«2023, une espérance pour la France »
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Si l'on ajoute à cela le grand ébranlement des repères anthropologiques qui depuis des siècles structuraient notre existence - la famille, la filiation, la complémentarité des sexes… - et qui semblent désormais vaciller sous les assauts de cette offensive wokiste venue d'outre-Atlantique qui prétend changer nos façons d'écrire et de parler, mais aussi de vivre et d'aimer, on aura le tableau presque complet de ce que Jacques Julliard, trouvant une fois de plus le mot juste, nommait récemment dans les colonnes du Figaro, sans crainte d'encourir les foudres des Pangloss du progressisme, le « déclin français ».
De ce déclin, il serait aussi absurde qu'injuste de faire d'Emmanuel Macron l'unique – ou même le principal – responsable. Le grand déclassement dont nous voyons aujourd'hui les stigmates n'a pas attendu l'avènement du président pour commencer : le plus souvent, les maux qui nous accablent plongent leurs racines dans un lointain passé. On ne saurait comprendre la débâcle de la SNCF sans remonter à l'après-guerre et à la mainmise des communistes et de la CGT sur la société publique. La dégringolade de l'Éducation nationale se joue dans la foulée de Mai 68, quand une poignée de syndicalistes drapés dans leur idéologie égalitaire imposent leur loi à une droite déjà prête à courber l'échine. Le naufrage des retraites est programmé en 1982 quand François Mitterrand passe de 65 à 60 ans : quarante ans après, nous n'avons toujours pas remonté la pente, et il est douteux que cela soit le cas cette année. Le drame de l'hôpital et de la médecine de ville se noue au tournant des années 1990, quand, plutôt que de présenter aux usagers la facture d'un système évidemment coûteux, on a préféré le passer sous la toise d'une culture dite « managériale », en fait essentiellement bureaucratique…
Etc., etc. On pourrait continuer longtemps : il faut lire, d'ailleurs, le deuxième tome de la remarquable Histoire intime de la Ve République, de Franz-Olivier Giesbert (Gallimard), pour mesurer combien durant cette « Belle époque », qui ne l'était finalement pas tant que cela, « tous les germes étaient à l'œuvre, à bas bruit, d'un délitement qu'on voyait venir sans oser l'avouer ».
Mais voilà, aujourd'hui, c'est Emmanuel Macron qui est « en responsabilité » (comme on dit maintenant, pour ne pas dire « au pouvoir » - peut-être parce qu'on n'ose plus l'exercer), et c'est à lui que revient le fardeau. Comme tous les autres depuis 1974, il a creusé avec les meilleures raisons du monde le gouffre de la dette (allégrement, il est vrai), mais, parce qu'elle atteint les 3 000 milliards au moment où les taux d'intérêt commencent à monter, c'est aujourd'hui qu'elle n'est plus supportable. Comme tous les autres depuis à peu près la même époque, il a alimenté la machine folle de l'immigration sans contrôle, mais, parce que même le ministre de l'Intérieur doit faire le lien avec l'augmentation de la délinquance, c'est aujourd'hui qu'elle n'est plus (ou très mal) supportée.
Ironie de l'Histoire : voyageur sans bagages, venu de nulle part, héritier de personne, Emmanuel Macron imaginait être à lui seul sa propre cause ; le voici condamné à être l'homme des conséquences. On conçoit qu'il en éprouve parfois un peu de découragement.
Depuis sa drôle de victoire, depuis cette étrange soirée du Champ-de-Mars sans joie ni élan, le chef de l'État, dont un inoxydable optimisme était jusqu'ici la marque de fabrique, semble en effet traverser une phase d'incertitude et d'hésitation. Le brillant communicant, le tacticien habile, cherche refuge dans la diplomatie et paraît moins à son affaire sur la scène intérieure. Comme si une étrange malédiction l'avait frappé au soir de sa réélection, comme si un ressort, en se brisant, avait soudain bridé son naturel, émoussé ses réflexes et son imagination…
Et s'il n'y avait que lui ! Par un curieux effet miroir, les Français donnent le sentiment de partager ce moment de déprime. Plus résignés que révoltés, loin des emportements qui furent les leurs au temps des « gilets jaunes », ils subissent sans mot dire les grèves, les coupures et les ratages en tous genres ; ils encaissent sans barguigner les chèques qui leurs sont distribués au nom du « quoi qu'il en coûte » ; et, pour le reste, se désintéressent chaque jour davantage d'un jeu politique dont ils ne semblent plus rien attendre, ni pour eux-mêmes ni pour le pays. La fracture civique qui se creuse est pour l'heure comme un trou noir où disparaît jusqu'à la colère, mais il y a dans ce vide qui gagne, dans ce découragement qui s'installe, dans cet « à quoi bon » généralisé, quelque chose, pour l'avenir, de profondément inquiétant.
Bien sûr, la situation économique est difficile. Bien sûr, il y a l'inflation. Bien sûr, la tenaille budgétaire se referme. Bien sûr, la France n'a jamais été facile à réformer. Bien sûr, l'absence de majorité absolue à l'Assemblée ne facilite pas les choses. Mais rien ne serait pire qu'un pays qui baisse les bras, qu'une nation qui abandonne, qu'un peuple qui cède au démon de l'acédie.
Non, tout n'est pas une question de moyens financiers ! L'école, par exemple. Depuis 2013 la Cour des comptes le martèle : « L'Éducation nationale ne souffre pas d'un manque de moyens, mais d'une utilisation défaillante des moyens existants. » Même en matière migratoire, où Dieu sait pourtant que les règles européennes sont contraignantes, la France n'est pas davantage réduite à l'impuissance ! « La Constitution se révise, un traité se renégocie », rappelait dans les colonnes du Figaro l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Éric Schoettl, partisan d'inscrire dans notre Loi fondamentale une possibilité parlementaire de « passer outre » les jurisprudences paralysantes du droit européen. Dans ces domaines-là, comme dans bien d'autres, il est encore possible de remettre les choses à l'endroit.
Cela suppose tout d'abord de ne pas donner dans tous les panneaux : ce n'est pas en luttant contre les « inégalités de genre » à l'école maternelle que l'on relèvera l'école, ni en camouflant un nouveau train de régularisations derrière un titre de séjour pour les métiers en tension que l'on reprendra le contrôle de l'immigration. Ce n'est pas non plus en inventant une énième réforme institutionnelle, ni en découvrant qu'il serait urgent de légaliser l'euthanasie, que l'on fera reculer si peu que ce soit les problèmes du pays. Ces manœuvres de diversion ont trop servi.
Cela suppose évidemment d'avoir le courage d'aller au bout des réformes nécessaires, sans biaiser ni finasser. Il y a un génie français pour édifier des cathédrales législatives et ensuite consentir à des exceptions, distribuer des compensations, prodiguer des consolations, tant et si bien qu'à la fin il ne reste quasiment plus rien de l'ambition initiale ni des économies envisagées ! Nous verrons si la réforme des retraites, évidemment indispensable, saura y échapper.
Cela suppose surtout de s'appuyer sur les forces vives, de galvaniser les énergies – elles existent, en dehors des forces politiques (de ce point de vue, l'intuition d'Emmanuel Macron n'était pas fausse ; il a simplement échoué à la concrétiser) - qui font passer le destin de la France avant les querelles de boutique et les intérêts particuliers.
Car, oui, il y a en France une élite invisible : des enseignants dévoués corps et âme à l'instruction des enfants ; des soignants qui s'épuisent jour et nuit au chevet de leurs patients ; des chefs d'entreprise et des salariés qui sacrifient tout pour produire, exporter, conquérir des parts de marché ; des policiers qui se mettent en danger pour protéger leurs concitoyens ; des militaires qui risquent leur vie pour leur pays. Il y a des hommes et des femmes - gageons qu'ils sont une majorité ! - qui récusent la folie déconstructrice, qui considèrent que la France n'a pas vocation à se dissoudre dans un magma sans âme, que notre civilisation mérite d'être défendue, notre territoire protégé. Si l'on veut que ceux-là se mobilisent, peut-être faudrait-il commencer par leur parler !
Cette exigence patriotique, au sens le plus noble du terme, c'est celle que Serge Dassault a inlassablement martelée dans ces colonnes. C'est celle qu'Olivier Dassault a proclamée ici même après lui. Contre les vents du doute et du découragement, Le Figaro continuera de la revendiquer. Plus que jamais nous avons foi en la France. Plus que jamais nous nourrissons pour notre pays de hautes espérances.