Paul McCartney

 

Il y a cinquante ans, le séjour rock’n’roll de Paul McCartney à Lagos pour renouer avec le succès

LES ALBUMS DE 1973

  Août 1973. 

L’ex-Beatles file au Nigeria pour y enregistrer avec son nouveau groupe, Wings, l’album qui lui donnera un nouvel élan : “Band on the Run”. Récit de cet épisode mouvementé.

Le 29 août 1973, à l’aéroport londonien de Heathrow, les six personnes qui se présentent à l’embarquement pour Lagos, au Nigeria, n’ont pas trop l’air d’un groupe de rock. Bien sûr on reconnaît parmi elles Paul McCartney, dont la formation précédente, The Beatles, est dans toutes les mémoires. Que son épouse, Linda, l’accompagne n’a rien d’étonnant, elle est aussi sa partenaire musicale, depuis que Paul s’est lancé en solo. Quant aux trois enfants, dont la plus petite, Stella, n’a pas 2 ans, on ne pouvait les laisser seuls à la maison. À ce tableau de famille s’ajoute Denny Laine, fidèle accompagnateur de McCartney depuis 1971. Date à laquelle celui-ci s’est décidé à former un vrai groupe et l’a baptisé Wings, un nom idéal pour décoller. Car les premières tentatives sous le propre nom du plus fameux bassiste au monde ont suscité des critiques plutôt vachardes. Cela fait sourire à présent puisque l’album Ram (signé Paul & Linda McCartney) est justement considéré comme une de ses plus belles réussites. Mais pour la plupart des fans et des médias, Paul est alors jugé responsable de la rupture fatale avec John Lennon, donc de la fin d’une épopée fabuleuse. Deux autres disques avec Wings (Wild Life et Red Rose Speedway), sortis à la va-vite, n’ont guère arrangé les choses. Et, en cette fin d’été 1973, c’est l’existence même du groupe qui vacille


Au cœur des Wings, et de l’album « Band on the Run », Paul Mc Cartney, sa femme Linda et Denny Laine.

Au cœur des Wings, et de l’album « Band on the Run », Paul Mc Cartney, sa femme Linda et Denny Laine. Photo Clive Arrowsmith/CAMERA PRESS

Par François Gorin

Publié le 21 août 2023 à 06h30

Mis à jour le 21 août 2023 à 17h52

 
 
 
 
 
 

Le 29 août 1973, à l’aéroport londonien de Heathrow, les six personnes qui se présentent à l’embarquement pour Lagos, au Nigeria, n’ont pas trop l’air d’un groupe de rock. Bien sûr on reconnaît parmi elles Paul McCartney, dont la formation précédente, The Beatles, est dans toutes les mémoires. Que son épouse, Linda, l’accompagne n’a rien d’étonnant, elle est aussi sa partenaire musicale, depuis que Paul s’est lancé en solo. Quant aux trois enfants, dont la plus petite, Stella, n’a pas 2 ans, on ne pouvait les laisser seuls à la maison. À ce tableau de famille s’ajoute Denny Laine, fidèle accompagnateur de McCartney depuis 1971. Date à laquelle celui-ci s’est décidé à former un vrai groupe et l’a baptisé Wings, un nom idéal pour décoller.

Car les premières tentatives sous le propre nom du plus fameux bassiste au monde ont suscité des critiques plutôt vachardes. Cela fait sourire à présent puisque l’album Ram (signé Paul & Linda McCartney) est justement considéré comme une de ses plus belles réussites. Mais pour la plupart des fans et des médias, Paul est alors jugé responsable de la rupture fatale avec John Lennon, donc de la fin d’une épopée fabuleuse. Deux autres disques avec Wings (Wild Life et Red Rose Speedway), sortis à la va-vite, n’ont guère arrangé les choses. Et, en cette fin d’été 1973, c’est l’existence même du groupe qui vacille. Denny Laine, dont la compagne vient juste d’accoucher, était quasiment persuadé, en prenant le chemin de l’aéroport, que ça en était terminé de Wings.

C’est que, deux semaines avant le départ pour Lagos, où ils doivent enregistrer un nouvel album, la troupe a perdu deux unités : le guitariste Henry McCullough et le batteur Denny Seiwell. On répétait à Low Ranachan, une ferme proche de la propriété écossaise des McCartney, qui pouvaient s’y rendre à cheval. Au fil des séances, des tensions n’ont pas tardé à se faire jour entre McCullough, un Irlandais dont le fort caractère n’est pas adouci par l’alcool, et son patron, qui insiste pour lui faire jouer des solos selon ses indications strictes. Une dispute a fini par éclater et l’irascible Henry n’étant pas revenu au bercail, son copain new-yorkais Denny Seiwell a pris la porte à son tour. Mi-philosophe, mi-revanchard, l’ancien Beatles se jure alors de faire un album sur lequel ces deux lâcheurs vont regretter de ne pas être.

Ambiance pas vraiment cool

Mais pourquoi partir à Lagos ? Paul a eu envie de changer d’air. Il a consulté la liste des studios que sa maison de disque, EMI, possède à l’étranger. Un peu comme on le ferait du dépliant d’une agence de voyages. Son doigt posé sur un point de la carte à l’ouest de l’Afrique, il s’est mis à rêver : la splendide musique africaine, la plage avant d’aller travailler peinard au studio… Une fois sur place, la réalité que découvre le trio de musiciens est moins réjouissante. À commencer par la saison des moussons, peu propice au farniente couvert de crème solaire. Puis le Nigeria est dirigé d’une main de fer par le régime militaire du président Yakubu « Jack » Gowon, le même qui, quelques années plus tôt, réprimait férocement la tentative de sécession du Biafra. L’ambiance à Lagos n’est pas vraiment cool, et la tribu McCartney est certes coquettement logée dans deux villas de la banlieue chic d’Ikeja, mais sous la protection d’agents de sécurité.

Situé dans le quartier portuaire d’Apapa, le studio est, lui, dans état de délabrement inattendu. Le matériel est sommaire, l’humidité, partout. En l’absence de cabine insonorisée, on doit en construire une, et Paul lui-même donne un coup de marteau. L’enregistrement peut commencer. Orphelin du prestige – et du succès – de son ancien groupe, McCartney a d’abord songé à un album concept : après tout, la mode en a été lancée par lui-même avec Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967). Mais l’idée d’un « orchestre en fuite » (Band on the Run), passé le morceau-titre en trois mouvements, ne sera décliné qu’assez mollement. Picasso’s Last Words provient d’un défi lancé au musicien en vacances jamaïcaines par Dustin Hoffman et Steve McQueen, qui tournaient Papillon à Montego Bay. Let Me Roll It frise tellement le pastiche lennonien qu’il laisse peu de doute sur son destinataire. Quant au doux balancement de Mamunia, il fait signe à un célèbre hôtel de Marrakech. Ce fut le premier morceau enregistré à Lagos et le seul qui, par son refrain, porte les traces du séjour africain.

Accueil enfin dithyrambique

Paul, Linda et Denny Laine tentent bien une incursion dans la vie nocturne, mais leur passage au Shrine soulève la méfiance. Le patron de cette boîte n’est autre que Fela Kuti, parrain de la scène locale à la tête d’une communauté de musiciens et de militants. Dès le lendemain, Fela accuse à la radio McCartney d’être venu piller la musique africaine. Pour calmer le jeu, celui-ci l’invite au studio. Il doit aussi jouer les diplomates avec Ginger Baker, ex-batteur fou du supergroupe Cream (trio blues-rock formé avec Eric Clapton et Jack Bruce), exilé au Nigeria et vexé que son compatriote n’ait pas élu son studio ARC. Ni une ni deux, McCartney y débarque pour enregistrer son hommage à Picasso. Mais il n’est pas au bout de ses peines. Un soir que Linda et lui rentrent à pied à leur villa, ils se font braquer en pleine rue par cinq types descendus d’une voiture. Sous la menace d’un couteau, Paul s’en tire en leur laissant son sac, rempli de bandes démos et de textes. Peu de temps après, McCartney tombe dans les pommes. Emmené à l’hôpital, on lui diagnostique un bronchospasme. Le poumon…

Néanmoins, l’enregistrement va son chemin cahin-caha. Au bout de trois semaines où maître Paul, secondé (beaucoup) par Laine et (un peu) par Linda, joue d’à peu près tous les instruments, les prises de base de la plupart des morceaux sont en boîte. On complétera et fignolera le reste aux studios AIR de Londres, avec un coup de main pour les arrangements de Tony Visconti, le producteur attitré de Bowie. Paru début décembre, Band on the Run reçoit un accueil enfin dithyrambique. Parmi les neuf évadés figurant sur la pochette, on reconnaît James Coburn et Christopher Lee. Au centre du groupe, pris sous le feu d’un phare de poursuite, les visages de Paul et Linda sont à peine discernables. On ne lit sur fond noir que le titre de l’album. Et c’est pourtant bien le triomphe de McCartney (& Wings, si on veut). Sa collection de chansons la plus cohérente et dynamique depuis la fin des Beatles. Et si l’on tend bien l’oreille aux paroles, un exercice que Paul n’a jamais pris trop au sérieux, un leitmotiv se dégage : s’échapper, fuir les servitudes de la gloire et les attentes du public ; mais dans la ferme idée de les reconquérir, ne jamais cesser de plaire. Mission accomplie.

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