Pourquoi les habitants de Lorient et Saint-Nazaire ont attendu 9 mois avant d’être libérés en 1945

Alors que la plupart des villes françaises sont libérées en août 1944, les Allemands retranchés à Lorient et à Saint-Nazaire ne se rendront qu’après la mort d’Hitler et la capitulation allemande, en mai 1945. Neuf mois plus tard ! Quatrième épisode de la série du magazine Bretons consacrée à la Seconde Guerre mondiale en Bretagne.


Des Lorientais sinistrés attendant un car à la gare routière pour fuir la ville, en janvier 1943.
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En mai 2015, auprès du journal 20 Minutes , Stéphane Glotin, un Nazairien de 92 ans, confiait ses souvenirs amers du mois d’août 1944. « On a su qu’à Nantes, les gens faisaient la fête. Ils étaient au courant pour la poche, mais ils ne se rendaient pas compte. Ça a été le front oublié. » À Nantes, à Rennes, à Paris ou ailleurs, on célèbre en effet la Libération du pays. On souhaite un retour rapide à la vie normale, on reprend espoir. Et on oublie bien vite que des parties du territoire national restent pourtant occupées.

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Car à Saint-Nazaire et à Lorient, mais aussi à La Rochelle et à Royan, les Allemands ne sont pas encore partis. Ils vont même se retrancher dans ces « poches » pendant de longs mois, y tenant un véritable siège rendant la vie des civils qui y sont emprisonnés extrêmement difficile.

Pourquoi cette situation ? En janvier 1944, alors que le vent a tourné et qu’Hitler sent le danger approcher, il prend la décision de constituer sur le littoral, dans les ports les plus importants, des Festungen, de vraies forteresses devant servir de bastions pour tenir le mur de l’Atlantique et résister à l’ennemi. En cas de repli, ces bases devaient être le point de départ de futures contre-attaques.

Louison Bobet parmi les volontaires

Pourtant, après le Débarquement, ces Festungen chutent les unes après les autres : Cherbourg, Saint-Malo, Le Havre, Brest, Calais et Boulogne. Seules celles de la façade atlantique tiennent bon : Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle, Royan et la pointe de Grave. Mais le siège de Brest a servi de leçon aux Américains, qui y ont laissé 2 000 hommes. Les batailles importantes se mènent désormais à l’Est. Pour ces poches, on se contentera d’une guerre d’usure, d’une opération de containment : bloquer les soldats allemands, en les maintenant dans ces zones délimitées, jusqu’à la chute d’Hitler.

En Bretagne, deux poches subsistent, donc. À Lorient, elle s’est constituée autour de la formidable base que l’Organisation Todt a bâtie. Pouvant accueillir une quarantaine de sous-marins, elle est un ouvrage sans équivalent dans le monde. La base de Keroman est protégée par un dispositif important, une série de batteries côtières qui s’étend de Quiberon à Groix.

La poche de Lorient s’étire de la Laïta, à l’ouest, jusqu’à la presqu’île de Quiberon, englobant aussi Groix, Belle-Île, Hoëdic et Houat. Soit vingt-cinq communes, 150 km², où il reste moins de 25 000 civils que les Allemands incitent à partir. Une ceinture défensive est mise en place, à l’intérieur de laquelle sont retranchés 25 000 soldats allemands sous le commandement du général Wilhelm Fahrmbacher et de l’amiral Walter Matthiae. En face : 5 000 Américains mais également 12 000 maquisards, qui sont intégrés dans l’armée régulière du général de Larminat. Parmi ces engagés volontaires, comme le note Rémy Desquesnes, auteur des Poches de résistance allemandes : Louison Bobet, chargeur de mortier, qui deviendra un grand champion cycliste après-guerre.

120 000 civils coincés

À Saint-Nazaire, la poche atteint une tout autre dimension : plus de 1 500 km², s’étendant de la Vilaine, au nord, jusqu’à Pornic, au sud, et jusqu’à Blain, à l’est, en passant par Fay et Le Temple-de-Bretagne. Là aussi, l’embouchure de la Loire et la base de U-Boot de Saint-Nazaire sont protégées par un impressionnant dispositif, incluant une redoutable Flak anti-aérienne. « Saint-Nazaire est la plus grande et la plus puissante des Festung allemandes », écrit Rémy Desquesnes. 30 000 soldats y stationnent, sous les ordres du général d’aviation Hans Junck. On y trouve un contingent italien, mais également des troupes auxiliaires venues de l’Est, notamment des Ukrainiens. Plus de 120 000 civils y sont coincés, que l’on évacue aussi progressivement à l’automne 1944.

En face, 15 000 FFI et les hommes de la 94e division d’infanterie du général Malony, remplacée le 1er janvier 1945 par la 66e division d’infanterie du général Kramer, dont 88 de ses hommes sont morts dans le torpillage du Léopoldville au large de Cherbourg.

À Lorient comme à Saint-Nazaire, les accrochages sont nombreux, et les tirs d’artillerie, presque quotidiens. Rémy Desquesnes raconte ainsi que, fin octobre 1944, un bataillon allemand lance une offensive en direction de Nostang et s’empare du village de Sainte-Hélène. « Ce succès pourtant limité sera monté en épingle par « radio Berlin » et montré au peuple allemand comme une grande victoire. » L’aviation alliée détruira ensuite le pont Lorois, la seule liaison terrestre entre Lorient et la presqu’île de Quiberon, ce qui compliquera encore plus les problèmes de ravitaillement.

Car, à Lorient comme à Saint-Nazaire, c’est une question cruciale. Malgré l’arrivée de sous-marins et de quelques parachutages, les vivres et l’équipement se font rares. C’est ce qui justifie notamment les excursions allemandes vers les terres fertiles du pays de Retz. Les Allemands se fournissent auprès de la population locale, en payant comptant. Les troupes françaises, elles, ne délivrent bien souvent que des reconnaissances de dette, ce qui n’enthousiasme pas les paysans…

Reste que tenir le moral de ces troupes enfermées n’est pas des plus évidents. Rémy Desquesnes écrit : « Pour combattre toute lassitude ou tout défaitisme entraînés par l’isolement, l’éloignement de ses proches, la dureté des conditions de vie, le sévère rationnement du tabac (deux cigarettes par jour à Lorient), les bombardements quotidiens ou les effets des tracts lancés par les avions alliés ou par obus d’artillerie invitant les soldats à déserter, le commandement multipliait concerts, chorales, représentations théâtrales et matches de football. Un petit journal voyait le jour dans les poches avec mission de remotiver les troupes en transformant le moindre succès lors d’un raid contre les assiégeants en une victoire éclatante et prometteuse ».

Les désertions, souvent le fait de soldats de l’Est, sont pourtant une réalité. En septembre 1944, le colonel ukrainien Potiereyka s’enfuit ainsi avec 300 hommes et se rend aux forces de la Résistance. Mais, quand ces déserteurs sont attrapés, ils sont systématiquement fusillés ou pendus.

L’hiver est très dur, la neige est abondante cette année-là. Du côté des soldats alliés, on souffre également, surtout chez les engagés volontaires français, qui manquent de tout et vivent dans le dénuement : pas de vêtements chauds, de linge de rechange, de savon, de casques… Même les armes font défaut. Quant aux quelques habitants restés dans les poches, surtout dans les villes, leur position n’est guère plus enviable : quand ils ne sont pas réquisitionnés par les Allemands pour différents travaux, ils vivent aussi dans les privations et sous la menace permanente d’un tir d’artillerie ou d’un bombardement. Des formes de résistance (renseignement, passeur) se mettent pourtant en place. « Le dernier fusillé de Bretagne, Jean de Neyman, un étudiant strasbourgeois communiste, l’est dans la poche de Saint-Nazaire le 2 septembre 1944 : il a été condamné à mort pour avoir aidé un déserteur allemand », raconte ainsi Christian Bougeard dans La Bretagne de l’Occupation à la Libération.


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Même si la libération des poches n’est pas une priorité aux yeux des Alliés, elle le devient pour le général de Gaulle, qui tolère difficilement de voir des parties du territoire français toujours sous la coupe des Allemands. Pour restaurer le prestige de l’armée française, il entend d’ailleurs qu’elle œuvre elle-même à la libération de certaines d’entre elles. Ce sera le cas de La Rochelle, de Royan et de la pointe de Grave. Mais, pour Saint-Nazaire et Lorient, les forces alliées, aidées d’unités d’infanterie françaises, restent à la manœuvre.

Reddition dans un café d’Etel

Hitler, reclus dans un bunker à Berlin, se suicide le 30 avril. Dès le 7 mai, un premier acte de capitulation du Troisième Reich est signé à Reims. Les dirigeants allemands de la poche de Lorient se rendent à Etel le lendemain, traversant la rivière sur des canots pneumatiques, pour signer dans un café leur acte de reddition. Le 10, une cérémonie officielle entérine les choses à Caudan. Des redditions isolées se tiendront à Groix et à Belle-Île.




Signature de la reddition de la poche de Lorient au Café Breton à Etel, le 7 mai 1945. | COLLECTION ARCHIVES DE LORIENT – 69FI53Voir  n écr


Pour Saint-Nazaire, c’est à Cordemais, le 8 mai, que sont négociées les conditions de la capitulation : aucune destruction ne doit intervenir à l’intérieur de la base, les mines et les obstacles doivent être enlevés, et les fossés antichars, comblés. La cérémonie officielle de reddition a lieu le 11 mai au matin, à Bouvron. Le général Junck remet alors son pistolet au général américain Kramer, accompagné du général français Chomel. Tandis que le reste de la France était libéré, les combats des poches de Lorient et de Saint-Nazaire auront encore coûté près d’un millier d’hommes.

Cet article a été initialement publié dans le magazine Bretons en mars 2022.


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