Marcel Proust : cinq choses à savoir sur l'écrivain pour le 100e anniversaire de sa mort
Il y a tout juste 100 ans, le 18 novembre 1922, Marcel Proust, succombait à une bronchite dans son appartement de Paris à l'âge de 51 ans. Habitué des salons mondains, l'écrivain a laissé une oeuvre complexe dont il n'est pas forcément aisé de discuter en société. Voici cinq anecdotes à connaître même sans l'avoir lu.
Seize heures de lecture pour le centenaire de la mort de Marcel Proust
À la minute même où cela fera cent ans que Marcel Proust a rendu son dernier souffle, le 18 novembre à 16h, Ivan Morane débutera la lecture intégrale du Temps retrouvé, le dernier volume de la Recherche du temps perdu. Cela représente 16h de lecture... qui s’achèveront le dimanche 20 novembre à 16h. Une façon de perpétuer le souffle et le génie de cet auteur incomparable à l’aube de la 101e année de sa disparition.
La BnF François-Mitterrand analyse la vie et l'œuvre de l'écrivain à travers ses manuscrits jusqu'au 22 janvier 2023, tandis que Plon réédite le 3 novembre son épaisse correspondance. Comment ça s'écrit Marcel Proust, jusqu’à «Zut, zut, zut, zut»Article réservé aux abonnés Le cahier Livres de Libédossier publié le 28 octobre 2022 à 17h46 A Paris, en cette année du centenaire de la mort de Proust (le 18 novembre exactement), il y a déjà eu deux expositions consacrées à l’auteur d’A la recherche du temps perdu. La première, au musée Carnavalet, sur les liens entre Proust et Paris, et la deuxième, au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, sur Proust du côté de sa mère. En voici donc une troisième, «la Fabrique de l’œuvre», thème qui se défend dans la mesure où c’est quand même plus comme écrivain que comme Parisien ou juif que Proust a acquis sa renommée. Et cette troisième exposition de l’année est aussi la quatrième pour la BNF, puisque Guillaume Fau, commissaire de l’expo avec Antoine Compagnon et Nathalie Mauriac Dyer, précise dans le dossier de presse que Proust est le «seul auteur de la littérature française» à y avoir été montré aussi régulièrement, à savoir en gros «une fois par génération» (1947, pour le vingt-cinquième anniversaire de sa mort, puis 1965 et 1999). L’exposition suit l’ordre chronologique de la Recherche, c’est-à-dire s’ouvre avec une animation visuelle montrant les différentes versions de «Longtemps je me suis couché de bonne heure», et se clôt sur une autre animation visuelle, permettant de saisir au milieu des ratures l’apparition de la dernière phrase, dont la légende veut qu’elle ait été écrite bien des années avant la mort de Proust. Il y a aussi des manuscrits et surtout des placards d’épreuves dont il ne reste plus une ligne, toutes étant barrées de la main de Proust qui ne laisse pas un centimètre carré de blanc autour pour y écrire sa nouvelle version, laquelle n’est pas forcément la définitive. Œuvres en rapport avec l’œuvreMais le fétichisme est si attaché à Proust qu’il le dépasse, puisque c’est l’ensemble de l’œuvre qu’il concerne. Il y a un plaisir particulier à découvrir le fameux tableau de James Tissot le Cercle de la rue Royale où se tient Charles Haas que Proust, dans une phrase qui ne tient grammaticalement pas debout de la Prisonnière et malgré ses dénégations dans la correspondance quant à la possibilité de faire entrer une personne réelle dans un personnage de roman, assimile lui-même en partie à Charles Swann en le plaçant explicitement dans cette œuvre où il est identifiable. L’exposition propose aussi l’huile sur toile de Giovanni Boldini, qu’on voit dans tous les livres sur Proust, représentant Robert de Montesquiou, celui-ci étant un modèle présumé du baron de Charlus (après l’avoir été de Des Esseintes, dans A rebours, de Joris-Karl Huysmans). Et, dans les œuvres en rapport avec l’œuvre, sont exposés un tableau d’Hubert Robert et un de Constantin Guys – puisque, à la fin de Du côté de chez Swann, les deux chevaux qui emportent la victoria de Mme Swann au Bois sont «minces et contournés comme on en voit dans les dessins de Constantin Guys». Pour ce qui concerne l’écrivain sur son lit de mort, il y a à la fois la photo de Man Ray et la pointe sèche de Paul Helleu. Des tableaux de Monet et Turner sont également présents, au motif que Proust les aimait (et il n’est pas le seul). «Les pavés mal équarris» de la cour des GuermantesLe catalogue se présente comme un abécédaire, d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs jusqu’à «Zut, zut, zut, zut» (qui, avec «Rah» et «Pif», plus marqués sexuellement dans le roman, couvre le maigre champ des interjections proustiennes), et l’introduction cite immédiatement le Temps retrouvé quant à la conception de «l’œuvre à venir» : «Car, épinglant ici un feuillet supplémentaire, je bâtirai mon livre, je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale [expression employée par Proust quelques lignes auparavant et dans sa correspondance, ndlr], mais tout simplement comme une robe.» L’exposition se pose là question «feuillet supplémentaire», puisqu’on voit Proust en ajouter partout, dans ses carnets, sur les manuscrits, les dactylographies et les épreuves. Mais elle est là aussi quand il s’agit d’une robe, puisque sont exposées plusieurs de Fortuny, ce créateur qu’Elstir vante dans le roman, convaincant le narrateur qu’on peut retrouver en elles la Venise des grands peintres vénitiens – et c’est aussi la ville que retrouve le narrateur sur «les pavés mal équarris» de la cour des Guermantes. Le catalogue va parallèlement à l’exposition dans «l’atelier» de l’écrivain, souhaitant proposer «une sorte de lecture d’ensemble de la démarche et de l’œuvre proustienne, dont ce livre se propose d’être à la fois le point d’accès et le répertoire de quelques interprétations possibles». Marcel Proust. La Fabrique de l’œuvre, jusqu’au 22 janvier, Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand.Catalogue sous la direction d’Antoine Compagnon, Guillaume Fau et Nathalie Mauriac Dyer. Gallimard-Bibliothèque nationale de France, 240 pp., 39€. |
350 pièces manuscrites, imprimées ou graphiques, dont certaines rares ou inédites, composent cette exposition érudite qui accueillera jusqu’à fin janvier proustiens fervents comme néophytes
Exposition Marcel Proust, un plongeon passionnant dans la genèse de “La Recherche” Nathalie Crom |
En 1911, alors qu’il cherche un éditeur pour l’œuvre à laquelle il se consacre depuis près de quatre ans, Marcel Proust (1871-1922) se tourne notamment vers la maison d’Eugène Fasquelle, pour lui proposer un roman d’environ 1 200 pages, qui pourrait peut-être tenir « en un fort volume », ou, plus probablement, en deux tomes. Le premier s’intitulerait Le Temps perdu, le second Le Temps retrouvé, « et au-dessus de ces titres particuliers j’inscrirai le titre général […] : Les Intermittences du cœur ». S’appuyant sur quelque trois cent cinquante pièces, essentiellement des documents manuscrits ou imprimés appartenant au Fonds Proust déposé en 1962 à la Bibliothèque nationale par les héritiers de l’écrivain, et enrichi depuis par de précieuses acquisitions, l’exposition « Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre » entreprend de raconter comment, de ce projet initial, Marcel Proust en est venu à bâtir son grand œuvre, À la Recherche du temps perdu – en huit volumes selon la tomaison voulue par lui, mais en sept seulement en a décidé la postérité, après sa mort survenue il y a tout juste cent ans, le 18 novembre 1922. Bienvenue au plus profond des arcanes de l’œuvre, au plus intime de sa genèse – au plus près du processus d’élaboration, par l’écrivain, d’un cycle romanesque dont il connut très tôt le début et la fin, mais dont il ne cessa d’alimenter, d’accroître, de prolonger, d’étoffer la prodigieuse matière développée dans l’entre-deux. Bienvenue au plus profond des arcanes de l’œuvre, au plus intime de sa genèse – au plus près du processus d’élaboration, par l’écrivain, d’un cycle romanesque dont il connut très tôt le début et la fin, mais dont il ne cessa d’alimenter, d’accroître, de prolonger, d’étoffer la prodigieuse matière développée dans l’entre-deux. « Marcel Proust n’a pas écrit son œuvre de façon linéaire du début à la fin, mais par séquences isolées au départ, qu’il a montées, démontées, remontées parfois des années plus tard dans un vaste travail de placement du texte et des épisodes », analyse, dans le passionnant et original catalogue, en forme d’abécédaire, le professeur émérite au Collège de France et académicien Antoine Compagnon, commissaire de l’exposition – en compagnie de Nathalie Mauriac Dyer, directrice de recherche au CNRS, et de Guillaume Fau, conservateur en chef à la BnF. Invitation à la relecture infinieDévelopper, corriger, assembler, défaire, réagencer et déployer sans fin, jusqu’à voir s’élaborer ces huit volumes (parus entre 1913 et 1927) qui constituent finalement l’intégralité de l’œuvre et architecturent aujourd’hui le parcours de l’exposition. Huit salles auxquelles s’ajoutent, en guise de prologue et d’épilogue, deux gros plans sur la première et la dernière phrase de La Recherche : le « dans le Temps » final faisant écho au « Longtemps » inaugural, et la résonance entre l’un et l’autre « invitant au labyrinthe d’une relecture infinie », suggèrent les commissaires. Proust lui-même le soulignait, dans une lettre à son ami et cousin Benjamin Crémieux datant de janvier 1922 : « On méconnaît trop que mes livres sont une construction, mais à ouverture de compas assez étendue pour que la composition, rigoureuse et à qui j’ai tout sacrifié, soit assez longue à discerner. On ne pourra le nier quand la dernière page du Temps retrouvé se refermera exactement sur la première de Swann. » Les plus pointus et fervents parmi les proustiens se délecteront des pièces peu ou jamais montrées au public jusqu’à ce jour : les épreuves NRF de À l’ombre des jeunes filles en fleurs, invraisemblable assemblage de placards imprimés et d’ajouts de la main de l’écrivain ; le manuscrit grand format des Soixante-quinze feuillets, connu aussi sous le nom de « roman de 1908 », réapparu en 2018 après la mort de l’éditeur Bernard de Fallois qui le gardait dans ses archives depuis 1954 ; acquis par la BnF il y a neuf ans, l’agenda de 1906 qui, entre 1909 et 1910, servit de carnet de travail à Proust tandis qu’il écrivait « Combray » ; entrée dans le Fonds Proust de la BnF l’an dernier, l’édition originale de Du côté de chez Swann appartenant à son amie Marie Scheikévitch, dans laquelle il ajouta en 1915 une lettre-dédicace de huit pages afin de lui révéler en avant-première les destins de Charlus et d’Albertine tels que les raconteraient les volumes suivants (« Prêtez-moi votre exemplaire et je vais vous résumer la suite »)… Parcourant l’itinéraire proposé par l’érudite, mais accueillante et judicieuse exposition, les amateurs (plus ou moins) éclairés et les néophytes verront, eux, se déployer avec clarté l’arc narratif de La Recherche, repéreront ses principales articulations et remonteront à la source de ses épisodes emblématiques. Trente-cinq, au total, ont été choisis, qui jalonnent les huit volumes du cycle proustien et la vie du narrateur : le « drame du coucher », aux premières pages de Du côté de chez Swann, déjà esquissé dans Jean Santeuil (1905) ; la madeleine (qui n’était, dans des manuscrits préparatoires, qu’une modeste biscotte, voire un simple morceau de pain grillé…) et la révélation de la mémoire involontaire ; la première rencontre avec le baron de Charlus, puis avec Albertine, sur la plage de Balbec ; l’apparition d’Elstir, le peintre ; la mort de Bergotte, l’écrivain, devant le tableau de Vermeer ; l’irruption sonore du quatuor du compositeur Vinteuil ; les mondanités tant convoitées chez Mme de Villeparisis ou dans le salon de la duchesse de Guermantes ; la mort de la grand-mère et la découverte de l’homosexualité de Charlus – véritable pivot de La Recherche, analyse Guillaume Fau. Le roman d’apprentissage du narrateur, poétique et chatoyant, bascule, alors qu’on quitte Le Côté de Guermantes pour entrer dans Sodome et Gomorrhe (qui incluait initialement La Prisonnière et Albertine disparue), dans « l’approfondissement de la réalité » la plus clandestine et ténébreuse, « l’envers du monde ». Tableaux, photos et somptueux manteauxAu milieu des centaines de pages manuscrites ou imprimées, agrémentées ou non par les fameuses paperoles (ces bandes de papier collées et pliées au moyen desquelles Proust opérait des ajouts sur les épreuves de ses livres), les photographies, dessins, affiches et toiles offrent des respirations bienvenues, autant qu’elles éclairent l’époque, la biographie de l’écrivain et ses inspirations. Certains tableaux sont plus que célèbres : le portrait de Proust par Jacques-Émile Blanche, Le Cercle de la rue Royale, de Jacques Tissot, Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain, de Turner, Le Comte Robert de Montesquiou peint par Boldini Giovanni, l’écrivain sur son lit de mort dessiné par son ami Helleu… Moins connu, et prêté par l’Élysée : Le Jet d’eau, d’Hubert Robert, toile que le narrateur contemple dans l’hôtel de la princesse de Guermantes. Somptueux, les manteaux Fortuny (l’un, de taffetas et de velours vert, appartenait à la comtesse Greffulhe, une des aristocrates dont Proust nourrit le personnage d’Oriane de Guermantes) voisinent avec une robe de chez Doucet, luxueuse autant que symbolique – « épinglant ici un feuillet supplémentaire, je bâtirais mon livre, je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe… », dit le narrateur du Temps retrouvé. rTrès Bien “Proust du côté juif”, un essai passionnant sur le rapport complexe de l’écrivain au judaïsmeAntoine Compagnon À voir À lire |