Unis de privilégier, comme à d’autres moments de leur histoire, un certain isolationnisme. Il s’agit là d’éléments majeurs, qui bouleversent l’équilibre de l’ordre international. J’en parle dans le chapitre relatant un dîner avec le chancelier allemand Helmut Schmidt, qui affirmait que les Américains n’ont plus la même conscience qu’auparavant de leur leadership dans tous les domaines avec les responsabilités que cela implique dans leur action. 

Dans ce grand bouleversement, il existe une différence majeure entre notre situation particulière en Europe, et celle d’autres Etats, par exemple ceux du Moyen-Orient ou ceux d’Asie orientale. Cette différence, c’est que l’accélérateur que constitue la guerre nous a amenés à dépendre davantage des Etats-Unis pour soutenir l’Ukraine agressée et ce, en négligeant la part d’incertitude du soutien américain dans la durée. 

En effet, un acquis du droit international est qu’un monde où un Etat pourrait librement envahir son voisin sans conséquence serait un monde impossible à vivre et la modification des frontières par la force ne doit pas être possible. Nous avons décidé au nom de nos valeurs et du droit de soutenir l’Ukraine militairement… Mais L’Union européenne avec 23 de ses membres sur 27 dans l’Otan disposera-t-elle d’une autonomie suffisante si les Américains modifiaient leur posture, soit en se repliant sur eux-mêmes par réflexe isolationniste, soit en concentrant tous leurs efforts sur la Chine ? 

A l’inverse de ce mouvement de dépendance des Etats-Unis, hors de l’Europe, un nombre croissant d’Etats, s’émancipent aujourd’hui de l’Occident et ne veulent pas choisir leur camp considérant que ce n’est pas de leur intérêt. Dans ce contexte, ce qu’il faut prévenir, c’est le risque de l’entre-soi, de l’enfermement : de rester seulement entre nous occidentaux. 

Dans ce contexte, ce qu’il faut prévenir, c’est le risque de l’entre-soi, de l’enfermement : de rester seulement entre nous occidentaux.

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

Lorsque l’on voit que Xi Jinping et MBS se parlent afin de poser les jalons d’une monnaie électronique comme l’e-yuan qui permettra à Pékin d’acheter en Arabie saoudite 40 % de ses importations pétrolières sans passer par le dollar ou bien que des fonds de compensation rouble/rupee, rouble/livre turque se mettent en place pour continuer à commercer en évitant les sanctions secondaires américaines, on constate qu’une vision binaire des relations internationales ne suffit plus. Des zones de libre-échange se mettent en place en Asie comme le RCEP qui représente 1/3 du PNB mondial. Où sommes nous ? Où est l’Union européenne ? Quelles seront les normes de demain ? 

Cela invite, plus largement, à une réflexion profonde et d’ampleur pour voir dans quel cadre s’inscrivent nos politiques désormais quasiment systématiques de sanctions qui jouent le rôle de repoussoir de la politique des Occidentaux. Elles ont certes fonctionné s’agissant de l’apartheid en Afrique du Sud ; mais leur bilan s’agissant de l’Irak et de l’Iran est plus mitigé. C’est là le sens également des réflexions d’Agathe Demarais dans son dernier ouvrage Backfire, qui montre comment l’instrumentalisation croissante des sanctions et du dollar pourrait desservir, à moyen-terme, les intérêts américains et finalement aussi les nôtres. 

Certains observateurs soutiennent que la France devrait cultiver davantage ses échanges avec des grands émergents, comme l’Inde ou le Brésil. Or dans le cadre de la crise ukrainienne, la physionomie des votes au sein des principales organisations multilatérales a pu surprendre. Dans le contexte actuel, avec quels pays la France aurait-elle intérêt à renforcer ses relations diplomatiques ?  

Il s’agit d’une question complexe. On tend aujourd’hui à penser le monde en reprenant un vieux paradigme : l’idée que le monde serait divisé en deux blocs avec les « non-alignés » à l’extérieur. Je ne suis pas convaincu par cette analyse classique. 

Nous assistons aujourd’hui à une reconfiguration profonde de l’ordre international. Il me semble que l’on voit aujourd’hui un premier bloc d’Etats, celui des Occidentaux, qui compte les pays de l’OCDE, et qui va du Mexique à l’Australie ; un deuxième, constitué par la Chine et de la Russie qui se retrouvent essentiellement dans un même rejet de l’Occident à long terme mais sans approche vraiment commune de la guerre en Ukraine ; un troisième, qui comprend le reste du monde, avec des pays en position de leader, comme l’Inde, la Turquie et quelques pays comme le Sénégal du président Macky Sall, qui préside l’Union africaine, ou le Brésil ou l’Indonésie, où a eu lieu le G20 de cette année. 

Au sein de ce groupe, un grand nombre d’Etats ont opté de façon notable pour l’abstention à l’ONU lors des quatre votes de résolutions les plus importantes sur le conflit ukrainien : condamnation de l’agression de la Russie, demande de cessez-le-feu, sortie du Conseil des droits de l’homme, et condamnation de l’annexion des quatre territoires ukrainiens occupés. Par leurs votes, ces pays rejettent aussi ce qu’ils considèrent comme les doubles standards de l’Occident considérant qu’on impose à certains ce qu’on n’impose pas à d’autres. Par exemple l’Occident veut juger les crimes de guerre russes mais n’a rien entrepris après la guerre d’Irak, la Libye ou avec le Yémen. 

Dans ce troisième groupe, il y a ce que j’appellerai un « essaim de pays » qui ont pour priorité de pouvoir poursuivre leur développement tout en assurant leur stabilité économique et sociale et qui ne veulent pas choisir un camp, soucieux de leur commerce avec la Chine et d’une relation maintenue avec les Etats-Unis. Ce ne sont pas des non-alignés comme du temps de Bandoung où il y avait un corpus idéologique « post indépendance ».   

Il faut donc comprendre que le monde d’aujourd’hui est plus fluide. S’agissant du conflit ukrainien que vous évoquez, de nombreux observateurs ont été surpris de voir des pays comme le Maroc, l’Arabie saoudite et les Emirats, l’Egypte le Sénégal, le Brésil, adopter une ligne médiane et s’abstenir lors de certains votes. 

Comment comprendre le positionnement de ces États alors qu’ils demeurent par ailleurs profondément attachés au principe d’intégrité territoriale ? 

Il faut savoir aussi que pour certains d’entre eux, en particulier ceux d’Afrique, il existe une différence immense entre les ressources mobilisées pour la lutte contre le terrorisme djihadiste, par exemple au Sahel, et celles mobilisées pour aider la résistance ukrainienne à l’invasion. De nombreuses armes (hélicoptères, avions) sont selon eux « préemptées » par le conflit ukrainien. Certains Etats africains considèrent ainsi que leurs intérêts sont moins pris en compte que les intérêts européens, qu’il s’agit là aussi de deux poids, deux mesures. 

Quels enseignements en tirer pour la diplomatie française ? Je pense que nous gagnerions à examiner de près la doctrine du « multialignement » théorisée par le ministre des Affaires étrangères indien S. Jaishankar, qui appelle l’Inde à ne pas laisser sa politique étrangère être déterminée par une logique de blocs. 

Je pense que nous gagnerions à examiner de près la doctrine du « multialignement » théorisée par le ministre des Affaires étrangères indien S. Jaishankar, qui appelle l’Inde à ne pas laisser sa politique étrangère être déterminée par une logique de blocs. 

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

On voit l’Inde se rendre un jour à une réunion du G7 ; le lendemain à un sommet des BRICS, puis de l’OCS avec la Chine et la Russie ; et le surlendemain, à une réunion du QUAD pour parler des questions qui intéressent sa sécurité avec les Etats-Unis et leurs alliés. La Turquie essaie également de se garder de choisir un bloc de façon trop explicite : elle est un pilier de l’OTAN et elle prépare sa candidature pour rejoindre les BRICS et l’OCS.

Dans ce contexte, je pense que la France aurait ainsi tout intérêt à renforcer ses relations avec des pays du Sud. Elle pourrait tirer meilleur parti de sa relation stratégique avec l’Inde, qui est un pays majeur, dont l’importance internationale ne cessera de croître. Dans cette optique, nous gagnerions également à développer nos interactions avec le Président du Sénégal Macky Sall et l’Union africaine, ou avec des pays comme l’Indonésie du Président Widodo et à partir de cette année avec le Brésil du Président Lula. Ne pouvons-nous donc pas rester fidèles à notre alliance et agir avec plus de liberté de mouvement ? 

Dans ce contexte, je pense que la France aurait ainsi tout intérêt à renforcer ses relations avec des pays du Sud. Elle pourrait tirer meilleur parti de sa relation stratégique avec l’Inde, qui est un pays majeur, dont l’importance internationale ne cessera de croître.

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

La relation franco-britannique est aujourd’hui en pleine évolution. Vous soulignez son importance dans votre livre, en revenant sur l’importance des accords de Lancaster House et sur le succès de la visite d’Etat de Nicolas Sarkozy à Londres en 2008. Après le Brexit et AUKUS, comment retrouver ce niveau de coopération et d’affinité entre Français et Britanniques ? Comment percevez-vous aujourd’hui la relation franco-britannique, notamment en matière de défense et dans l’espace indopacifique ? 

Le sang versé est le sacrifice ultime qui permet de sceller une entente entre deux peuples. Dans le cas de la France et du Royaume-Uni, ce sang a été versé à deux reprises, lors des deux guerres mondiales. Il existe entre ces deux nations un intérêt réciproque, naturel, qui se traduit notamment, d’une part par une tradition anglophilie en France, et d’autre part, par la connaissance intime qui lie de nombreux Britanniques à la France. Presque cent mille Britanniques possèdent un bien en France, ce qui illustre, de façon très concrète, l’importance de cette proximité, qui est d’autant plus intéressante que les Britanniques se sont beaucoup battus à travers l’Histoire contre l’hégémonie française sur le continent. 

De ce point de vue, il est frappant de constater que les Britanniques nous connaissent très bien ; et mieux que nous ne les connaissons. Cela s’explique sans doute par le fait que notre attention s’est tournée au fil de l’histoire vers l’ensemble de nos voisins auxquels nous avons fait la guerre tandis que leur intérêt est resté pendant des siècles focalisé sur Paris. Une autre différence majeure est que les Anglais se perçoivent comme ayant été, de façon systématique depuis Waterloo en 1815 du côté des vainqueurs ce qui n’est pas notre cas. 

Cette perception a un impact sur la façon dont les Britanniques ont toujours perçu leurs rapports avec l’Union européenne : pour un pays où le Parlement de Westminster est la source de toute légitimité, pourquoi transférer de façon graduelle, aux côtés des perdants de la guerre, France en 1940, Allemagne, Italie, Bénélux, des compétences à une organisation régionale comme l’Union européenne ? Ces facteurs expliquent à mon avis en partie le Brexit. 

L’intérêt britannique pour l’Union européenne n’a jamais finalement été politique, mais économique ; ils sont avant tout intéressés par l’immense marché intérieur européen. Pour autant, la proximité du lien entre la France et le Royaume-Uni est incarnée par l’accord de Lancaster House de 2010 encore en vigueur que vous mentionnez : outre des structures de coopérations opérationnelles entre nos forces, nous partageons réciproquement des installations permettant les calculs dans la simulation d’essais nucléaires, bien que nous n’échangions aucunement les calculs eux-mêmes qui relèvent naturellement du secret de la dissuasion. Cela démontre bien les potentialités et la confiance de notre coopération en matière de défense. 

Il me semble néanmoins qu’aujourd’hui, un retour en arrière vers un Royaume-Uni au sein de l’Union, est impossible pour des raisons politiques. La volonté de Londres de prendre part au marché unique, cependant, perdure. Car il est paradoxal de voir ce pays, champion du libre-échange, avoir fait le choix d’ériger des barrières commerciales le séparant du continent. 

De même, les difficultés britanniques s’agissant des questions écossaise et irlandaise ne sont pas définitivement résolues. Ne faudra-t-il pas chercher côté français, en évitant tout esprit punitif, à tendre une main secourable afin d’aider les Britanniques à régler avec l’UE la question de la frontière immatérielle avec l’Irlande du Nord, un territoire lui-même en pleine évolution car sa population catholique, aujourd’hui majoritaire, est en droit de demander un référendum d’autodétermination ? 

Ma certitude, c’est que nous allons continuer à partager avec les Britanniques un destin commun. Ces dernières années ont été celles du passage à vide, mais nous retrouverons une base commune – dont la Communauté politique européenne annoncée par le président Macron à Prague en octobre peut être un point de départ pour les pays qui ne sont pas dans l’Union européenne. Le Royaume-Uni a fait comprendre que l’idée les intéressait : le déplacement de l’éphèmère Liz Truss à Prague a illustré la volonté britannique de reprendre langue avec un nombre important de pays européens. 

Nous allons continuer à partager avec les Britanniques un destin commun. Ces dernières années ont été celles du passage à vide, mais nous retrouverons une base commune – dont la Communauté politique européenne annoncée par le président Macron à Prague en octobre peut être un point de départ pour les pays qui ne sont pas dans l’Union européenne.

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

Ce projet réactive certes l’idée portée par le président Mitterrand dans les années 1990 de former une Confédération européenne ; mais ce dernier projet avait échoué car il était initialement envisagé que la Russie y soit incluse, ce qui était inacceptable pour nombre de pays d’Europe de l’Est. En outre, l’Allemagne, qui venait d’être réunifiée, ne souhaitait guère voir la France jouer dans son arrière-cour, ce qui ajoutait un facteur de complication supplémentaire. Aujourd’hui, Berlin a réagi positivement à la proposition qui ouvre des perspectives nouvelles car l’UE n’a pas vocation à structurer tout le continent. L’Ukraine, admise comme pays candidat pour l’ancrer politiquement à l’Ouest, devra parcourir un long chemin avant d’être membre à part entière de l’UE et pourrait être intéressée à cette idée le moment venu.    

Parmi les éléments qui ont permis de réconcilier les Britanniques et les Français après les divisions nées de la guerre en Irak figurent les négociations sur le nucléaire iranien. Vous expliquez que l’initiative a alors permis un réchauffement des relations entre la France et les États-Unis. Pourriez-vous revenir sur l’importance de ces négociations dans ces différents rapprochements ? 

Il importe de garder le contexte de l’époque en mémoire. Nous étions alors divisés entre alliés sur la question irakienne. Nous pensions que les Britanniques qui conservaient néanmoins une connaissance très fine de la région et des risques d’une telle intervention seraient plus vigilants :   le danger était en effet de déverrouiller l’Iran, qui n’avait plus les moyens d’étendre son influence après la signature du cessez-le-feu de 1988 mettant fin à la guerre Iran-Irak, dont le coût humain était absolument terrible. 

L’intervention américaine en Irak soutenue par Londres a eu pour effet de faire sauter le verrou. Avec le recul, je reste frappé de voir comment Jacques Chirac avait su prédire, au détail près, ce qui allait se passer, y compris jusqu’à la vague terroriste de Daesh.   

Dans ce contexte, l’Irak après 2003 avait certes été vaincu avec la fin de Saddam Hussein, mais il fallait l’aider dans sa reconstruction ; et aider ainsi à ressouder la communauté internationale. La France s’est donc engagée en soutenant des initiatives comme l’allégement de la dette, la facilitation dans ce pays des investissements directs étrangers. La France a été généralement favorable à toute mesure qui avait pour effet de consolider la sécurité régionale et de ressouder la communauté internationale divisée. 

Dans le dossier iranien, l’idée de ces échanges avec les Allemands en incluant les Britanniques était de lancer une coopération dans une région où la donne avait changé avec la guerre. L’initiative des discussions lancées avec l’Iran pour contenir son programme nucléaire a été graduelle. Le dialogue fut évidemment plus difficile du temps de la présidence d’Ahmadinejad, mais le projet a finalement été repris et cela a fini par déboucher sur la signature de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) de 2015. 

Le format E3 a donc fait ses preuves. Certains pays étaient certes mécontents de ne pas être parties à l’accord, mais l’Union européenne s’est impliquée et elle représente l’ensemble des Etats-membres. Sur ce point, il importe de garder à l’esprit que les pays du P5 conservent une légitimité particulière en matière nucléaire en tant qu’Etats dits « dotés »de l’arme nucléaire au titre du TNP. Certes, l’Allemagne ne fait pas partie du Conseil de sécurité comme membre permanent et n’est pas doté, mais c’est ainsi en diplomatie ; tout ne rentre pas toujours dans des cases. 

Vous consacrez plusieurs passages de votre livre à l’Algérie. Vous écrivez que « ce qui fonde l’originalité de cette relation, c’est que ce n’est pas une relation de pays à pays, mais de peuple à peuple ». Les relations avec l’Algérie ont évolué au fil du temps. Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de la relation franco-algérienne et de son impact sur les équilibres au Maghreb ?

Cette relation est absolument essentielle à notre présent et à notre avenir. Au Quai d’Orsay, je me souviens de mon premier patron qui me disait : il y a deux pays qu’il faut traiter comme la prunelle de vos yeux. Le premier, c’est l’Algérie, car il s’agit là d’une « relation de peuple à peuple  » ; le deuxième, c’est l’Allemagne, car sans une vraie entente franco-allemande, le socle de l’Union européenne peut s’effondrer. 

La relation avec l’Algérie traverse certes des hauts et des bas. Cela est lié également, dans une certaine mesure, à la transition générationnelle que connaît ce pays. Aujourd’hui, les combattants de l’indépendance sont encore au pouvoir. Or, près de 50 % de la population de ce pays a moins de 30 ans : ils attendent de la relation avec la France quelque chose de nouveau. 

Aujourd’hui, les combattants de l’indépendance sont encore au pouvoir. Or, près de 50 % de la population de ce pays a moins de 30 ans : ils attendent de la relation avec la France quelque chose de nouveau. 

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

La relation de l’Algérie avec le Maroc est aujourd’hui difficile, celles avec la Tunisie et la Libye insuffisantes. C’est pour cela que l’on voit Alger porter des initiatives qui visent à lui permettre de reprendre du champ diplomatique : c’est ce que l’on a vu lors du dernier sommet de la Ligue arabe. 

Il nous faut prendre conscience de ces évolutions, en gardant à l’esprit l’importance de l’arrivée au pouvoir de cette nouvelle génération. L’Algérie est un pays aux ressources immenses, elle souhaite parfois voir d’autres visages – pas uniquement des visages français. 

Cela devrait nous inciter à parler davantage à Alger avec nos partenaires européens, et pas seulement ceux de l’Europe méridionale – les Etats d’Europe centrale et les pays de l’Europe du nord ont également beaucoup à apporter à ce dialogue.

Vous soulignez dans votre livre l’importance de l’échelle européenne dans le cadre du dialogue avec la Chine. Récemment, le chancelier Olaf Scholz s’est rendu en Chine à la tête d’une délégation allemande, lors d’une visite qui fut très commentée. Comment les Européens peuvent-ils élaborer vis-à-vis de la Chine des positions communes de façon efficace et organisée ?

Dans les rapports avec la Chine, l’important est de constituer une masse critique dans le rapport de force. Globalement, la France sait par exemple faire valoir ses atouts politiques, l’Allemagne ses atouts industriels, le Royaume-Uni ses atouts financiers, bien que la relation sino-britannique soit particulièrement complexe, du fait du poids du passé colonial britannique en Chine. 

Le principe reste le même : pour convaincre la Chine, il importe de ne pas agir seul. C’était là le sens, lors de la réception de Xi Jinping à l’Elysée en 2019 lors d’une visite d’Etat, de la présence de la chancelière allemande Angela Merkel et du président de la Commission Jean-Claude Juncker. Cela avait contribué à renforcer les positions exprimées à cette occasion sur l’importance de la relation Chine-UE et sur la nécessité de défendre un ordre commercial plus juste. 

Rappelant un tel principe, certains observateurs ont pu déplorer que le Président de la République n’ait pas accompagné Olaf Scholz lors de son déplacement à Pékin en novembre 2022. Or, dans le cadre de cette visite, il me semble qu’il était important, pour les Allemands, qu’Olaf Scholz se rende, cette fois, seul en personne à Pékin, étant donné les incertitudes pesant sur le modèle économique allemand et la politique commerciale et industrielle de ce pays 

Berlin demeure préoccupée par l’idée que l’échec de sa politique russe puisse se reproduire avec la Chine mais hésite à découpler son économie avec ce pays où le chiffre d’affaires de ses grands groupes est considérable. L’Allemagne est dépendante et très divisée sur le sujet. 

De même, il me semble important de garder à l’esprit que les intérêts américains et européens ne se recoupent pas entièrement s’agissant de la relation avec la Chine. Vous remarquerez qu’il vient de se constituer à la chambre des représentants des Etats-Unis en décembre 2022, un Select Committee bipartisan, chargé de travailler sur le durcissement de la politique américaine et le decouplage économique vis-à-vis de la Chine. Je crains que cela n’annonce une période tumultueuse, où les entreprises devront choisir, de façon croissante, entre le modèle occidental – porté par l’OCDE – et celui proposé à l’extérieur dans toutes ses variantes. 

Il me semble important de garder à l’esprit que les intérêts américains et européens ne se recoupent pas entièrement s’agissant de la relation avec la Chine.

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

Ces différences de vue se donnent à voir dans le cas de la stratégie européenne pour l’Indo-Pacifique : notre doctrine ne repose pas sur le principe du containment de la Chine ; il s’agit avant tout d’une politique de lutte contre les hégémonies. Cela ne signifie pas que nous n’ayons pas de nombreux points d’accords avec nos partenaires américains s’agissant des questions dont nous devrions discuter avec la Chine. Nous sommes, en tant qu’européens, entièrement d’accord avec Washington sur la nécessité de défendre un “level playing field” et le respect du droit de la concurrence et de la propriété intellectuelle. On retrouvait ces convergences dans l’accord sur la protection des investissements signé entre l’UE et Pékin fin 2020 et bloqué depuis, du fait des sanctions contre la Chine à propos de la répression des Ouïghours. 

Vous écrivez que la Chine et l’Occident sont deux systèmes clos et éloignés qui ont besoin de “passeurs” pour se comprendre l’un et l’autre. Vous notez également l’ambition chinoise de construire un nouveau multilatéralisme. On voit aujourd’hui la multiplication de différentes initiatives chinoises, tant en matière de développement (Global Development Initiative), qu’en matière sécuritaire (Global Security Initiative). Comment prévoyez-vous l’évolution de la relation entre la Chine et l’Europe à moyen terme ?   

Je crois qu’il nous est nécessaire de trouver un moyen de travailler avec la Chine. Elle n’est pas, à mes yeux, un pays de conquête ; elle est une grande puissance, qui cherche à s’affirmer comme telle. Cela signifie, en revanche, que la Chine peut être amenée à prendre toute une série de mesures unilatérales et sans réciprocité à l’égard desquelles nous devons être très vigilants car le rapport de force joue en sa faveur. Nous devons accorder une attention particulière aux questions relatives au droit de la mer, au détroit de Taïwan et à la liberté de navigation. C’est d’ailleurs ce que nous faisons, en envoyant chaque année des bateaux dans ces eaux pour y affirmer le droit international. 

Car Pékin cherche à défendre un ordre international concurrent. La Chine est à la fois « un rival systémique, un concurrent et un partenaire », selon la formule européenne désormais consacrée. Il s’agit là d’une triangulation : elle est complexe, mais nous devons l’assumer. 

Enfin, n’oublions pas que la Chine est elle-même partagée entre les partisans d’une réforme, plus ou moins proches des idées de Deng Xiaoping, et une ligne nationaliste plus dure, qui défend une moindre ouverture sur le monde. Nous ne devons pas inciter la Chine à s’enfermer sur elle-même. Lorsque j’étais ambassadeur en Chine, j’ai d’ailleurs pu remarquer, à de nombreuses reprises, qu’on peut parler de tout avec les Chinois, en particulier dans le format dit des « apartés ». De leur point de vue, l’essentiel est que ce dialogue ait lieu dans un respect réciproque et sans demander des comptes, encore moins en public. 

Comment percevez-vous l’évolution de ces divergences de vues entre l’Allemagne et la France dans le domaine énergétique ?  

Je pense que la divergence franco-allemande sur les questions énergétiques est aujourd’hui complète. La guerre en Ukraine a fait voler en éclat le modèle économique allemand fondé sur une énergie bon marché qui devait à terme favoriser la transition écologique. Regardez les débats qui ont animé l’Allemagne au sujet du prolongement de la vie de leurs trois derniers réacteurs nucléaires pour six mois, décidée par Olaf Scholz en octobre 2022. Il y a en Allemagne, dès l’origine, un rejet du nucléaire. Je ne pense pas qu’il y aura de retour en arrière sur cette question. Les divergences sur la question de la taxonomie à Bruxelles avaient constitué un épisode marquant de la relation bilatérale. Et aujourd’hui c’est le marché européen de l’énergie qui marque nos différences. 

L’important est aujourd’hui de retrouver avec Berlin, indépendamment de l’énergie, des champs de coopération qui nous permettent de traiter des sujets sur un pied de quasi égalité. Cela n’est pas simple : nos modèles sociaux diffèrent et depuis les réformes Schröder, l’économie allemande a été marquée par un fort dynamisme, au prix d’un coût social très important, avec les « mini-jobs » notamment. Et l’introduction de l’équivalent allemand d’un SMIC a constitué un premier bouleversement de leur modèle économique et social. L’asymétrie entre la France et l’Allemagne s’est accentuée sur le plan industriel et sur le plan de la dette. 

La vocation franco-allemande reste le projet européen. Le discours prononcé à Prague à l’Université Charles par le chancelier Olaf Scholz mérite de s’y arrêter. Ce discours pour plus de souveraineté européenne, un esprit de défense, l’Etat de droit, traduit avant tout une volonté politique de rassembler les Allemands face à une crise ukrainienne qui a divisé le pays et pour laquelle l’engagement est nécessaire. Aujourd’hui, Paris et Berlin doivent regarder ensemble l’horizon européen avec les conséquences de la guerre en Ukraine et le déplacement du centre de gravité vers l’Est. La dynamique entre nous existe ainsi que nous l’avions prouvé en proposant la mutualisation des dettes du plan de relance post covid. A titre personnel, je reste confiant car je suis convaincu que plus de divergence dans la relation franco-allemande signifierait la fin de l’Europe. 

A titre personnel, je reste confiant car je suis convaincu que plus de divergence dans la relation franco-allemande signifierait la fin de l’Europe. 

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

La volonté de travailler ensemble est réelle ; mais elle doit être encore renforcée par des projets communs, susceptibles de mener à des succès partagés dans les domaines civil ou militaire et ouverts à d’autres pays européens. Airbus est un magnifique exemple. La volonté politique d’aller dans ce sens pourra clairement être perçue lors du conseil des ministres franco-allemand du 22 janvier prochain, à l’occasion du soixantième anniversaire du traité de l’Elysée.  

Vous remarquez que l’opposition des populations à la guerre en Irak a permis la « naissance d’une conscience européenne » (p. 92). On semble observer aujourd’hui un autre mouvement : les sondages indiquent un net consensus des sociétés pour le soutien à l’Ukraine et la condamnation de l’agression russe. Assiste-t-on selon vous à la deuxième manifestation de cette conscience européenne ? 

L’expression est de Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères allemand, qui voyait dans l’opposition européenne à la guerre en Irak la “naissance de la conscience européenne”. Aujourd’hui, le consensus dans le soutien à l’Ukraine fonctionne sous la forme d’une opposition à la guerre d’agression menée par la Russie. Il y a là une nouvelle manifestation de la conscience européenne, c’est incontestable. Les neuf paquets de sanctions, la continuité du soutien à l’Ukraine dans les sondages, la volonté des pays européens de continuer à apporter à l’Ukraine une aide militaire ne trompent pas. 

Est-ce le déclenchement d’une guerre à nos portes qui renforce cette conscience européenne ? Saurons-nous endurer collectivement, en tant qu’Européens, les sacrifices inhérents à une telle mobilisation de nos sociétés, alors que la crise énergétique et la rupture des chaînes d’approvisionnement risquent de peser de façon inédite sur le niveau de vie des Français ? Ces questions sont ouvertes, mais l’émergence d’un consensus européen est un facteur nouveau qu’il faudra prendre en compte pour le transformer en projets concrets. 

Saurons-nous endurer collectivement, en tant qu’Européens, les sacrifices inhérents à une telle mobilisation de nos sociétés, alors que la crise énergétique et la rupture des chaînes d’approvisionnement risquent de peser de façon inédite sur le niveau de vie des Français ?

MAURICE GOURDAULT-MONTAGNE

Vous avez également été conseiller diplomatique du Président de la République et son « sherpa », une expérience que vous évoquez à plusieurs reprises dans l’ouvrage. Pouvez-vous revenir pour sur l’origine du terme sherpa, sur le contenu de la fonction et sa place au sein de l’appareil diplomatique français ? 

Vous avez raison de revenir sur l’importance de ce terme, qui n’est pas toujours bien compris. Les sherpas sont une tribu du Népal ; ses membres aident les randonneurs qui partent en expédition de haute montagne à se diriger vers les sommets. Tensing Norgay était ainsi le premier sherpa à atteindre le sommet de l’Everest : il accompagnait Sir Edmund Hilary, qu’il guidait à travers son ascension. 

D’un point de vue plus fonctionnel, le sherpa s’occupe de la préparation des G7 et des G20 et des autres sommets plus largement. Dans de nombreux pays, il s’agit de personnes spécialisées dans les questions économiques. 

En France, le sherpa est également le conseiller diplomatique du Président de la République ce qui présente l’avantage d’une unité de vue sur la globalité des sujets traités y compris sur le plan diplomatique. C’était le cas de nombre de mes prédécesseurs comme Jean-David Levitte, ou Jean-Marc de la Sablière et de tous mes successeurs. 

En France, la diplomatie est très étroitement liée au Président de la République, qui exprime les orientations qu’il veut donner à la politique étrangère de notre pays, cette orientation étant mise en œuvre par le Ministère de l’Europe et des affaires Etrangères et les diplomates. 

En Allemagne, la priorité du chancelier est de créer des majorités au Bundestag. Le ministère des Affaires étrangères allemand a un rôle prépondérant et l’action du chancelier s’articule ainsi avec celle de l’Auswärtiges Amt ; la commission des Affaires étrangères et de défense joue également un rôle central. 

La stratégie de sécurité nationale allemande qui doit être élaborée incessamment par la Ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock va ainsi être discutée au Bundestag. De même, s’agissant de l’exportation potentielle du SCAF, l’avion de combat franco-allemand et espagnol de 5ème génération. Une telle décision ne sera possible dans le système allemand que si le Bundestag l’autorise ; cela illustre le rôle central du Parlement dans la conception de la politique étrangère . 

Au Royaume-Uni, la politique étrangère est pilotée conjointement par le Foreign Office et le Premier ministre. Si l’on y regarde de près, il s’agit là du pays qui nous est souvent le plus proche s’agissant des modalités de prise de décision. Il faut néanmoins relever qu’au Royaume-Uni, le Foreign Affairs Select Committee de la Chambre des Communes joue également un rôle important dans le domaine de la politique extérieure ; il intervient pour aider à trouver des consensus sur des sujets complexes. 

Le processus de décision est bien ce qui différencie souvent les pays car c’est le reflet d’une culture du pouvoir. En Allemagne, une idée est d’abord pensée, confiée à une instance chef de file, puis discutée par les différentes parties prenantes, avant d’être ordonnée et approuvée. Il n’y a pas de place pour l’improvisation y compris dans la mise en œuvre. En France, à l’inverse, le consensus se crée dans la verticalité. C’est dans l’exécution que sont décidées les modalités d’application d’une initiative. Dans l’exécution, on dispose d’une marge de manœuvre, qui permet de mettre de côté ce qui ne marche pas. Il y a entre nos deux systèmes une forme de complémentarité. 

Vous écrivez dans la première partie de l’ouvrage, que vous avez compris au fil de vos expériences que « la politique intérieure dominait tout, y compris la politique étrangère ». Vos premiers chapitres entrent dans les détails des rouages de Matignon. On se souvient aujourd’hui des propos programmatiques tenus par des proches du président américain Biden, comme l’actuel National Security Advisor Jake Sullivan, qui affirme que les États-Unis doivent redéfinir leur politique étrangère pour qu’elle soit pensée « pour améliorer la vie des classes moyennes ». Pensez-vous que de tels principes puissent guider une politique étrangère, et voyez-vous une traduction concrète de cette velléité dans la politique étrangère menée par les États-Unis ? 

Cette stratégie n’est pas nouvelle ; elle marquait déjà la politique de l’administration Trump vis-à-vis de la Chine. L’idée est de remettre les classes moyennes « déclassées » au centre des politiques publiques. Pour Donald Trump, c’est la politique manufacturière à bas coûts de la Chine qui a détruit des pans entiers de l’économie américaine. Il faut donc empêcher que ce qui s’est produit dans le domaine industriel ne se produise dans le domaine stratégique des technologies de pointe intelligence artificielle, fibre optique, semi-conducteurs, etc…. Il s’agit donc tant d’une politique menée vis-à-vis des classes moyennes, au plan intérieur, que d’une stratégie globale qui s’inscrit dans le cadre d’une compétition sino-américaine renforcée. 

Ce même principe peut-il être appliqué à la politique étrangère française ? Je prendrais un seul exemple, tiré de la politique des visas avec le Maghreb. Une partie de l’opinion considère qu’il faudrait restreindre la politique des visas. Or la relation que nous avons avec les pays de la région exige que nous trouvions un certain équilibre dans notre politique des visas. Mais lequel ? ce doit être l’objet d’une attention toute particulière des deux côtés car les équilibres sociaux avec leurs conséquences politiques en dépendent. Comme je l’ai dit s’agissant notamment de l’Algérie, la mobilité des populations, dans une relation « entre peuples », est un élément très important. C’est un domaine où incontestablement la politique étrangère et la politique intérieure sont irrémédiablement imbriquées et avec lequel on ne peut jouer impunément.

SOURCES
  1. C’est en 1522 que les conséquences de l’imprimerie se font le plus clairement ressentir dans le domaine religieux : c’est en cette même année que Luther traduit pour la première fois le nouveau Testament en langue allemande, à partir du texte grec édité par Erasme.





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