22 JANVIER 1963

 Le 22 janvier 1963, les deux pays signaient un traité de coopération scellant leur réconciliation. Cette relation privilégiée reste d’autant plus centrale en Europe que le continent doit composer avec le Brexit et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, estiment les chercheurs William Leday et Felicitas Holzer.

par Felicitas Holzer, Enseignante-chercheure en philosophie politique à l'université de Zurich et William Leday, Enseignant en relations internationales à Sciences-Po Aix-en-Provence
publié le 21 janvier 2023 à 16h52
 

Europe  Soixante ans du traité de l’Elysée : où en est le couple franco-allemand ?

Le 22 janvier 1963, les deux pays signaient un traité de coopération scellant leur réconciliation. Cette relation privilégiée reste d’autant plus centrale en Europe que le continent doit composer avec le Brexit et l’invasion de l’Ukraine. Lire plus

Tribunes



Pensé politiquement dès 1958, porté sur les fonts baptismaux avec la signature du traité de l’Elysée en 1963 par le président De Gaulle et le chancelier Adenauer, le couple franco-allemand – qualifié plus sobrement de tandem ou de partenariat en Allemagne –, n’a jamais été aussi effacé au sein d’un édifice européen confronté à plusieurs crises. Alors que la perception positive entre les deux peuples reflète plutôt une relation apaisée qu’une supposée indifférence (les enquêtes d’opinion de part et d’autre du Rhin montrent des opinions positives oscillant autour de 85 %-90 %), les divergences politiques n’ont jamais été aussi nombreuses. En témoigne, l’annulation du Conseil des ministres franco-allemand le 26 octobre censé scander politiquement la relation entre nos deux pays. Alors qu’elle célèbre ses noces de diamant, cette relation franco-allemande peut se réinventer pour relever les défis qui s’imposent à l’Europe.

Issu d’un processus de réconciliation considéré et célébré comme un modèle, le couple franco-allemand a en grande partie façonné l’édifice européen. Les grandes avancées européennes n’ont été possibles que lorsque ces deux grands pays s’accordaient de façon proactive et que les deux chefs d’Etat portaient ensemble une volonté politique, prouvant au passage que la relation franco-allemande est aussi une affaire d’incarnation comme l’ont illustré François Mitterrand et Helmut Kohl. Depuis lors, une forme de froideur semble s’être installée entre les dirigeants des deux pays, exception faite des moments de crise qui provoquent une réaction concertée telle l’opposition de Paris et de Berlin face à l’intervention des Etats-Unis en Irak en 2003 ou à l’occasion de la crise financière de 2008 qui menaçait l’Euro.

Des divergences depuis les années 90

La réunification express de l’Allemagne en 1990 – les réticences de François Mitterrand et de Margaret Thatcher faisant écho à l’empressement de Helmut Kohl – puis le choix d’une politique de désinflation compétitive par la coalition emmenée par le SPD de Gerhard Schröder, a achevé de découpler les deux pays et mis fin aux termes tacites du contrat les liant. En effet en 1963, la France et l’Allemagne assumaient des ambitions différentes : à Paris, la grande politique, notamment en Europe, supposée porter un universalisme que le général De Gaulle et ses successeurs entendaient perpétuer ; à Berlin, le rôle de locomotive économique au sein d’un marché commun dans lequel elle a su redéployer son génie industriel. Depuis les années 90, les divergences entre les deux pays se sont multipliées, et Berlin a pris l’ascendant économique et entend désormais abandonner sa pusillanimité sur le plan international. Il est loin le temps où comme l’écrivait Zbigniew Brzezinski «à travers la construction européenne, la France vise la réincarnation, l’Allemagne la rédemption».

Dans ce chaos mondial provoqué par le délitement de l’ordre international, l’affaissement des sociétés démocratiques, le dérèglement climatique, la France et l’Allemagne voient leurs modèles respectifs remis en cause. L’influence de la France à l’international est battue en brèche comme l’illustre son retrait progressif de l’espace saharo-sahélien. Si elle pèse encore par les leviers classiques de la puissance tels que son siège de membre permanent du Conseil de sécurité ou la dissuasion nucléaire, son influence tend de plus en plus à correspondre à son véritable poids économique.

Ce reflux de l’influence française, à l’œuvre depuis plusieurs années déjà, coïncide désormais avec l’ébranlement du modèle et de la stratégie de l’Allemagne par la guerre russo-ukrainienne. L’appariement énergétique avec Moscou signe l’échec de la stratégie engagée par Gerhard Schröder et Angela Merkel (tant sur le plan économique que diplomatique), et les décisions prises sans concertation par le chancelier Olaf Scholz d’un réarmement massif de la Bundeswehr (100 milliards d’euros) ou son déplacement officiel en Chine creusent un peu plus le fossé entre Paris et Berlin en matière d’orientation stratégique.

Entre les péril extérieur et différends internes

Le conflit ukrainien et ses conséquences, l’«Inflation Reduction Act» des Etats-Unis ainsi que le Brexit favorisent une centralité nouvelle du couple franco-allemand. En effet, ces menaces externes et le départ du Royaume-Uni sont pour les Allemands et les Français une opportunité de tracer ensemble une nouvelle perspective pour eux-mêmes et pour l’Union européenne. Les sujets ne manquent pas, que ce soit les questions énergétiques (en dépit des divergences) ou l’urgence de penser un modèle agricole respectueux du vivant et de l’environnement… De même, sur le plan international, la masse critique et complémentaire d’un point de vue géopolitique des deux pays devrait inciter Berlin et Paris à croiser et accorder leurs regards et leurs influences. Cela suppose au préalable une analyse partagée des risques, des menaces et des moyens d’action sur un spectre allant du soft (la culture) au hard power (la dissuasion nucléaire).

Au-delà, et comme le proposait Joschka Fischer en 2000, dans la mesure où une convention telle que celle de 2004 semble inenvisageable, le couple franco-allemand peut constituer le noyau de cette avant-garde d’Etats volontaires visant un approfondissement du projet européen autour de ses valeurs. Cela suppose, sous la contrainte du péril extérieur, de dépasser les différends internes au couple et ainsi retrouver un rôle moteur au profil de l’ensemble européen, reste à trouver la volonté politique des deux côtés du Rhin.





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