Jacques Pessis consacre ce soir un documentaire à Pierre Dac, speaker de la France libre et prince des loufoques. Sur France 5 à 22h20
Il y a des parcours qui imposent le respect. On se sent à la fois, petit et reconnaissant, ému et fasciné par cet homme d’1,63 m qui parla à d’autres Français dans des circonstances tragiques. À Londres, il fut un combattant féroce. Sa voix résonne encore dans le poste. Inlassablement, à coups de billets et de chroniques, il mata la confiance de l’occupant et sapa le moral des collabos. Il fut l’ennemi public numéro 1 de Radio-Paris. Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande du gouvernement Laval le poursuivit de sa hargne fétide. Le chansonnier de la France libre lui écrivit la plus belle épitaphe sanglante et victorieuse, quelques jours avant que la Résistance n’abatte ce suppôt d’Hitler dans sa chambre à coucher.
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Pierre Dac (1893-1975) n’a jamais reculé devant ses responsabilités historiques. Déjà, durant la Première Guerre mondiale, dans son uniforme de caporal d’infanterie, il avait laissé sur le champ de bataille, un bras gauche en vrac. Dans les professions récréatives où les hommes de spectacle et de divertissement souvent planqués donnent la leçon aux populations et sont si prompts à professer l’engagement, son exemple est rare. Il fut notre honneur et notre espoir. Blessé, décoré, il s’enorgueillissait même d’être le seul civil membre d’honneur du groupe Lorraine. Il ne pardonnait rien aux résistants de 1945. Cet insolite, mot qu’il chérissait par-dessus tout, né un 15 août comme Napoléon, a toute sa vie pratiqué le « self-défense » et le rire comme arme de destruction massive. Un humour juif patiné par l’ambiance gouailleuse des cabarets montmartrois et mâtiné de fog anglais. Un précurseur de l’absurde et de la dingue diphtongue, d’un sabir chantant et du faussement protocolaire, bien avant Raymond Devos, Coluche, les Nuls ou le GORAFI.
Le parti d’en rire
En 1969, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission « Radioscopie », il déclarait : « Je porte en moi incontestablement plus de 5 000 ans d’hébraïsme ». Pierre Dac est né André Isaac d’un père boucher, un signe céleste pour celui qui débuta à « La Vache enragée ». Il se destinait à une carrière de violoniste, un éclat d’obus en décida autrement. Plus tard, il avouera qu’il « jouait comme une seringue ». Après divers métiers, chauffeur de taxi maladroit ou représentant de commerce timoré, c’est sur scène, en chansons et en sketchs, que son talent pour détourner les mots va exploser. Jacques Pessis, grand spécialiste de cet artiste majeur aussi iconoclaste que secret, amoureux de sa femme et pionnier de l’humour à la TSF, sorte de professeur Champignac allumé, retrace son existence, vendredi 21 avril sur France 5, dans un documentaire très réussi intitulé « Pierre Dac, le parti d’en rire ». Il n’élude rien des doutes et des succès de l’artiste, de ses huit ans de dépression nerveuse qui aboutirent à une tentative de suicide, de ses difficultés pour rejoindre de Gaulle, de la prison en Espagne, jusqu’au “Sâr Rabindranath Duval” dont la mécanique absurde fonctionne encore aujourd’hui auprès d’un public pourtant biberonné à la virtualité.
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Fondateur de la Société des Loufoques et rédacteur en chef de la revue L’Os à moelle créée en 1938, Pierre Dac est l’inventeur, entre autres, du sandwich au pain et du Schmilblick, ainsi que le rédacteur de petites annonces farfelues comme cette demande d’emploi : « Cuisinière cuisinant mal, cherche place chez ménage hargneux manquant de sujets de scènes de ménage. Se mettra du côté du plus offrant » ou celle-ci: « Timide si vous n’osez pas prendre la Bastille, prenez le train à la gare de la Bastille ». Pour la blague, il lança même un mouvement « le MOU » et posa sa candidature à l’Elysée-Matignon. C’est avec Francis Blanche, son fils spirituel, qu’il demeure dans nos mémoires télévisuelles. Nos parents se souviennent de « Signé Furax », le feuilleton radiophonique qu’il ne fallait rater sous aucun prétexte et de ce mystérieux « boudin sacré ». Ils étaient fous et inspirés, complètement barges comme l’atteste cet épisode au nom improbable : « la villa de la matraque sucrée ». Au cours de ce film, on voit une famille d’esprit se dessiner, Jean Yanne et Claude Piéplu sont de la partie, et on peut le dire : « cet humour nous manque ! ».
Pierre Dac, le parti d’en rire, film de Jacques Pessis – Vendredi 21 avril – 22 h 20 – France 5