La crèche est plus q’un symbole chrétien, elle représente avant tout une tradition française perpétuée depuis de nombreuses générations. Ceux qui souhaitent la retirer des mairies ne sont pas les protecteurs de la laïcité, mais les fossoyeurs de notre culture...
Qu’est-ce qu’une crèche de Noël ?
Rappelons d’abord ce qu’elle n’est pas.
Aucun mouvement avide d’imposer sa loi religieuse n’en a fait son emblème. Aucune théocratie totalitaire ne force ceux qu’elle gouverne à en installer chez eux, ou dans la rue, ou à en porter l’image sur leurs vêtements. Aucun attentat n’a jamais été commis au cri de « Lou Ravi akbar ». Et il faudrait avoir renoncé à toute espèce de sens moral pour ne pas comprendre que cela fait une énorme différence.
Religieuse, la crèche l’est assurément. Mais elle n’est pas que ça, et ce n’est même pas sa dimension essentielle. Le vieux et la vieille, le tambourinaire, le bûcheron, le berger et son fils, le ravi, le meunier, la lavandière, le gendarme, le rémouleur, le ramoneur, même le maire : c’est tout un village de Provence, avec ses figures et ses métiers, qui est représenté là. C’est cet échelon fondamental de la vie citoyenne et démocratique que célèbre la crèche traditionnelle, et à ce titre comment pourrait-elle ne pas être à sa place dans la mairie qui est justement la maison commune de tous ces personnages intemporels ?
Oui, la crèche est aussi religieuse et chrétienne.
Elle est, plus précisément, l’appropriation par la tradition populaire de ce que le christianisme a apporté d’attachant à notre culture, loin de ce qu’il a pu par ailleurs lui infliger de sombre : s’il y a parfois un voleur parmi les santons, il y a un prêtre et un moine mais jamais d’inquisiteur. Elle est aussi, que l’on voie la dimension symbolique ou mythologique de l’enfant divin, de ses parents, des anges et des bergers émerveillés, celle sentimentale d’une famille attendrie réchauffée par le bœuf et l’âne, ou une communauté villageoise à la fois idéalisée et gentiment caricaturée (nous sommes, après tout, des animaux politiques), le rappel que l’être humain a des aspirations que les orgies consuméristes ne peuvent combler. Et si un Etat qui prétend les satisfaire est inévitablement un totalitarisme (tout comme l’est n’importe quelle religion affirmant être seule à pouvoir les satisfaire), il est bon que le politique prenne parfois le temps de rendre hommage à ce dont il peut et doit favoriser l’épanouissement, mais qui in fine le dépassera toujours.
Et il est bon, aussi, que de temps en temps la République s’incline devant les traditions françaises, et donc devant la France. Aucun régime politique, fût-il le meilleur au monde, ne devrait être autorisé à se croire supérieur à la nation dont il a la charge.
Ajoutons qu’à l’heure où des inconnus (à ce jour) ont brûlé une crèche en pleine rue, où l’on attaque un sapin de Noël en hurlant « Allah akbar », il est du devoir des pouvoirs publics de réaffirmer que ce qui fait que la France soit la France est une part légitime de la France, y compris ce qui dans sa culture lui vient de la tradition chrétienne (elle-même n’étant en l’occurrence qu’une christianisation de mythes et de coutumes nettement plus anciens, mais c’est un autre sujet).
Un dernier point. Alors que des élus sont en première ligne pour défendre l’incarnation symbolique de la version chrétienne de la fête du Solstice d’Hiver, l’Église, elle, semble absente. Ce n’est pas une surprise.
Depuis des décennies, le christianisme (notamment catholique) s’est manifestement détourné de la chrétienté, et si le Pape François est la figure paroxystique de ce mouvement de rejet, il n’en est certainement pas l’origine. Maurice Druon (j’ose espérer que nul n’ira accuser ce résistant, médaillé de la France Libre, coauteur du «Chant des Partisans», d’être un dangereux identitaire nostalgique des heures les plus sombres) en faisait déjà le reproche à l’Église il y a un demi-siècle. Et si aujourd’hui on peut s’étonner de voir Peppone assumer une part du rôle de Don Camillo, la faute n’en revient pas aux homologues du bouillant édile, mais aux successeurs de Don Camillo qui ont démissionné de certaines de leurs responsabilités.
D’aucuns objecteront que l’Église porte un message religieux universel, et non enraciné dans une culture particulière. C’est évidemment faux, car l’un ne s’oppose pas à l’autre. L’ancrage culturel est un besoin universel de l’Homme, et si l’éthique des samouraïs a atteint l’universel, ce n’est pas en niant son enracinement japonais, mais en l’accomplissant jusqu’au plus noble. De même pour le christianisme, et le contexte bien particulier d’un royaume d’Israël ouvert à l’influence grecque depuis Alexandre, et sous domination romaine. De même pour ce que le christianisme est devenu, et qui doit sans doute plus à l’Europe que ce que l’Europe lui doit.
Ajoutons qu’au plan théologique, l’attitude de l’Église lorsqu’elle s’oppose à la « dérive identitaire » est un non-sens. Quoi ! Après un millénaire et demi de domination sans partage, le christianisme n’aurait pas réussi à faire porter à l’Europe des fruits méritant d’être préservés ? Piètre résultat pour un message qui se veut divin. Ne resteraient que des slogans humanitaires oubliant que l’humanitaire est certes important mais n’est pas tout, puisque « l’Homme ne se nourrit pas seulement de pain » mais aussi de grandeur, de beauté et de pensée, en un mot de culture. Triste constat, heureusement démenti par la splendeur des cathédrales gothiques… et la chaleureuse simplicité des crèches.
À moins d’avoir pour véritable but d’effacer notre culture – et ce qui la remplacera alors n’est pas je ne sais quelle utopie, mais l’une des barbaries qui attendent leur heure, entre le chaos tribal, le totalitarisme islamique et le règne impitoyable des seigneurs de la guerre économique – ceux qui ne veulent plus voir de crèches dans les mairies n’ont qu’une chose sensée à faire : en installer bien visibles sur leurs rebords de fenêtres, dans les rues passantes, dans les églises portes grandes ouvertes. Alors, et alors seulement, ils auront la légitimité de dire qu’il n’est plus nécessaire que les crèches s’abritent dans les mairies… comme Marie et Joseph se sont jadis abrités dans la crèche.
D’ici là, n’interdisons pas au maire de se joindre à tous les autres santons et à votre serviteur pour résister aux insipides « fêtes de fin d’année » et vous dire, chers lecteurs : Joyeux Noël !